En déjeunant.
D’un coup comme ça sans prévenir.
Le Samu est venu très vite, mais Marguerite était morte. Ils ont dit qu’elle avait avalé de travers. Marguerite avait presque 97 ans. Elle est morte en quelques instants dans sa maison de retraite.
La première fois que j’ai vu Marguerite, c’était il y a 15 ans. Elle est venue consulter à mon cabinet essoufflée. Comme dirait @DocAdrenaline, ma copine urgentiste : « Je la sentais pas ». Elle est sortie de mon cabinet avec le SMUR. Sacrée rencontre ! Marguerite faisait une embolie pulmonaire. Elle a été hospitalisée et elle est revenue trois semaines plus tard me voir au cabinet pour me remercier. Cela m’a beaucoup touchée.
Marguerite était une patiente charmante, attachante. Avec l’âge j’ai du venir la consulter en visite : prothèses de hanches, prothèse de genou, la mobilité s’en allait doucement année après années. Et Marguerite faisait des malaises, des chutes, dont le bilan restait toujours négatif. Marguerite a même été dégagée de chez elle, un jour, après une chute avec séjour prolongé au sol, par les pompiers qui sont passés par la fenêtre de son deuxième étage.
Ses deux filles adorables ont été toujours très attentives malgré leur éloignement géographique. Toujours en train de prendre un TGV à tour de rôle, Paris -Strasbourg en 2h17. Nous avons correspondu par mail quand son état s’est dégradé.
Un penchant pour la bouteille
Et elles m’ont raconté : son alcoolisme depuis toujours. L’alcool qu’elle cachait dans ses valises, dans le flacon d’eau bénite à l’effigie de Marie qu’elle emportait avec elle en voyage. Les chutes… s’expliquaient.
Marguerite n’a jamais été imbibée lors de mes visites. Elle cachait soigneusement son addiction. Même quand je lui posais la question, elle niait farouchement.
Et puis il y eu les infirmières avec la perte d’autonomie : les bouteilles vides. L’interdiction à l’aide ménagère d’acheter de l’alcool. Et les chutes qui continuaient au rythme d’une ou deux par an.
Une fois, une seule, j’y suis allée contrairement à mon habitude en fin de matinée. Je suis arrivée en même temps qu’un livreur de caisses de vin (du très bon). Et là Marguerite de m’expliquer à Pâques que c’était pour des cadeaux de Noël…
A force de chute et la démence liée à l’âge et à l’alcool s’installant, je lui ai proposé la maison de retraite médicalisée. Elle a mis plusieurs mois à l’accepter. Et une fois installée dans sa chambre là-bas, elle préparait régulièrement sa valise pour partir avec son mari mort 20 ans auparavant.
Démence joyeuse à la maison de retraite
Marguerite a eu une démence joyeuse, frontale comme nous disons dans notre jargon. Toujours à rire de tout, à applaudir, la boute-en-train de l’unité Alzheimer.
Les deux dernières années , elle ne me reconnaissait plus, ni ses filles d’ailleurs, vivant dans un monde parallèle. Je repense à elle avec tendresse.
Toutes les démences n’évoluent pas et de loin s’en faut comme celle de cette malade. La plupart ont un syndrome dépressif important, une passivité très importante et des familles usées qui ne viennent plus trop les voir, peu stimulées par le manque de souvenir du malade qui ne les reconnaît plus. Pourquoi venir puisqu’il ne s’en souvient pas ?
La maison de retraite peut pourtant souvent être évitée si la famille est très proche, mais on ne voit cela que très rarement en raison de l’investissement en temps que cela demande aux aidants.
A domicile, les malades peuvent bénéficier de l’intervention d’aide-soignants pour les aider à la toilette, à l’habillage, d’une femme de ménage , ainsi que pour les cas déjà avancés de démence de l’intervention d’une auxiliaire de vie qui les aidera à faire les courses à les faire manger, ainsi que pour les actes de la vie quotidienne. Un portage de repas à domicile y est souvent associé. L’ensemble de ces aides est subventionné par une allocation, l’APA (aide personnalisée à l’autonomie) dont l’importance dépend de la perte d’autonomie et des revenus du malade. Cette allocation est dispensée par le Conseil général.
En attendant, la maison de retraite de type EHPAD ( établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) est une solution.
Le coût n’est pas négligeable, souvent 2 000€ par mois en Alsace, voire beaucoup plus ailleurs, somme souvent bien supérieure à la retraite du malade. L’APA peut également être utilisée pour le paiement ainsi que la participation des familles.
Les atouts des « unités Alzheimer »
J’ai la chance d’intervenir dans trois maisons de retraite de Strasbourg qui sont vraiment des lieux d’accueil exceptionnels avec un personnel efficace des médecins référents à l’écoute, disponibles quand il y a des problèmes avec mes malades.
Je trouve pourtant que les conditions de travail y sont difficiles souvent avec un personnel insuffisant et j’admire les aides soignant(e)s et infirmier(e)s qui y travaillent tous les jours. Ces maisons de retraite avec secteur spécialisé dit « Unité Alzheimer » font de gros efforts thérapeutiques sous l’impulsion de leurs équipes menées par leur médecin référent.
J’ai par exemple eu l’occasion tout récemment de visiter une chambre de type Snoezellen, installée depuis peu dans une de ces maisons, et j’ai trouvé cela formidable pour soulager la tension psychologique liée à la maladie d’Alzheimer. Ce genre d’innovation est encore assez rare, mais laisse de l’espoir quant à l’amélioration de la prise en charge des maladies d’Alzheimer évoluées.
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