Le timing aurait pu être meilleur. En pleine saison des vendanges, le journal économique Les Échos indique que le contrat éponyme pourrait disparaître l’année prochaine, alors que le budget 2015 est à l’étude. Voté en 2001, ce dispositif spécial permet plus de rémunération aux saisonniers contre moins de cotisations salariales pour les vignerons, ainsi qu’aux salariés du privé comme du public de travailler pendant leurs congés.
Un dispositif voté en 2001
Me Julien Forget, avocat associé au cabinet spécialisé dans l’Agriculture Terrésa à Lyon et auteur d’un article sur le sujet dans La Revue de droit rural, rappelle le contexte :
« Lors de sa mise en place, ce contrat devait répondre à deux problèmes constatés : la difficulté de recruter du personnel pour travailler quelques jours dans les vignes et la présence de nombreux fonctionnaires, notamment des instituteurs, dans les exploitations, alors qu’ils n’en avaient pas le droit. L’Assemblée nationale avait voté la disposition contre l’avis du gouvernement à l’époque, assez tard dans la nuit par les députés vraiment mobilisés sur le sujet. Au Sénat, qui représente davantage les intérêts des régions, il y avait eu moins de difficultés. Ce type de contrat ne donne pas vraiment plus de droits à l’une ou l’autre partie, mais il facilite les conditions pour que le viticulteur trouve de la main d’œuvre dans un cadre légal. »
La vendange manuelle, très importante en Alsace.
Petite terre de récolte par rapport à la France (2,5% de la production nationale), l’Alsace était pourtant une région très mobilisée sur le sujet avec la Champagne-Ardennes. Et pour cause, avec 17 000 des 300 000 « contrats vendanges » signés en France en 2013, les viticulteurs alsaciens paraphent en moyenne plus du double de contrats que leurs confrères. Un chiffre qui s’explique par les vins de qualité produits en Alsace. Le Crémant d’Alsace (28% des bouteilles), les vendanges tardives, les grands crus, les lieux-dit ou les appellations communales exigent dans leur cahier des charges une récolte « 100% à la main », gage de qualité par rapport à une récolte mécanique, où le raisin est un peu plus chahuté.
Avant l’instauration de ce contrat particulier, seuls 250 000 contrats de saisonniers classiques étaient signés pour les vendanges, alors que la production était plus importante (54 millions d’hectolitres en 2001 contre 42 millions en 2013). Pour Me Forget, le contrat vendanges a permis de régulariser une bonne partie du travail non-déclaré.
Beaucoup de retraités et de salariés âgés, peu d’étudiants
Qui vient chaque automne participer à cet événement « festif et convivial » dixit les viticulteurs ? Sophie Dietrich, de l’exploitation Michel Dietrich à Dambach-La-Ville, dresse un rapide portrait des personnes qui travaillent dans ses vignes :
« Nous accueillons surtout de jeunes retraités et des personnes qui prennent congé. Leur emploi du temps est assez flexible. Ils doivent s’adapter à notre rythme de vendanges, car nous-mêmes sommes très dépendants de la météo pour la récolte. Ces travailleurs ne dépendent pas de cet appoint de salaire ou de retraite, mais c’est un plus. »
Les vendanges alsaciennes concernent assez peu les étudiants, qui ne représentent qu’environ 10% des contrats, car les vendanges arrivent assez tard, parfois après la rentrée universitaire. L’un des constats qui a poussé à supprimer les cotisations « maladie, maternité, invalidité, décès et vieillesse » est que beaucoup des travailleurs bénéficient déjà d’une couverture par leur activité principale.
En clair, les viticulteurs cotisaient pour eux à un régime d’assurance maladie dont leurs travailleurs ne bénéficiaient pas. Les chômeurs de longue durée, eux sont peu présents dans les vignes, car à la recherche de solution de plus long terme. La durée moyenne des contrats est de sept jours. Le « deal » est alors simple : moins de cotisations pour l’employeur, qui verse la différence (environ 8%) pour le salaire du vendangeur. Pour un contrat de 10 jours, c’est un surplus d’environ 75€ pour le travailleur.
« On veut simplifier, mais cela ne profite qu’aux grandes entreprises »
Ce projet de supprimer le « contrat vendanges », toute la profession l’a appris par la presse. Toujours d’après Les Échos, la fin de ces exonérations de cotisation représenterait des recettes de 20 millions d’euros pour l’État français, qui compte baisser ses dépenses de 21 milliards en 2015. Beaucoup de sources interrogées ont indiqué ne pas connaître toutes les dispositions légales de ce contrat de saisonnier particulier, si ce n’est qu’elles « conviennent à tout le monde ». La nouvelle a du mal à passer, surtout qu’à aucun moment les viticulteurs n’ont été avertis.
