La question de la norme est très présente chez les médecins qui ont besoin de savoir qui en sort pour déterminer un traitement et en fixer l’objectif. Les livres de médecine sont pleins de normes. Au dessus de telle taille, on est un géant et le nanisme commence précisément en dessous d’une taille bien définie. Il en va de même pour le poids, le rythme cardiaque, la capacité respiratoire, etc. Est-ce pathologique de fixer des normes et quelle est la manière de les déterminer ? Sont-elles valables quelle que soit la période et la société ou sont-elles changeantes et si oui au gré de quoi ?
Profusion de normes, développement de l’individualisme
Les sociétés occidentales et libérales sont confrontées à un mouvement contradictoire. La profusion des normes et même de la traçabilité de nos sociétés policées se heurte au développement de l’individualisme moderne où chacun est appelé à se développer à sa guise, donc à créer ses propres normes.
Or vivre ensemble, c’est bel et bien partager des normes communes et les faire évoluer d’un même pas. Le dernier changement de normes en France n’est pas passé inaperçu : permettre aux homosexuels de se marier s’ils le souhaitent, une modification de la norme commune qui n’a pas fini de faire débat. Et dans le domaine de l’identité sexuelle notre pays est aujourd’hui traversé par une sorte d’injonction contradictoire très forte entre le respect des individus, qu’on n’a pas le droit de stigmatiser, et la norme de notre société fondée sur la binarité sexuelle.
Faut-il accepter qu’il y ait, à l’instar de ce qui a été reconnu dans certains pays voisins, un sexe neutre. Il y aurait alors dans les cartes d’identité, M, F ou X. Et pourquoi, si des personnes le demandent, le leur refuser ? Au nom de quelle norme transcendante ? Au nom de quelle loi naturelle ?
Changements dans la norme sexuelle
Jusqu’à présent la naissance d’un enfant présentant une anomalie des organes génitaux externes donnait lieu à une véritable évaluation multidisciplinaire en urgence pour établir, avec les parents, ce qui pouvait être considéré comme la meilleure solution pour l’enfant, qu’il n’était pas question de consulter bien sûr. Cette évaluation terminée en faisait un garçon ou une fille. En dehors de cela, point de salut.
Cette assignation pouvait être problématique plus tard quand elle ne correspondait pas aux souhaits de l’enfant. Des voix fortes se font entendre aujourd’hui pour différer les actes chirurgicaux et, dans la mesure du possible, de ne pas effectuer cette assignation, vécue comme une manière normée « à l’ancienne » de définir la sexualité en masculin ou féminin. Le changement de norme opère donc un renversement des pratiques médicales qui vont jusqu’à faire différer par des traitements hormonaux la puberté pour respecter le trouble du genre d’un adolescent qui se sent mal dans son corps.
Ces sujets difficiles seront abordés cette année au Forum Européen de Bioéthique avec nombre d’experts et de penseurs qui y viennent très volontiers, non pas pour nous délivrer un prêt à penser, mais pour nous aider avec leurs arguments et leurs débats contradictoires, à nous fabriquer notre propre posture personnelle qui tient compte de nos valeurs et de nos histoires personnelles. Les progrès de la technique et de la biologie sont tels qu’il est nécessaire que les citoyens s’emparent de leur destin et de celui de leurs enfants, sans laisser les scientifiques et le marché en décider à leur place.
Jusqu’où ira t-on ? Que pourra t-on maîtriser ? Quel sera le monde de demain ? Gageons que vous serez nombreux dans les salles et sur internet à suivre ces débats passionnants.
Israël Nisand
Président du Forum européen de bioéthique
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