Nelson a 26 ans lorsqu’il arrive en France en 2018, d’Ouganda. Il est homosexuel et dans son pays, le code pénal le condamne à la prison à vie. Marie-Chantale, 57 ans, est arrivée de Côte d’Ivoire en 2018. Elle a obtenu le statut de réfugiée trois ans plus tard. « Pendant trois ans, j’ai eu peur en permanence d’être renvoyée vers ce que j’avais fui », se rappelle-t-elle. Omo, 29 ans, a lui aussi passé trois ans dans l’attente. Ils ont tous finalement obtenu le statut de réfugié.
Un droit pour les demandeurs, une obligation pour l’État
La France et 144 autres pays ont ratifié la Convention de Genève en 1951. Relative au statut des réfugiés, elle prévoit que toute personne risquant d’être persécutée en raison de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses opinions politiques peut demander la protection d’un autre pays. Pour Nelson par exemple, l’appartenance à la communauté LGBTQ+ constitue un risque de persécution dans son pays d’origine.
En France, cette convention est transposée dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le Ceseda, entré en vigueur en 2005 et actualisé en 2021. À l’origine, c’est une loi de 1952, puis une autre de 1998, qui encadrait la demande d’asile. « Les obligations de l’État sont claires, » estime Arnaud Fritsch, directeur général du Foyer Notre Dame à Strasbourg. « Il doit étudier les demandes même si elles ont peu de chance d’aboutir, et proposer un hébergement et une prise en charge au demandeur durant cette attente. »
« Il existe deux protections pour les personnes qui fuient leurs pays car ils craignent pour leur vie, » complète Camille Lantli, juriste pour l’association Casas : le statut de réfugié et la protection subsidiaire. « Cette dernière protège les personnes qui fuient un conflit armé, qui risquent un traitement inhumain, dégradant, voire la torture. « La protection subsidiaire notamment est utilisée lorsque l’État n’est pas persécuteur lui-même, mais qu’il est incapable de protéger ses citoyens contre les persécutions, par exemple les cas de violences conjugales, » précise la juriste.
Le statut de réfugié donne droit à un titre de séjour de dix ans, contre quatre pour la protection subsidiaire. « Les deux sont renouvelables, » précise Arnaud Fritsch. « Mais seul le statut de réfugié ouvre automatiquement le droit de travailler, » ajoute-t-il même si, en théorie, la protection subsidiaire fait office d’autorisation de travail.
Première étape : s’enregistrer à la préfecture
En arrivant en France, le demandeur d’asile doit se rendre dans une structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada). À Strasbourg, c’est le Foyer Notre Dame (FND) qui gère cette plateforme d’accueil depuis 2016. C’est un service public assuré par l’Office français de l’intégration et de l’immigration (Ofii) et délégué au FND. La Spada n’a pas de lits, la structure aide seulement les exilés au niveau administratif et social. « Les primo arrivants nous trouvent généralement en moins d’une semaine, » explique Arnaud Fritsch, « on prend rendez-vous à la préfecture pour eux, sous deux jours maximum. » La démarche pour un enfant mineur est liée à celle d’un de ses parents, et les mineurs non accompagnés sont placés sous la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance, une compétence du Département, soit la Collectivité européenne d’Alsace (CEA).
Lorsque le demandeur d’asile se rend à la préfecture, le traitement se déroule en deux temps. Il se présente d’abord au Guichet Unique pour Demander l’Asile (GUDA). Un fonctionnaire relève ses empreintes digitales, vérifie que le demandeur n’a pas déjà fait une demande dans un autre pays, et remet un récépissé au demandeur.
Omo est réfugié en France depuis 2020. Il a fui le Nigéria. « On m’a demandé pourquoi j’étais parti de mon pays, par où j’étais arrivé en France, » se souvient-il. Il a dû décrire son départ du Nigéria en 2013, raconter son emprisonnement en Libye jusqu’en 2016, les blessures de ses amis suite à une fusillade dans la ferme où on le forçait à travailler, et sa fuite jusqu’à la côte. « Nous avons pris un petit bateau, dont la coque s’est révélée trouée en mer, et c’est une association qui nous a secouru, » explique-t-il. Lorsqu’il arrive en Italie, il est déplacé dans un camp. Il a du mal à respirer, mais l’aide médicale ne vient pas : à bout, il se rend seul à l’hôpital. Après avoir été soigné, il essaye de retourner au camp. « Mais lorsque tu pars trois jours, on ne te laisse pas revenir, » raconte-t-il. Donc ils m’ont demandé de partir et j’ai décidé de venir en France, » complète Omo.
