Ils étaient une petite cinquantaine à se retrouver sous le soleil de midi, devant le tribunal judiciaire de Strasbourg. Ce jeudi 16 mars, des enquêteurs de la police judiciaire de toute la France se sont mobilisés, afin de faire entendre leurs inquiétudes au sujet de la réforme de la police nationale, qui entrera en vigueur le 1er juillet 2023.
« C’est la version la plus catastrophique du projet qui a été retenue »
À Strasbourg, c’est leur troisième rassemblement depuis le mois d’octobre 2022. « Mais aujourd’hui, ce sera sans doute le dernier », soupire Michel Thomas, Major de police de 56 ans. « Je suis entré à la PJ de Paris en 1990 et à celle de Strasbourg en 96. La PJ, c’était pour faire de belles enquêtes, arrêter des voyous. Aujourd’hui cette réforme nous supprime en tant que tels. » L’enquêteur est ému. Lorsqu’il lit au micro le discours du rassemblement, sous la bannière de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), sa voix tremble un peu. Et ses collègues le soutiennent, comme ils peuvent.
Officiellement, cette réforme vise à rationaliser les services de police. Jusqu’ici, les différentes unités de la PJ étaient découpées en grandes zones géographiques. À partir du 1er juillet donc, les services de renseignement, de la sécurité publique, de la police aux frontières (PAF) et de la police judiciaire seront sous l’autorité d’un seul et unique directeur départemental de la police nationale (DDPN), qui sera lui-même dépendant du préfet.
L’idée du gouvernement est également d’aider les services d’investigation de sécurité publique à résoudre des milliers d’affaires en cours, en se positionnant en renfort. « Mais c’est un leurre de croire que nos 3 500 hommes et femmes vont tout solutionner », glisse une investigatrice de la PJ.
À l’inverse, les investigateurs de la PJ craignent une perte d’efficacité et une diminution des moyens pour mener à bien leurs enquêtes, qui nécessitent du temps et un savoir-faire particulier :
« C’est selon nous la version la plus catastrophique du projet qui a été retenue par le ministre. C’est tout le maillage territorial de la DCPJ qui disparaît, enterrant du même coup ses capacités reconnues de mobilisation et de réactivité ».
Extrait du discours de Michel Thomas, investigateur à la PJ de Strasbourg depuis 1996.
Certains citent une importante affaire résolue fin février, à Besançon, menant à 25 interpellations dans le cadre de règlements de compte. « Environ 200 personnels, de Dijon, Reims, Strasbourg, Nancy entre autres, ont été mobilisés par la directrice zonale de la PJ Est. Avec la réforme, il faudra que chaque DDPN accepte d’organiser cela », explique notamment une investigatrice. « Maintenant, ce sera trop compliqué, il y aura trop de strates », lâche une policière, amère.
Crainte de l’ingérence politique avec ce nouveau maillage
Les fonctionnaires interrogés ont la même inquiétude : « On ne pourra plus faire notre métier », glisse Boris (prénom modifié), à la PJ de Strasbourg depuis une quinzaine d’années.
« Moi je considère que la PJ à un rôle démocratique. On s’occupe des affaires visant des élus, de grands chefs d’entreprise, des médias… On dépend de la justice, on agit sur commission rogatoire. Si demain on nous place sous la coupe des préfets, on craint des ingérences politiques. On va nous dire de bosser sur telle affaire, mais pas sur telle autre ! C’est une menace pour notre indépendance. »
Une réforme également dénoncée par les magistrats
Quelques magistrats sont également venus au rassemblement, pour marquer leur soutien à la mobilisation contre la réforme. Sébastien Pompey est substitut du procureur de la république de Strasbourg et représentant de l’Union syndicale des magistrats (USM) :
« Nous travaillons au quotidien avec la PJ, sur des enquêtes sensibles pour lesquelles il faut un savoir-faire, une expérience, des moyens. Cette réforme va fondre les effectifs de la PJ avec ceux de la sûreté départementale, et je crains que l’on privilégie le traitement de masse des infractions les plus visibles, à celui de la grande criminalité ou des enquêtes au long cours qui nécessitent du temps, des écoutes etc. »
Considérant les tensions suscitées par cette réforme, les rapporteurs du Sénat ont d’ailleurs proposé début mars au gouvernement un moratoire, afin d’attendre la fin des Jeux Olympiques de 2024. Proposition qui n’a pas été retenue.
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