« Bonjour, vous aviez rendez-vous ? » Assise au fond de la salle d’attente de la Cimade, la personne hoche timidement la tête. Elle vient pour une adresse de domiciliation, étape essentielle pour déposer une demande d’asile à la préfecture. Elle est reçue à l’accueil. Le stagiaire qui la réceptionne s’excuse :
« Le bureau est trop petit. On va déménager. La réouverture de l’association est prévue le 27 novembre. On a déjà des rendez-vous pris jusque dans un mois. »
Le téléphone sonne toutes les deux minutes. Dans une salle, une personne d’origine africaine est reçue avec son enfant. Il joue avec de gros cubes en bois, tirés d’une caisse de jouets. Dans les locaux épurés qui donnent sur le quai Saint-Nicolas, la Cimade accueille les migrants. Cette notion floue et souvent mal comprise désigne les personnes étrangères qui viennent en France pour faire des études, travailler, rejoindre leur famille ou demander l’asile.
Plus de 1 200 personnes sont suivies ici chaque année. Beaucoup sont originaires d’Europe de l’est ou de Russie. Elles ne parlent pas bien français, parfois pas du tout mais il y a toujours quelqu’un parmi les bénévoles et les autres migrants pour aider à traduire. Avec trois permanences chaque semaine, les bénévoles tentent d’apporter une aide juridique aux personnes qu’ils reçoivent et d’atténuer la lenteur de l’administration. Étudiant à l’IEP, Louis s’est engagé dans l’association il y a plus d’un an :
« Je voulais du concret et me sentir utile. Parfois c’est difficile car on se sent impuissant. On est face à des gens en situation de grande pauvreté, vivant souvent dans la rue. On ne peut pas les aider de ce côté-là. »
Avec lui, une cinquantaine de bénévoles travaille à flux tendu. Des jeunes, des retraités mais aussi des gens actifs.
Aider oui mais s’engager ?
La vague d’émotion suscitée par la photo du petit Aylan, retrouvé mort face contre terre sur une plage turque, a ébranlé la communauté associative et citoyenne de Strasbourg. Des associations sont nées sur Internet, des initiatives ont été lancées par les citoyens, bientôt rejoints par la ville qui a mis en place un numéro vert pour orienter les bonnes volontés vers les associations déjà existantes.
L’association Singa répertorie les propositions d’aide en France sur son site internet
À la Cimade, la directrice régionale Françoise Poujoulet explique qu’elle n’a jamais reçu autant de propositions d’aide depuis septembre. Nadine, une bénévole retraitée, est chargée de recruter les nouvelles bonnes volontés. Plusieurs possibilités de bénévolat sont proposées allant de la sensibilisation à l’accompagnement mais l’engagement est relativement contraignant car il demande un investissement sur l’année et la participation à des formations sur le droit des étrangers. Certains candidats peuvent donc être rapidement découragés. Nadine préfère refuser ceux qui ne veulent consacrer que quelques heures par-ci par-là :
« On est toujours à la recherche de bénévoles. Le problème, c’est que les gens veulent donner mais pas s’engager. Or accueillir nécessite de s’investir et d’être à l’écoute. On reçoit même des formations pour gérer les problèmes. »
Des problèmes, que les bénévoles doivent souvent traiter au cas par cas. Un étage en dessous dans le même bâtiment, le collectif Casas s’occupe des demandeurs d’asile. Entre l’aide à la constitution des dossiers et les recours en cas de refus de la préfecture, environ mille personnes sont suivies chaque année. Pascale Adam, la directrice, explique :
« Quand vous recevez des personnes qui ont subi des violences, elles peuvent s’emmurer dans le silence ou manquer d’attention. C’est difficile de faire le dossier avec elles et s’assurer qu’elles comprennent ce qu’on leur dit. Il faut les mettre en confiance. »
Avec un psychanalyste, l’association organise une fois par mois un groupe de parole. Chacun soumet aux autres une situation particulièrement difficile à laquelle il a été confronté. Ensemble, ils réfléchissent à la manière de réagir.