Si le demandeur d’asile a déjà donné ses empreintes dans un autre pays européen, ce n’est pas à la France d’étudier sa demande. Le règlement européen signé à Dublin détermine quel pays de l’Union est responsable d’examiner les demandes d’asile. Les personnes dans ce cas sont familièrement appelées les « Dublinés ». S’il existe des critères précis pour déterminer quel pays est responsable, chaque situation est unique et étudiée selon la vulnérabilité de la personne.
En fait, comme pour Omo, la France peut décider que le demandeur est trop vulnérable pour avoir à retourner dans un autre pays. Elle peut estimer que le pays d’entrée risque de ne pas étudier correctement la demande, et se substituer à lui. Ces décisions sont discrétionnaires, et prises par la préfecture. Le terme de vulnérabilité est crucial dans le processus de demande d’asile, il permet par exemple qu’une femme enceinte soit plus facilement hébergée.
« Dans l’accompagnement des demandeurs, il n’y a pas de vérité ni de schéma ultime, pas de parcours parfait. Ce sont des situations particulières complexes voire dramatiques… »
Arnaud Fritsch, directeur général du Foyer Notre Dame
Logement et subsistance : une obligation légale pour la France
Dans un second temps, toujours à la préfecture, c’est un officier de l’Office national pour l’Immigration et l’Intégration (Ofii) qui rencontre le demandeur. Il lui propose des conditions matérielles d’accueil (CMA), déterminées en même temps que sa vulnérabilité. C’est ensuite à la Spada d’ouvrir ses droits à l’allocation pour les demandeurs d’asile (ADA). « C’est une petite carte de paiement, » explique Omo, chargée du montant de l’ADA (voir ci-dessous).
Les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler, leur subsistance dépend donc entièrement de l’Ada. Si l’Ofii n’a pas de logement à proposer, l’allocation est augmentée de 7,40 euros par jour, quel que soit le nombre de personnes composant le foyer. Elle est versée à partir du moment où la demande est déposée à l’Office français pour les réfugiés et apatrides (Ofpra) et peut être suspendue si le demandeur refuse une proposition de logement ou s’il ne répond pas à l’une de ses obligations administratives.
En théorie, les demandeurs d’asile ne sont pas supposés dépendre des hébergements d’urgence : l’Ofii doit les loger ou ils doivent trouver un hébergement grâce à l’allocation. Mais une nuit en auberge de jeunesse strasbourgeoise, pour une personne en dortoir, coûte au moins 24 euros. Omo a trouvé refuge chez un ami, tandis que Nelson a du appeler le 115 tous les soirs pour voir s’ils avaient un lit à lui proposer pour la nuit. Étant un homme seul, il n’a jamais pu accéder à l’hébergement d’urgence, et a dormi dans la rue jusqu’à ce que l’Ofii lui trouve un lit, des mois plus tard. « Je ne dormais pas vraiment, c’était très compliqué, » se souvient-il. Marie-Chantale, très malade lors de son arrivée, a aussi dû faire appel au 115, qui lui proposait un hébergement différent chaque soir. Puis l’Ofii lui a trouvé un hébergement stable approprié.
« S’enregistrer ne signifie pas obtenir une orientation et un hébergement tout de suite. C’est l’Ofii qui maîtrise ça, et c’est tout le sujet autour des campements à Strasbourg. »
Arnaud Fritsch, directeur général du Foyer Notre Dame
La Spada ouvre, dans les jours suivants l’entretien à la préfecture, les droits du demandeur à l’accès aux soins, mais avec un délai de carence de trois mois. En attendant, mes demandeurs d’asile peuvent s’adresser à la permanence d’accès aux soins de santé (Pass) de l’hôpital de Strasbourg.
Jusqu’à ce que l’Ofii trouve un hébergement au demandeur, il est domicilié administrativement à la Sapada, et accompagné par elle. Une fois qu’il obtient une place au centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) ou au sein d’un hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda), ce sont ces structures qui continuent l’accompagnement social, administratif, et juridique.
