« Avec l’inflation en ce moment, je préfère acheter de la nourriture. » Sur la plage du lac Achard à Illkirch-Graffenstaden, samedi 19 août, Issa surveille ses cinq enfants en bas âge. À une cinquantaine de mètres, l’AquaFun’Park propose une entrée sur sa structure gonflable pour 10 euros de l’heure. Les cris des enfants qui en profitent se font entendre jusqu’à la rive restée gratuite. Mais pour l’ancien agent d’exploitation en parking, aujourd’hui au chômage, impossible de profiter de cette offre :
« Vous imaginez ? Si je devais payer pour tous mes enfants, cela me coûterait cinquante euros de l’heure. C’est impossible. »
« C’est gratuit ou c’est payant ? »
Après avoir emporté un appel d’offres de l’Eurométropole de Strasbourg, la société JR Events exploite 3 000 mètres carrés du lac Achard. De quoi installer l’AquaFun’Park, une structure gonflable pour 180 personnes, constituée de toboggans, de trampolines et autres éléments de parcours d’obstacles. L’exploitation du site est autorisée pour sept ans.
Avec une première saison compliquée par une météo capricieuse, le directeur de JR Events Antonin Caujolle tente de positiver :
« Lorsqu’on s’installait, les gens râlaient en parlant de privatisation. Ils n’avaient pas compris que l’on ne prenait qu’une partie du lac. Le reste est toujours accessible gratuitement. »
Face aux critiques sur ses tarifs, Antonin Caujolle rappelle le « tarif familial » pratiqué pour un groupe de plus de trois personnes et coûtant… un euros de moins par personne. Les pauvres pourront toujours se rabattre sur la location d’un pédalo à dix euros l’heure, toujours chez JR Event ou attendre 19h pour profiter d’un tarif à 5 euros l’heure.
Quelques minutes plus tôt, un enfant tenant la main de son père résumait tout l’enjeu d’un espace public privatisé : « C’est gratuit ou c’est payant ? », demandait-il en avançant vers l’AquaFun’Park. Il y a désormais deux parties du lac Achard. La première, la plus grande, reste accessible à tous. Les familles et autres groupes d’amis s’y agglutinent sur une plage bientôt séparée par un ponton. Derrière, un périmètre rouge et blanc indique l’espace réservé à celles et ceux ayant les moyens de payer 10 euros par personne et par heure.
« Ça manquait d’animation »
Derrière une clôture en bois, Inès surveille sa fille et son neveu. Cette année, pas de départ en vacances pour cette mère célibataire. Le restaurant qui l’employait a été placé en liquidation judiciaire. Puis l’organisme de formation, qui devait l’aider à se reconvertir dans le secteur médico-social, a lui aussi fermé. Malgré ces difficultés, Inès tient à offrir une entrée à la petite. Ses sentiments sont partagés vis-à-vis de l’AquaFun’Park :
« Au parc Citadelle ou à la piscine du Wacken, la Ville de Strasbourg propose des activités gratuites. Je trouve ça cool d’avoir cette animation au lac Achard mais c’est aussi injuste pour un petit dont la mère n’aurait pas les moyens de lui payer une entrée. »
Selon un employé de la collectivité, chargé de la surveillance de la baignade, cette nouvelle offre payante ne provoque pas de frustration visible depuis le début de l’été. Elle se souvient uniquement d’un petit groupe d’enfants qui demandait une pièce aux baigneurs pour pouvoir se payer une entrée.
Retour sur la plage publique où se prélassent Grégory et François. Habitués du lac Achard depuis les années 80, les deux habitants d’Ostwald ne se plaignent pas de l’arrivée de l’AquaFun’Park. Conducteur de tram, Grégogry apprécie la buvette qui a ouvert avec l’arrivée de JR Events :
« Ces dix dernières années, j’allais plutôt près des lacs allemands parce qu’on y trouve toujours de quoi se restaurer. Ça manquait d’animation ici avant mais désormais je suis de retour ici. »
À ses côtés, François, conducteur de train à la retraite, se plaint d’une uniformisation des lacs : « on voit ces structures gonflables même dans des lacs de montagne maintenant » – mais le coût d’entrée ne le choque pas : « Il y aura toujours quelqu’un qui n’aura pas les moyens de s’offrir une entrée », dit-il.
« Ici les lacs sont encore gratuits. Il faut que ça le reste »
Attablés à la buvette voisine, Christian, Delphine et Francis réagissent aussi positivement à l’ouverture de l’AquaFun’Park. Pêcheur pisciculteur, habitué du lac Achard depuis qu’il a trois ans, Christian regrette l’époque « où la ville faisait des animations ici, avec des jeux pour enfants. » Il se plaint aussi du terrain de pétanque et des autres équipements « qui mériteraient un rafraichissement ».
Pour les touristes non plus, cette soudaine irruption du secteur privé ne suscite aucune critique. Isabel, venue en famille de Barcelone, a l’habitude de payer pour chaque heure passée dans une structure de ce type.
Quelques mètres plus loin, Nicolas compare le lac Achard aux lacs situés en région parisienne :
« À Paris et alentours, il y a très peu de lacs accessibles gratuitement comme en Alsace. La plupart des espaces de baignade sont payants. »
Des témoignages qui feraient de Strasbourg une exception à préserver, comme l’espère Inès : « Ici les lacs de baignade sont encore gratuits. Il faut qu’ils le restent. » Un message à transmettre à l’Eurométropole, si d’aventure la collectivité devait privatiser encore plus d’espace.
Suite à une demande de précision sur la capacité d’accueil du lac Achard, la communication de l’Eurométropole a tenu à préciser que « l’installation de l’Aquafun park n’a pas réduit la zone de baignade surveillée gratuite côté publique. Cette proposition aqualudique vient en complément de la possibilité de baignade gratuite et l’offre d’apprentissage développée depuis 2021 par le comité départemental de natation. »
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