Le Crédit d’impôt et compétitivité emploi (CICE) doit venir compenser cette difficulté pour les producteurs de vin. Cette mesure permet de déduire de ses d’impôts 6% de la masse salariale des salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. Une mesure « peu lisible » pour les vignerons. Simone Kieffer, chargée de mission à l’association des viticulteurs d’Alsace résume :
« C’est une situation très classique en France où l’on veut simplifier le code du travail pour tous, mais les dispositions ne sont favorables qu’aux grandes entreprises qui sont les principaux interlocuteurs, mais pas aux petites exploitations. Il serait plus cohérent de faire des réglementations par branches. »
Autre mesure qui devait justifier l’abrogation du « contrat vendange » : la baisse des cotisations salariales sur les salaires entre 1 et 1,3% du SMIC dans le cadre du Pacte de responsabilité. Or le Conseil constitutionnel a estimé cet été que cette disposition du pacte était illégale, car elle constitue « une rupture du principe d’égalité ». Contactés par Rue89 Strasbourg, les services de communication du gouvernement n’ont pas donné suite à nos sollicitations pour faire le point sur la question.
« Un système qui marche beaucoup par le bouche à oreille »
Même du côté des syndicats on ne comprend pas trop la motivation d’une telle mesure. Claude Wanyeck est membre de la CFTC en section agricole. Dans le domaine où il est salarié, ce sont 70 vendangeurs qui débarquent chaque automne pour épauler les 30 salariés. Il pense qu’employeurs comme salariés ont à y perdre :
« La viticulture est l’un des rares secteurs où il y a encore des embauches. Les demandes sont centralisées à la Mutualité sociale agricole (MSA) et à la Association des viticulteurs d’Alsace (AVA). L’offre d’emploi est à peu près à l’équilibre avec la demande. Après, c’est un système qui fonctionne beaucoup par le bouche à oreille avec des taux de 80 à 90% de retours d’une saison à l’autre.
Si le contrat disparaît, cela va pénaliser les employeurs qui auront plus de mal à trouver des vendangeurs et donc à terme ces travailleurs occasionnels pour qui il y aura moins d’opportunités. Par ailleurs, beaucoup de contrôles sont en place. Il arrive que les exploitants s’en plaignent, mais les organisations syndicales y sont favorables. Si les entreprises n’ont rien à se reprocher cela permet de continuer cette dérogation sans qu’il y ait d’abus. Pour les cas isolés, peut-être 2% des exploitants, il est normal que ceux-là soient sanctionnés. »
Quelques petites exploitations tentent pourtant encore de resquiller, ne serait-ce que ponctuellement. Le contrat est d’ailleurs assez strictement réglementé : il ne doit que concerner les vendanges (préparation, récolte, rangement du matériel) et non d’autres activité sur le site comme le ménage. Sa durée est d’un mois maximum, sans délai de carence entre les contrats. Les travailleurs ne peuvent pas cumuler plus de 2 mois de contrats de ce type.
Le vin d’Alsace, pas prêt de s’arrêter pour autant
Davantage que les coûts supplémentaires qu’engendreraient la mesure, les viticulteurs craignent surtout de ne plus trouver la main-d’œuvre disponible. Daniel Pettermann, vice-président du syndicat des viticulteurs d’Alsace a rapidement sondé ses employés sur le sujet :
« Dans mon exploitation, environ 25% des vendangeurs ne seraient plus autorisés à faire les vendanges ou ne se sentiraient plus motivés si les dispositions spéciales du contrat venaient à disparaître. »
Pour autant, on refuse de tomber dans le catastrophisme : un peu moins de marge, une production un peu plus faible, regroupement d’exploitations, une modification du cahier des charges de certains vins labellisés, voire plus de vendanges mécaniques et donc une perte de qualité, telles sont les hypothèses les plus probables si la mesure devait être votée.
Pour l’instant, il n’y a pas de réel mouvement de protestation, car les viticulteurs alsaciens sont justement très occupés par les vendanges. Nul doute qu’une fois cette besogne accomplie, la profession saura s’organiser et faire valoir les avantages de ce dispositif auprès des élus. Les réseaux avec le puissant syndicat agricole, la FNSEA, ont déjà été activés. La Champagne-Ardenne (125 000 contrats vendanges par an soit 41%) et l’Alsace devraient à nouveau être à la tête de cette revendication. De quoi donner envie de fusionner dans la même région.
Aller plus loin
Sur Les Échos.fr : La viticulture opposée à la fin du « contrat vendanges »
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