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La méthode de Stéphane Breitwieser, « le voleur d’art le plus prolifique d’Europe »

Par passion pour l’art, Stéphane Breitwieser a subtilisé plus de 300 œuvres dans près de 170 musées européens. Retour sur une vie de vols hors-norme.

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Fin des années 90, une Opel Tigra pleine d’œuvres d’art quitte Bruxelles. Stéphane Breitwieser et Anne-Catherine Kleinkaus sont ivres de joie en rentrant pour l’Alsace. Ensemble, ils viennent de ravir une sublime sculpture d’ivoire datant du 17ème siècle. La statuette de Georg Petel, un ami du peintre flamand Pierre Paul Reubens, vaut plusieurs centaines de milliers d’euros. Elle rejoint une centaine de tableaux dans la chambre du voleur, à l’étage de la maison de sa mère à Eschentzwiller (Haut-Rhin)… Car le jeune homme ne vole pas pour le gain mais par passion.

« Adam and Eve », sculpté en 1627 par Georg Petel (Wikicommons)

Sa « caverne d’Ali Baba »

Dans sa « caverne d’Ali Baba », comme ce féru d’art aimait l’appeler, des toiles de grands maîtres occupent le moindre recoin disponible. Elles sont signées Adriaen van Ostade, François Boucher ou encore Lucas Cranach le Jeune. Le tableau de ce dernier « vaut peut-être plus que toutes les maisons du quartier de Breitwieser, multiplié par deux », note le journaliste américain Michael Finkel dans une enquête très poussée intitulée « Les secrets du plus grand voleur d’art du monde ». Ces oeuvres inestimables remplacent de « minables meubles Ikea », écrit l’autodésigné « professionnel de la rapine » dans « Confession d’un voleur d’art ».

Village d’Eschentwiller, où Stéphane Breitwieser a vécu avec sa mère pendant plusieurs années. (Photo Tristan Vuano)

Pierre Dumont, directeur de la société Codine, connait bien la méthode Breitwieser. Pour ce spécialiste de la protection des musées, le voleur alsacien a su exploiter la faille de nombreux établissements : « Beaucoup d’entre eux n’avaient pas les moyens de se protéger le jour… » Il n’hésite pas à qualifier l’amateur d’art de « voleur le plus prolifique d’Europe », avec près de 300 objets volés dans plus de 170 musées. « Il connaissait parfaitement les ficelles du métier », ajoute l’expert avant de livrer l’un des secrets de Stéphane Breitwieser : « La meilleure arme des voleurs de musées, c’est la nonchalance. »

Page de garde de la présentation de Pierre Dumont, directeur de l’entreprise de protection des musées Codine. (Capture d’écran)

L’air de rien, Stéphane Breitwieser passe des journées dans des musées. Il repère les sorties intéressantes, le nombre de gardiens de sécurité et les caméras en place. Lorsqu’il est en compagnie d’Anne-Catherine Kleinkaus, elle veille devant la salle où se trouve l’oeuvre à voler. Elle tousse à l’approche d’un surveillant. Pour éviter les hordes de touristes, et une protection des œuvres trop poussée, le voleur alsacien préfère les établissements de plus petite taille et les heures creuses, entre midi et deux.

Petits tableaux, sous le manteau

Pour ne pas être remarqué, le voleur d’art préfère aussi les objets et les tableaux de petite taille, autour de 30 cm sur 30. Ainsi, Stéphane Breitwieser peut recouvrir l’oeuvre d’un ample manteau ou d’une cape. S’il en a le temps, il se débarrasse du cadre dans les toilettes du musée. Le voleur sait qu’il pourra toujours réencadrer l’oeuvre à Mulhouse. Certes, le jeune homme enchaîne les boulots mal payés, animateur en colonie de vacances, employé de grande surface, serveur… Mais sa mère et ses grands-parents lui donnent souvent de gros chèques et des petites enveloppes, bien garnies.

Breitwieser connait bien le galeriste et encadreur Christian Meichler. Le voleur lui a passé de nombreuses commandes dans les années 90. « Ce qui m’a touché chez ce garçon, c’était sa sensibilité et sa culture. Il voyait vraiment l’âme des objets. De ce fait, j’avais vraiment un échange fructueux avec lui », se souvient le passionné d’art figuratif, aujourd’hui à la retraite.

