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La suspension d’une filière menace l’équilibre social d’un lycée de Strasbourg

Trop peu d’inscriptions à la filière franco-allemande Abibac au lycée Jean Monnet de Strasbourg. Alors l’Académie a suspendu cette section l’an prochain. Le coup est rude pour ce lycée qui recrute en partie en zone « prioritaire », car les élèves Abibac permettent de maintenir un équilibre social certain dans l’établissement.

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L’entrée du lycée Jean Monnet au Neudorf, Strasbourg (Photo Roland Burckel / Archi Strasbourg / cc)

Vendredi, les principaux des collèges des quartiers sud de Strasbourg ont été prévenus par le Rectorat que les inscriptions à la filière franco-allemande Abibac de leur lycée de secteur, Jean Monnet, étaient suspendues pour la rentrée prochaine. En cause, le trop faible nombre de pré-inscriptions en classe de seconde, 7 selon l’Académie, pour maintenir cette filière d’excellence, qui permet de présenter à la fois le baccalauréat français et l’Abitur allemand.

Les élèves ayant le niveau suffisant en allemand, et un bon dossier scolaire ainsi qu’une recommandation de leur professeur principal, sont donc invités à s’inscrire dans l’un des autres lycées proposant cette filière : Marcel Rudloff, Les Pontonniers ou le collège épiscopal Saint-Etienne. Et merci pour tous ces bons élèves !

Mercato à l’envers

Car dans ce vaste mercato à l’envers auquel jouent les lycées pour attirer les bons élèves, le lycée Jean Monnet est plutôt désavantagé. Recrutant parmi les collèges du Neudorf, Neuhof et Geispolsheim, l’établissement reçoit plus que sa part d’élèves issus des collèges du « réseau prioritaire ». Mais jusqu’à ce jour, l’imposant lycée du Neudorf équilibrait les niveaux de ses classes de seconde grâce à trois filières sélectives : sport-études, européenne et Abibac.

Pour Dominique Perrin, enseignante et déléguée syndicale SNES-FSU de l’établissement, la suspension de la filière Abibac menace l’équilibre de l’établissement :

« C’est un nouveau coup dur pour la mixité sociale. Depuis l’assouplissement de la carte scolaire, les élèves Abibac peuvent choisir un autre lycée que celui de leur secteur. Et on constate une baisse des inscriptions à Jean Monnet depuis cette date… en faveur des établissements du centre-ville. Il y a un phénomène de ghettoïsation qui s’accentue et qui fragilise les établissements scolaires, malgré les efforts des enseignants. Car on sait bien qu’une filière dont le recrutement est suspendu a peu de chances de repartir. »

Jusqu’à l’an dernier, une vingtaine d’élèves Abibac se présentaient à Jean Monnet en moyenne. Gisela Lecomte, enseignante d’allemand, déplore le mauvais signal envoyé :

« La section Abibac est ouverte à Jean Monnet depuis 2003, et fonctionne très bien grâce à un excellent partenariat avec Städtisches Luisen-Gymnasium de Düsseldorf. Suspendre, voire supprimer, cette filière à Jean Monnet va remettre en cause ce partenariat ainsi que toutes nos actions en commun, par exemple auprès des entreprises allemandes. Il n’y a que 15 sections Abibac en Alsace, ce n’est pas de trop pour une Académie qui se dit volontariste en faveur des langues. Au final, on crée des classes à 35 élèves, ce qui n’est pas le meilleur moyen pour apprendre les langues. »

25% de ressources enseignantes supplémentaires

Les élèves en Abibac ont six heures de cours d’allemand, trois de plus que leurs camarades, et quatre heures de cours d’histoire-géographie en allemand, une de plus qu’en filière classique. Un élève Abibac coûte donc plus cher à l’Éducation nationale. Étienne Gondrexon, inspecteur d’académie en charge de l’orientation, détaille :

« Un élève Abibac demande 25% de ressources enseignantes supplémentaires, mais à condition qu’il y en ait suffisamment pour faire une classe ! À 7 élèves, ça n’a pas de sens. Le lycée Jean Monnet recrute sur un vivier d’environ 700 élèves, un chiffre en augmentation et d’ailleurs le lycée se verra doté d’une “division” (classe, ndlr) supplémentaire à la rentrée. Mais l’établissement doit s’interroger sur le pourquoi de ce nombre, seuls 7 élèves l’ont choisi pour Abibac. Et c’est le même problème avec la filière sport-études d’ailleurs, dont le recrutement n’est pas non plus optimal. »

Conscient du risque de « décrochage » du lycée Jean Monnet, l’Académie l’a attaché à deux autres mastodontes de l’Éducation nationale dans le sud de l’agglomération, les lycées Le Corbusier et Couffignal, au sein d’un « réseau sud ». Mais parmi les enseignants, on n’est guère rassuré comme l’explique Élodie Godié, enseignante d’histoire-géographie :

« Le lycée Jean Monnet brasse toutes les couches de la population et c’est ce qui fait sa particularité et son intérêt. Depuis que j’y suis, je constate un établissement qui fonctionne bien, avec une bonne équipe mais qui souffre d’une mauvaise image. Du coup, on est victime des stratégies d’évitement mises en place par certaines familles. Les sections Abibac permettent de compenser les effets délétères de ces évitements, car elles apportent des éléments moteurs dans les classes. Sans cette force d’entrainement, l’ensemble des classes va en souffrir et les effets négatifs vont se cumuler. »

Un rendez-vous… après la décision

Un constat confirmé par Cécile Thomas, délégué des parents d’élèves (FCPE) au collège Fustel de Coulanges :

« C’est vrai que Jean Monnet est un lycée de secteur, avec les problématiques que ça génère, mais l’équipe est formidable et ma fille a bénéficié d’un très bon enseignement en anglais et en allemand. J’avais bien l’intention d’y inscrire mon fils jusqu’à ce qu’on nous prévienne, au tout dernier moment, qu’il vaut mieux l’inscrire ailleurs. Je suis très remontée contre les méthodes cavalières de l’Académie, on ne laissera pas faire. »

Les parents d’élèves ont écrit une série de courriers aux élus locaux et ont demandé à être reçus par le Recteur. Ils contestent par ailleurs les comptages de l’Académie. Selon eux, 21 élèves auraient choisi la filière Abibac à Jean Monnet, dont 10 en premier choix. Les enseignants de la filière ont également écrit au Recteur. Une rencontre est prévue vendredi mais après la commission d’attribution des places Abibac, qui a lieu ce mercredi.


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