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« La Mosaïque » à Schiltigheim : une école sans notes, ni punitions

19 élèves du CP au CE2 fréquentent la classe unique de l’école privée La Mosaïque à Schiltigheim. La pédagogie pratiquée est inspirée de celle de Célestin Freinet. Elle passe notamment par le travail sur des projets en atelier. Reportage.

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Une école sans cour. Sans sonnerie. Invisible de la rue. Seul indice de sa présence, quelques voix d’enfants s’échappent des fenêtres entrouvertes du 3e et dernier étage d’un petit immeuble en ce jeudi printanier de mars. Maisons à colombages, église, café, les alentours ont des airs de petit village alsacien éloigné de la capitale régionale. C’est pourtant à quelques coups de pédales du quartier du Wacken à Strasbourg, au centre de Schiltigheim, que se situe l’école privée La Mosaïque, ouverte à la rentrée 2015.

Cette école d’inspiration Freinet accueille 19 enfants du CP au CE2 dans une seule et même classe. Ils viennent des environs, soit Strasbourg, Bischheim ou Hoenheim…

À la recherche de l’accord de l’enfant

« Hello, hello, bonjour, guten tag, welcome, welcome, buenas dias », chantent en chœur les élèves et leur maîtresse, à leur retour en classe après le déjeuner. Une fois ce rituel terminé, Cécile Cozien se tourne vers le tableau où figure le programme de la journée.

« Quoi de neuf, récré, maths », l’enseignante coche ce qui a déjà été fait le matin, sous la dictée des élèves, habitués à cette étape. Ils déclinent ensuite l’emploi du temps de l’après-midi : ateliers projets, récré et exposé. L’exposé du jour sera l’oeuvre de Noha. La date ne lui a pas été imposée par la maîtresse. Le sentant prêt, elle vient de lui demander – et d’obtenir – son accord. Selon Cécile Cozien, l’assentiment de l’enfant est essentiel. Une démarche qui repose sur l’un des trente « invariants » (un ensemble de valeurs) définis par Célestin Freinet, comme elle l’explique :

« C’est important que Noha prenne la décision de présenter son travail, qu’il dise s’il est prêt, si son exposé est terminé et s’il souhaite que le regard du groupe se porte sur son travail. Cela renvoie à l’invariant numéro 1 qui dit que “l’enfant est de même nature que l’adulte”. »

« Méthode naturelle » pour apprendre à lire

Face à une grande bibliothèque bien fournie, le mur extérieur et les fenêtres de la classe portent les traces du travail déjà accompli par les élèves depuis la rentrée. Une frise du temps des dinosaures au temps des premiers hommes, illustrée par des dessins, des peintures et figurines en pâte à modeler, et de grandes affiches avec des textes portant la signature de leurs auteurs.

« C’est dans le cahier bleu, le cahier d’écrivain, qu’on écrit nos histoires », clarifie Elisa, avant de feuilleter fièrement son œuvre et d’insister pour nous lire son histoire préférée. Cécile Cozien détaille les usages possibles des textes écrits par les enfants :

« Ils peuvent servir de support de lecture, être affichés dans la classe, envoyés à “la Gerbe d’histoire d’enfants” (une publication du mouvement Ecole Moderne-Pédagogie Freinet, ndlr), tapés à l’ordinateur ou intégrés à un recueil de textes édité et remis aux parents. »

Elisa lit fièrement son histoire préférée dans son « cahier d’écrivain ». (Photo IM / Rue89 Strasbourg)

Ici, pas de méthode de lecture ! Les élèves apprennent à lire à partir de textes écrits par des enfants de la classe selon la « méthode naturelle ». Pour expliquer en quoi elle consiste, l’enseignante use d’une comparaison :

« Comment faites-vous pour apprendre à parler à vos enfants ? Vous leur parlez et comme ce sont des êtres humains géniaux, ils parlent ! Nous faisons le pari qu’on apprend à lire en lisant et à écrire en écrivant. Au départ nous leur expliquons la fonction de ce magnifique cahier d’écrivain dans lequel ils peuvent écrire tout ce qu’ils veulent. Le texte choisi comme support de lecture est souvent celui pour lequel on a perçu un véritable engouement, une émotion palpable, dans la classe. Nous aidons plus ou moins les enfants, selon leurs besoins. Cette année, un enfant a appris à lire en quinze jours, une autre petite fille en quatre semaines. Parfois, les enfants qui ont moins d’intérêt pour la lecture peuvent mettre deux ans. C’est comme pour apprendre à parler ou marcher. Tout le monde ne va pas à la même vitesse. La pédagogie Freinet prend le temps. »

En miroir des textes d’enfants, la maîtresse propose régulièrement des textes d’auteurs. Une manière de démontrer que la classe n’est pas isolée du reste du monde et de la culture.

