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À Strasbourg, la hausse des loyers étrangle les commerçants indépendants

Dans le centre-ville, les grandes enseignes remplacent les commerçants indépendants. Les loyers commerciaux atteignent des niveaux que seuls de grands groupes peuvent soutenir. Pour autant, le nombre d’emplacements inoccupés est parmi les plus bas de France.

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Le magasin Costar doit déménager rue du Fossé-des-Tanneurs. (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Après quinze ans de vie entre shampoings et coups de ciseaux à pomponner ses clientes, Tania a dû mettre la clé sous la porte en septembre. Au renouvellement de son bail commercial, son propriétaire souhaitait faire passer son loyer de 1 300€ à… 4 500€ ! La gérante du salon Créatif, niché ruelle des Pelletiers en plein centre-ville de Strasbourg, a alors saisi le tribunal. Mais celui-ci a fixé le loyer à… 2 500€, avec effet rétroactif d’un an. Un choc pour Tania, avec pour conséquences le dépôt de bilan et deux salariées licenciées :

« Les juges ont pris en compte la moyenne des loyers du secteur, sans forcément tenir compte des chiffres d’affaires. Or ce n’est pas tenable face aux franchises. J’ai abandonné une clientèle qui n’avait pas envie d’aller chez Dessange ou autre. Celles qui ont 35 ans s’en fichent, mais les personnes âgées recherchaient une âme dans mon salon. »

À Strasbourg, selon le Journal des enseignes, les loyers commerciaux flirtent ainsi avec les 2 000€ annuels du mètre carré sur les « emplacements numéro 1 » (au sein d’une zone autour de la rue des Grandes-Arcades, des Halles, et de la place Kléber). Un montant déjà très élevé mais qui ne révèle qu’une partie du marché, selon Patrick Heulin, à la Chambre de commerce et d’industrie :

« On s’aperçoit qu’à chaque vente, les prix peuvent exploser… C’est très difficile d’avoir une vision précise du marché. »

Car ce qui est de l’ordre du privé… reste privé, rappelle Jean-Jacques Gsell, conseiller municipal (PS) en charge du commerce, bien démuni face à ce constat. Son seul outil : la préemption, qui offre à la Ville une priorité lors de la vente d’un fonds de commerce. Mais évidemment, cet outil est à manier avec parcimonie :

« On l’a fait pour la pharmacie du Cerf qui est devenue la boutique Culture car un fast-food voulait s’installer place de la Cathédrale. Mais on ne peut le faire à tout va. Malheureusement, à Strasbourg, comme partout, le commerce indépendant disparaît. »

Seulement 2,5% des locaux commerciaux inoccupés

Après 58 ans d’exercice, Fourrures Canada, rue des Grandes Arcades, a mis la clé sous la porte cette année, remplacée par l’enseigne espagnole de prêt-à-porter Desigual, pourtant déjà présent aux Halles et à Rivétoile. Des Jours et des Lunes, boutique indépendante pour enfants de la rue des Juifs, a tiré sa révérence peu après la rentrée de septembre. Ses locaux sont toujours vides. Quant à Costar, la boutique de prêt-à-porter pour hommes s’est retirée de la très en vue rue des Francs-Bourgeois pour la nettement moins passante rue du Fossé-des-Tanneurs.

En son temps, la pharmacie de la Rose a dû céder sa place à Adidas pour rejoindre la rue des Orfèvres. Sans parler du turn-over un incessant des boutiques rue Sainte-Madeleine ou Grand’Rue, et du vide abyssal de commerces rue de la Division-Leclerc.

Seuls 2,5% des locaux commerciaux seraient inoccupés d’après une étude du Procos. (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Mais aux Vitrines de Strasbourg on préfère regarder les chiffres du taux d’occupation des commerces, avec seulement 2,5% de vacance contre 12,5% à Mulhouse ou 8,9% à Colmar. Pour le directeur général, Pierre Bardet, la demande de locaux commerciaux reste très forte au centre-ville :

« Il n’y a pas beaucoup de magasins vides, et quand ils le sont, c’est souvent pour des problèmes juridiques. À l’instar des anciens locaux de Virgin, ou la fameuse « verrue » du Schutzenberger place Kléber, toujours sans repreneur. »

H&M et Uniqlo ont ouvertes de vastes boutiques rue du Noyer mais Tania, n’a toujours pas d’acquéreur pour son fonds de commerce ultra central. Ses problèmes juridiques sont pourtant loin derrière elle. Ce qui pêche, c’est le manque de boutiques multi-marques différentes. Pour être rentables, les boutiques des grandes enseignes ont besoin de beaucoup d’espace.

Les effets de la loi Pinel vivement attendus par les indépendants

Car pour les commerçants indépendants, il faut pouvoir payer 1 500€ de loyer pour un 20 m² dans l’emplacement numéro 1 et arriver à la fin du mois à se verser un salaire, comme en témoigne une commerçante qui préfère garder l’anonymat, en pleine procédure judiciaire avec son propriétaire :

« J’ai une bonne clientèle, mais avec l’augmentation de 300€ de mon loyer depuis que j’ai un nouveau propriétaire, c’est impossible de continuer. Le pire, c’est que j’essaie de vendre mon fonds, mais il me met des bâtons dans les roues. On me dit de déménager. Mais les loyers sont trop élevés dans l’hypercentre ! »

Et voilà la fin annoncée de l’activité d’un autre petit commerçant du centre-ville, élément pourtant essentiel d’une diversité de l’offre à Strasbourg, loin des boutiques standardisées des grands groupes. Le gouvernement a finalement introduit quelques mesures pour réguler les loyers commerciaux dans la loi Pinel, votée en juin 2014. Ainsi, les hausses de loyer de plus de 10% lors d’une relocation sont interdites, sauf lorsqu’il y a eu d’importants travaux ou un changement d’activité. De même, comme pour les logements des particuliers, les augmentations de loyers ne pourront plus être indexées sur la base de l’ICC (indice du coût de la construction), dont les variations sont trop fluctuantes.

L’application des dispositions de cette loi diffère de septembre à décembre 2014 selon les articles. Mais il faudra sans doute plus qu’une loi pour que les effets délétères de la concentration dans les grandes enseignes de distribution ne s’estompent.


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