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La vie est une légende, une chevauchée fantastique au Kazaksthan

Avec La vie est une légende, Le Musée d’Art Moderne et Contemporain propose une rencontre inédite avec le Kazakhstan. Un pays méconnu, surtout en ce qui concerne son art contemporain. Une quinzaine d’artistes donnent leur vision de leur pays avec des images fortes empreintes de quête d’identité et de subversion. On découvre un pays aux règles terribles, à l’économie oligarchique, et à la créativité bouillonnante.

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Amalgul Menlibayeva, My Silk Road to you 4 (vidéo, 2011) – doc. remis


J’avoue – mais je sais que je ne suis pas seule – que je ne savais pas grand-chose du Kazakhstan avant de visiter la nouvelle exposition du Musée d’Art Moderne : La vie est une légende (jusqu’au 8 mars). Mais dès les premières œuvres, on a envie d’en savoir plus : elles sont engagées et identitaires, on ressent d’emblée qu’elles racontent des histoires. Un petit peu de culture ne serait pas de trop, heureusement j’ai eu droit aux explications de Dimitri Konstantinidis, l’un des commissaires, également directeur d’Apollonia.

Pour planter rapidement le décor, rappelons que le pays s’est affranchi de l’Union Soviétique en 1991, mais n’a pas pour autant changé de dirigeant. Nursultan Nazarbaïev est toujours en place, et dirige avec une poignée de partisans la politique et l’économie, basée sur le pétrole et l’uranium.

« On a sélectionné les œuvres qui avaient vraiment quelque chose à dire sur le pays »

La capitale historique, Almaty, regroupe tous les artistes, tandis qu’Astana, nouvelle capitale administrative depuis 1997, a poussé comme un Dubaï du nord au milieu de la steppe. Au milieu de ces paradoxes, entre ouverture à la mondialisation et retour vers les traditions populaires, des artistes osent s’exprimer. Dimitri Konstantinidis dresse ainsi le portrait de la scène artistique nationale :

« Beaucoup d’artistes donnent dans le kitsch, le bling bling, ça correspond à la clientèle. Mais nous avons repéré une galerie à Almaty qui promeut tous les artistes intéressants, c’est avec elle que nous avons travaillé. Nous avons passé dix jours sur place, à rencontrer une soixantaine d’artistes. On a sélectionné les œuvres qui avaient vraiment quelque chose à dire sur le pays. »

Le passé remis en question

Dans cette ancienne nation soviétique, ce qui semblait si solide et indiscutable s’est effondré, comme l’illustrent les photos de Yerbossyn Meldibekov. Des familles posent devant un monument communiste puis, quelques années plus tard, devant la version actualisée, un exemplaire quelconque de statue pompeuse. L’artiste a également trituré à cœur joie le buste de Lénine, qui semble subir les défaillances de la mémoire : était-il noir ? Ressemblait-il à Genghis Khan ?

Dans une petite salle assombrie, Alexander Ugay questionne le souvenir avec des photos d’archives décontextualisées dont un détail a été exagérément agrandi : fascination des vieilles photos dont on scrute l’arrière-plan en imaginant les histoires périphériques, à jamais mystérieuses et peut-être plus vraies que ce qu’on nous montre au premier plan. Une vidéo projetée à travers vingt-quatre écrans translucides montre le célèbre modèle du Monument à la 3ème Internationale de Tatline, glissant sur l’horizon sous le regard placide de trois personnages. Ce film d’archives prend l’aspect d’un rêve, le passé est distancié, les utopies relativisées… y compris celles à venir.

Alexander Ugay, Bastion (vidéo, 2007). Le Monument à la 3ème Internationale (1920) de Tatline est une ode au modernisme soviétique  (doc. remis)

Définir une identité pour aujourd’hui

Dans plusieurs œuvres, on découvre les riches traditions des divers groupes ethniques du pays. Dramatiquement étouffées par le régime communiste, elles sont aujourd’hui exhumées et remixées par les artistes – car il ne s’agit pas seulement de revenir en arrière, mais de trouver sa place au monde.

Ainsi, la majestueuse procession de femmes filmée par Syrlybek Bekbotaev est assez hypnotisante : on est fasciné par l’austérité de la steppe et par ces berceaux de bois tourné qu’elles portent sur la tête pour rappeler les pratiques nomades.