Pas de notes, des ceintures de couleur

Place aux ateliers !  Au menu : géographie, géométrie, modelage, exposé, peinture, puzzle, écriture au tableau. Là encore, pas de figure imposée par l’enseignante. Chaque enfant s’inscrit, en fonction de ses envies, des places disponibles et de la « ceinture de couleur » nécessaire.

« La peinture, c’est ceinture jaune », précise Cécile Cozien. Dans sa classe, pas de notes, mais des ceintures de couleurs, selon le niveau de compétences et d’autonomie de l’élève. Comme au judo, les ceintures s’échelonnent de la blanche à la noire. Cette gradation ouvre des droits aux enfants, comme le détaille l’enseignante :

« À partir de la ceinture blanche, on se déplace dans la classe comme on veut. À partir de la ceinture jaune, on apprend à présider des moments de paroles, à partir de bleu, on peut sortir de la classe sans demander d’autorisation. Le système de ceintures est propre à la pédagogie institutionnelle, une branche de la pédagogie Freinet. L’atelier peinture demande un bon niveau d’autonomie. »

L’atelier géométrie consiste à produire des dessins à base de figures géométriques. (Photo IM / Rue89 Strasbourg)

Priorité à l’autonomie

« C’est code orange », lance la maîtresse, avant l’installation des ateliers. Un enfant aimante un gros carré orange au tableau par dessus un autre carré de couleur rouge. Cécile Cozien explicite l’utilisation de ces codes :

« Le code rouge signifie que le travail s’effectue en silence. En général, on l’utilise pour privilégier le projet personnel. Pour le travail de groupe, c’est le code orange. Les chuchotements sont autorisés. »

L’atelier peinture demande un bon niveau d’autonomie.

Les groupes s’installent de leur propre chef. « L’objectif est de former des enfants débrouillards, responsables et soigneux », commente l’enseignante, avant de se tourner vers un élève passif et de lui glisser : « c’est toi qui sort les crayons. »

Sur une table au fond de la classe, Kataryna souffle délicatement dans une paille pour disperser les gouttes de peinture déposées sur sa feuille. L’enseignante valorise :

« Elle a mis son tablier et préparé son atelier toute seule. »

L’élève de CP lance fièrement :

« J’ai juste eu besoin d’aide pour savoir où étaient les peintures. »

Un questionnement, des élèves-chercheurs

À deux mètres de là, Maeva Szpirglas, assistante d’éducation présente de la pause repas à 18h, accompagne Elena dans la réalisation de son exposé sur la prise de la Bastille. La fillette s’appuie sur une bande dessinée pour prélever des informations. L’adulte l’écoute lire et lui glisse :

« Piller, tu sais ce que cela veut dire ? »

L’enfant répond par la négative. L’assistante d’éducation propose « dérober » puis « voler ».

Passant d’un atelier à l’autre, Cécile Cozien questionne beaucoup les élèves. Elle les met sur la voie de sources documentaires susceptibles d’apporter des réponses à leurs interrogations. Le plus souvent, ils cherchent… et trouvent !

Pas de punitions

Pendant les ateliers, l’enseignante rappelle plusieurs fois la nécessité de chuchoter mais ne punit pas. Si Célestin Freinet jugeait l’ordre et la discipline nécessaires en classe, il estimait que les punitions étaient toujours une erreur, comme le précise un autre de ses « invariants » :

« Elles sont humiliantes pour tous et n’aboutissent jamais au but recherché. »

Avant que ne soit annoncée l’heure du rangement des ateliers, Maeva, diplômée en illustration de la HEAR (Haute école des arts du Rhin) et de l’Ecole Estienne, prévient Kataryna de commencer à faire table rase :

« Tu as l’atelier le plus long à ranger. »

Une présentation orale du travail

Une fois le ménage effectué, restent les œuvres et les travaux posés devant chaque élève. C’est l’heure de la restitution. L’occasion d’entendre les enfants expliquer leurs productions ou les avancées de leurs recherches. Esteban monte sur l’estrade et fait rire la classe en présentant l’histoire de son extraterrestre réalisé lors de l’atelier géométrie. Selma montre le livre qu’elle vient de lire. La peinture de Kataryna est saluée par les applaudissements de ses camarades. Noha soulève le scorpion qu’il a réalisé en pâte à modeler. Cet animal qui le passionne est aussi le sujet de son exposé. Il se désole de n’avoir pas eu assez de pâte pour le finir.