Donner à tous ou ne rien donner du tout
À la permanence Arc-en-ciel de Caritas, Germain Mignot constate également une hausse des propositions d’aide depuis septembre. Parfois, il doit recadrer les bonnes volontés :
« Certaines personnes ne veulent donner qu’aux Syriens ou qu’aux réfugiés. D’autres veulent donner à tout le monde sauf aux réfugiés. Dans ce cas, on refuse et on explique aux gens que leurs dons ne s’adressent pas qu’à une catégorie de personnes mais qu’ils sont valables pour tous ceux qui sont en situation précaire. »
Pour l’association Alsace-Syrie, qui tente de trouver un toit pour les trois ou quatre familles syriennes qu’elle reçoit chaque semaine, difficile parfois de loger les hommes, comme l’explique le président Nazih Kussaibi :
« L’autre jour, une femme est venue et m’a dit qu’elle désirait accueillir un couple ou une femme avec un enfant qui pourrait jouer avec le sien. Je lui ai répondu que je n’avais pas de famille mais un garçon. Elle a refusé. Après quelques jours, elle a finalement changé d’avis. »
Au bout de la chaîne de solidarité, les réfugiés
Depuis la rentrée, l’université de Strasbourg a mis en place un dispositif pour les étudiants étrangers ayant le statut de réfugié. Il permet l’exonération des droits d’inscription pour ceux qui sont arrivés sur le territoire français depuis le 1er janvier 2015. 25 étudiants se sont inscrits : parmi eux, 12 Syriens, 12 Irakiens et un Iranien.
L’université de #Strasbourg dispense des cours de français gratuits aux #réfugiés >> https://t.co/1sk0sE6P9j pic.twitter.com/ZQTAPom2mP
— iTELE (@itele) 10 Novembre 2015
Âgés de 19 à 54 ans, ils ont tous un niveau universitaire assez élevé mais aucun d’entre eux ne maîtrise le français. Un deuxième groupe doit voir le jour au second semestre, pour accueillir la trentaine d’étudiants placée sur liste d’attente. Pour Mathieu Schneider, si le dispositif a eu autant de succès, c’est parce que l’université s’est mise en lien avec la communauté syrienne :
« Dès qu’on a traduit le communiqué de notre site en arabe et qu’on a fait passer le message via les téléphones portables de la communauté syrienne, les étudiants sont venus. Pour que l’aide soit efficace, il faut réunir les moyens d’un côté et trouver les personnes de l’autre pour que toute la chaîne soit construite. »
Comment gérer le coût de l’accueil ?
Jusqu’à présent, le dispositif est financé par l’université. Mathieu Schneider espère maintenant que d’autres établissements suivront l’initiative en France et qu’elle sera soutenue financièrement par la Ville ou le gouvernement car si la situation devait durer, l’université ne pourrait assumer seule ces dépenses.
Pour beaucoup de particuliers, l’accueil à domicile représente un coût difficile à supporter. Pasteure de la ville de Berstett, Anne-Christine Hilboldt-Croiset héberge gratuitement chez elle deux migrants syriens depuis le 1er octobre, le temps d’accomplir les démarches. Arrivés en France début septembre, ils ne touchent pour le moment aucune allocation et ne bénéficient pas du statut de réfugié. Elle regrette qu’aucune aide ne soit prévue par les pouvoirs publics pour encourager les initiatives des particuliers.
Début septembre, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a pourtant promis aux propriétaires publics et privés une aide de 1000 euros pour l’hébergement des réfugiés. Mais la mesure ne concerne que les 30 000 personnes que l’État s’est engagé à accueillir et non celles qui viennent en France par leurs propres moyens.
Avec les attentats, que va-t-il se passer ?
Revendiquées par l’État islamique, les six attaques à Paris ont jeté un froid sur la communauté syrienne réfugiée en France. À la préfecture, on se veut rassurant : l’accueil des réfugiés n’a rien à voir avec la lutte anti-terroriste. Le sous-préfet n’a reçu aucune consigne à ce sujet et la procédure d’accueil continue normalement.
Pourtant, la France a aussitôt rétabli le contrôle aux frontières et des partis politiques comme le Front national ont rapidement fait l’amalgame entre les réfugiés et les terroristes.
À l’association Alsace-Syrie, c’est le choc. Rencontrée le jour de la collecte du matériel scolaire, une bénévole nous confie :
« Avec ce qui s’est passé, les gens sont paralysés. Ils ont peur, cela ne va pas arranger les choses. »
Même crainte auprès des deux réfugiés hébergés par la Pasteure :
« Avec les attentats de Paris, ils se sentent mal à l’aise et ont très peur que les gens les rejettent. Pourtant, ils ont justement fui Daesh et sont les premiers à condamner les terroristes qui sévissent dans leur pays. »
La Pasteure n’est pas rassurée : elle connaît une famille en Alsace qui a déjà reçu des menaces de mort pour avoir accepté d’héberger des réfugiés.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : comment aider les réfugiés ?
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