Syrlybek Bekbotaev, Musique dans la steppe (vidéo, 2014 – doc. remis)

Une autre vidéaste, Almagul Menlibayeva, fait la part belle aux femmes – qu’elle considère d’ailleurs comme le « pilier du monde ». Avec son film, on est d’abord happé par l’esthétisme irrésistible de l’architecture, des tissus traditionnels et des protagonistes féminines.

Par les rites chamaniques et les riches parures dont elles jouent, seules ou devant des hommes ébahis, l’artiste a réussi à incarner dans ces femmes une supériorité évidente et silencieuse. Elles sont en lien avec le divin, à moins qu’elles ne soient déesses elles-mêmes. Elles offrent une nouvelle vision de la femme dans une nation majoritairement musulmane et patriarcale.

Yerbossyn Meldibekov, en collaboration avec Nurbossyn Oris, Pastan 2 (Décalcomanie sur céramique peinte, 2003-2014)

Rébellion, misère et surconsommation

Yerbossyn Meldibekov, l’un des artistes kazakhstanais les plus en vue et aussi l’un des plus subversifs, présente parmi ses autres œuvres une vidéo indiffusable dans son pays. On y voit des ouvriers en grève attaqués par la police. L’affrontement a occasionné de nombreux morts et blessés. L’événement (réel) date de 2011 et a été étouffé : presque rien n’a paru dans la presse, surtout pas sur place.

L’artiste a déjà perdu l’accès à son atelier pendant cinq ans pour avoir montré une vidéo similaire à Berlin. Rien de surprenant quand on sait qu’un simple mot de travers sur le président peut mener en garde à vue.

Elena Vorobyeva et Victor Vorobyev, Bazar 2.0 (détail – bois, lettrage, tirages numériques, objets, 2014) – doc remis

 

Si le régime actuel ressemble en beaucoup d’aspects à une dictature communiste, quelque chose de nouveau s’est bien installé : le libéralisme. Dans le Bazar 2.0 du couple Vorobyev, on prend un plaisir de touriste à se balader parmi les stands d’un marché de fortune. Mais plus on avance, plus on réalise que les marchandises sont tristes et dérisoires : clous rouillés, pièces détachées, classiques de Marx et Lénine bradés, et même des dents animales destinées aux édentés humains !

Les plus miséreux tentent de tirer profit de la vente d’objets personnels ou faits maison, une pratique interdite sous le communisme. Il y a aussi beaucoup plus d’objets de consommation aujourd’hui. Ce changement marque l’installation Transgression qui est présentée juste à côté. Sur plusieurs mètres, un rayonnage offre des images-objets séduisantes.

Elles reproduisent les clichés kazakhstanais : le pétrole, les voitures de luxe, les femmes voilées, … en une multitude d’exemplaires, de formats, de teintes. Les magasins sont aujourd’hui achalandés à l’occidentale et proposent bien plus que le nécessaire, et cette dérive vers la surconsommation est ce qui est le plus critiqué par les artistes du pays.

Galim Madanov et Zauresh Terekbay, (Transgression – doc.remis)

Néanmoins, ce qui ressort au final de cette exposition, c’est l’amour d’un pays, rendu attachant au spectateur. La diversité des œuvres converge vers la définition d’une identité nationale, sans le chauvinisme associé à cette notion en France.

À venir : un nouveau lieu pour Apollonia

Cette exposition met en lumière l’association Apollonia à un moment important de son activité. Dimitri Konstantinidis nous annonce la suite du projet :

« Nous allons ouvrir un nouveau lieu à la Robertsau. C’est un ancien hangar rénové, avec 400 m² d’exposition. Nous y accueillerons, entre autres, certains des artistes montrés au MAMCS pour des résidences, des expositions et des workshops. Nous travaillons sur l’influence de l’artiste dans la cité, sur la manière dont il peut travailler avec les habitants. Nous intégrons des étudiants en art, mais aussi des jeunes de certains quartiers, qui pourront se former techniquement en participant à des projets artistiques. »

Rendez-vous le 11 février pour l’exposition des premiers résultats… mais on en reparlera d’ici-là.

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#Apollonia

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