« Bonne bouille » et « courtois »

Pendant de nombreuses années, le galeriste mulhousien ne s’est douté de rien : « Il avait une bonne bouille, il était agréable et courtois. Il venait souvent avec sa mère qui signait les chèques. Ca se voyait que leur relation était fusionnelle. » Christian Meichler se souvient toujours d’une scène qui aurait pu lui mettre la puce à l’oreille :

« Un jour, Stéphane a amené un tableau qui a beaucoup impressionné mon père, qui était artiste (Ernest Meichler, voir vidéo ci-dessous, ndlr). C’était une oeuvre du 17ème siècle, une merveille de clair-obscur… En sa présence, mon père avait souligné sa surprise face au jeune âge du propriétaire. Moi j’étais fier d’avoir encadré une gravure de l’école de Rembrandt. J’avais donc laissé l’oeuvre derrière la vitrine de la galerie un moment… A partir de ce moment là, Stéphane ne me donnait plus les tableaux qu’il voulait encadrer, mais seulement leurs dimensions. Il a appris à encadrer lui-même. »

La piste des enquêteurs : un réseau international

Pendant plusieurs années, Stéphane Breitwieser et sa compagne ne cessent de voyager, en Belgique, au Luxembourg, en France, en Allemagne, en Suisse… Ils volent dans de grands établissements, des ventes aux enchères, des foires d’art ou des petits musées… Dans les journaux, le voleur se délecte des fausses pistes suivies par les enquêteurs. Ils soupçonnent l’existence d’un réseau international de trafic d’art. C’est tout le contraire avec Breitwieser. Il est seul, la plupart du temps, et ne cherche pas à s’enrichir. Il vole « par amour de l’art » et reste ainsi indétectable.

Avec la pratique, le voleur enchaîne les coups parfaits. A plusieurs reprises, il s’empare d’une oeuvre pendant une visite guidée, qu’il suit jusqu’à la fin. Aux Pays-Bas, pendant une foire d’art, il entend crier « Au voleur! » avant d’apercevoir le coupable, accompagné de plusieurs policiers. L’Alsacien profite du moment pour subtiliser une peinture. Rien ne semble l’arrêter : en février 2001, il s’éprend d’une tapisserie de Flandres du XVIIème siècle de trois mètres de long. Le voleur la décroche, la roule et la jette par la fenêtre sur un talus…

Des tableaux jetés dans le Rhin

L’incroyable série de vols parfaits prend fin le 20 novembre 2001. La police arrête l’Alsacien au musée Richard-Wagner de Lucerne. Le galeriste mulhousien se souvient avec douleur des suites de l’arrestation : « J’ai ressenti un choc terrible en apprenant que la mère Breitwieser avait jeté les tableaux dans le canal du Rhin. Toutes ces merveilles qui disparaissent alors qu’ils auraient pu venir vers nous. Nous sommes bienveillants, on les aurait aidés à restituer les œuvres… »

Thierry Moser a défendu le voleur de musées lors de ses deux premiers procès, en Suisse puis en France. L’avocat alsacien fait alors face à un client difficile :

« J’essayais de lui faire mesurer la gravité de ses actes. Mais son discours restait le même : « Je suis un amateur d’art éclairé. Les visiteurs ne comprennent rien. Je suis le seul à voir avec honneur ces oeuvres. Je dois donc les soustraire des musées, qui ne s’en occupent pas bien. »

Condamnations sans fin

Suite à une première condamnation à quatre ans de prison en 2003, Stéphane Breitwieser a été condamné à trois ans dont dix mois avec sursis en France en 2005. Sa mère a été reconnue coupable de la destruction des tableaux et a passé quelques mois en prison. Anne-Catherine Kleinkaus est sortie libre du procès. Ni la mère, ni l’ex-copine ne se sont exprimées dans la presse.

Le galeriste Christian Meichler éprouve un second regret au sujet de l’affaire Breitwieser : « J’ai été naïf. Lorsqu’il est sorti de prison en 2005, j’ai cru qu’il ne recommencerait pas. J’étais le seul à encore lui parler… » Mais en 2011, la police arrête à nouveau l’Alsacien… Interdit de musées, il a cette fois commis plusieurs vols en marge de ventes aux enchères en France, en Allemagne et Belgique. Il est condamné à trois ans d’emprisonnement… En 2015, le tribunal correctionnel de Colmar le renvoie en prison, cette fois pour le vol de vêtements, CD et DVD…

En février dernier, Stéphane Breitwieser a été mis en examen et incarcéré pour plusieurs vols, en Alsace notamment. Au musée Théodore Deck de Guebwiller, c’est une petite porte d’un cabinet espagnol du XVIe siècle qui aurait été subtilisée. Les enquêteurs soupçonnent aussi le vol de plusieurs presse-papiers au musée Théodore Deck du cristal de Saint-Louis. Contacté, le président de l’établissement est étonné : « Nous n’avons remarqué aucun vol ici. Je ne sais pas pourquoi la presse évoque ces presses-papiers. » Ou bien simplement un énième vol parfait du célèbre « Arsène Lupin alsacien »?


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