À la table du groupe « exposé », Céleste se targue d’avoir trouvé que le lapin de Garenne était « nuisible pour les plantes ». Un enfant l’interroge sur le sens du mot nuisible. L’élève sèche. L’enseignante rassure :

« C’est très bien que cette question soit posée comme ça tu pourras chercher avant de présenter ton exposé. Et dans quel livre pourrait se trouver la réponse que cherche Céleste ? »

Enthousiaste, un élève de CP se lance :

« Le dictionnaire ! »

Céline Cozien conclut invite Céleste à indiquer à la classe ce qu’il aura trouvé la prochaine fois. De nombreux enfants expriment à haute voix leur désir de voir vite arriver la prochaine séance d’atelier, pour entendre la réponse de Céleste. Pour ceux qui résisteraient à la curiosité d’aller chercher dès que possible dans le dictionnaire…

Des élèves, du travail, un métier

Dans cette école pas comme les autres, aucune sonnerie n’indique que c’est l’heure de la récréation. Ici, rappeler l’heure est un métier. C’est celui d’Ariel, comme l’indique le tableau des métiers affichés dans la classe. Ce dernier indique également qui se charge notamment de distribuer les cahiers, répondre à l’interphone ou écrire la date. Cécile Cozien insiste sur le rôle des métiers dans la classe :

« L’enfant n’est pas uniquement dans le jeu mais dans le travail. Freinet a voulu faire rentrer le vrai travail dans la classe, proposer une pédagogie par le travail, sans activité de rabâchage ou occupationnelle. Il était issu de milieu paysan et ancien poilu de la guerre de 1914. Il avait, par exemple, fait rentrer la première imprimerie, faite par l’un de ses amis dans la classe. Nous organisons des ateliers imprimerie pendant lesquels les enfants composent un texte, caractère par caractère, font chauffer l’encre, et font sécher la production. Dans le même esprit, notre classe sort pour aller à la rencontre de professionnels, comme le vétérinaire du quartier ou le restaurateur. Nous accueillons également des gens qui viennent raconter leur métier. C’est très important que la classe ne soit pas fermée sur elle-même. »

Une récréation au parc public

La récréation aussi est ouverte sur l’extérieur ! Comme La Mosaïque n’a pas de cour, ce temps prend même des airs de sortie scolaire. Direction le parc public du centre ville, à quelques rues de là.
Comme dans n’importe quelle cour de récréation, les élèves se chamaillent, viennent se plaindre à la maîtresse d’avoir reçu un ballon sur la tête ou un coup dans le dos. Cette fois encore, Maeva et Cécile amènent les enfants à résoudre les conflits par le dialogue sans jamais brandir de menaces de punition.

Après la récréation, les élèves s’installent sur des canapés, dans une pièce qui fait face à la salle de classe. L’heure sera à la lecture d’une lettre de la responsable de La Gerbe, journal des écoles Freinet de la région, à laquelle la classe propose régulièrement des textes pour publication.

Pas d’ « écoles Freinet » dans le public

Certaines « classes Freinet » de l’enseignement public contribuent également à l’écriture de ce journal. A l’instar de ce qu’a fait Cécile Cozien avec les siennes, avant de prendre sa retraite de l’Education nationale et de rejoindre La Mosaïque (lire ci-dessous), des enseignants du public « font du Freinet », dans leurs classes, ici ou là. Mais aujourd’hui, les parents qui scolarisent leur enfant dans l’école publique de secteur ne peuvent pas être sûrs que celui-ci croisera un jour des « enseignants Freinet », comme Cécile Cozien. Elle aimerait d’ailleurs que des écoles Freinet comme La Mosaïque, puissent exister dans le public.

« Mais cela supposerait que les directeurs d’écoles aient la liberté de recruter une équipe d’enseignants. Et je ne crois pas que les syndicats d’enseignants adhèrent à cette idée. Ils souhaitent que les mutations reposent sur des critères objectifs, tels que l’ancienneté et la notation. »

Une seconde classe en projet

Être assurés que leurs enfants suivent tout un cursus « Freinet », voilà très précisément ce qui a motivé des parents à passer quatre années à travailler pour monter cette école privée associative. La Mosaïque envisage d’ouvrir une seconde classe à la rentrée 2017. Le petit espace au dernier étage de l’immeuble du centre ville de Schiltigheim ne suffira pas. L’association est en quête d’un nouvel espace…

 


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