Deuxième étape : convaincre l’Ofpra
À compter du jour où il s’est rendu à la préfecture, le demandeur d’asile a 21 jours pour envoyer son dossier à l’Office français pour les réfugiés et les apatrides (Ofpra). Parmi les documents à rassembler, le demandeur doit rédiger un récit de son parcours, décrivant les raisons de son exil. « Il est conseillé d’écrire deux pages maximum, » précise Marie-Chantale, « tu dois écrire toute ta vie, les circonstances de ton départ, les raisons, tout en détail. » Une fois que l’Office accuse réception du dossier complet, le demandeur attend sa convocation à l’entretien. Pour la réfugiée ivoirienne, cela a pris presque un an.
Le jour de l’entretien, le demandeur se rend à l’Ofpra, en région parisienne, seul ou accompagné par une personne autorisée. C’est un des moments les plus importants pour lui : il va devoir convaincre l’officier qu’il risque la mort ou la persécution s’il retourne dans son pays, de manière concise et convainquante. Car ce qu’on cherche à déterminer, c’est si le demandeur a droit ou non à l’asile, s’il répond aux conditions d’attribution qui sont énoncées par la loi. L’officier se base sur le récit de vie et pose les questions qui lui semblent nécessaires. Un moment crucial et inconfortable, où les demandeurs doivent abandonner toute pudeur. Ne pas répondre aux questions de l’officier peut constituer un motif de refus.
« Je n’étais pas prêt pour l’entretien, ni pour des questions si intimes » se souvient Nelson. « On m’a demandé comment je me sentais d’avoir abandonné mon petit ami dans mon pays, » poursuit-il. « On ne me laissait pas finir, l’interprète me coupait pour traduire, et avant que je puisse continuer il y avait déjà une nouvelle question, » se souvient Omo. Un sentiment partagé par Marie-Chantale, qui n’a pas eu l’impression qu’on lui laissait sa chance.
« Si l’État veut m’entendre, me donner une chance d’expliquer pourquoi je demande l’asile, il faut qu’il me donne le temps de le faire. J’ai eu l’impression d’être interrogé et pas interviewé. »
Omo, 29 ans
Un quart de reçus en première instance
Omo, Nelson, et Marie-Chantale ont vu leurs demandes refusées par l’Ofpra. En 2020, sur plus de 94 000 dossiers envoyés à l’Ofpra, un peu moins d’un quart (23,7%) des demandes étudiées ont reçu un avis favorable – adultes et mineurs compris. La décision intervient en principe six mois après l’introduction de la demande. Pour Omo, Nelson et Marie-Chantale, la décision est arrivée quelques semaines après leur entretien.
Si elle est positive, le réfugié peut effectuer sa demande de titre de séjour. Il reçoit d’abord un document temporaire valable six mois, avant son titre de séjour final. Le réfugié se voit également remettre un document de voyage, qui n’est pas valable pour son pays d’origine. S’il dispose encore de son passeport, il doit le remettre à la préfecture.
En cas de refus, la Cour nationale du droit d’asile
Si la décision est négative, le demandeur d’asile peut faire appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La présence d’un avocat n’est pas obligatoire mais possible, à travers l’aide juridictionnelle. Les raisons du refus sont expliquées, et accompagnées de la transcription écrite de l’entretien. Omo se remémore :
« On m’a dit que mon récit n’était pas assez personnel, pas assez contextualisé. J’étais dévasté, je ne savais pas ce que j’avais fait de mal, mais on ne me croyait pas. »
Le rendez-vous devant la CNDA, à Montreuil, a nécessité cinq mois d’attente pour Marie-Chantale. Nelson se souvient :
« À la CNDA, tu parles à trois juges. D’abord on lit toutes les pièces que tu as fourni, puis on te pose des questions précises. Ensuite, l’avocat fait son plaidoyer. Je les ai trouvé plus attentifs. »
« À la fin, on t’informe que la décision sera rendue dans les 21 jours, » conclue Nelson. Une décision accessible sur internet et à la CNDA directement. Nelson, Omo et Marie-Chantale ont reçu une décision favorable suite à leurs recours. Au total, leurs parcours auront duré entre trois et quatre ans. Ils font néanmoins partie des exceptions statistiques. En 2020, 6 116 (14,6%) procédures d’appel devant la CNDA ont permis d’obtenir le statut de réfugié et 4 138 (9,8%) la protection subsidiaire.
Ultime contestation possible auprès du Conseil d’État
Si l’Ofpra et la CNDA ont débouté le demandeur, il lui est possible de saisir le Conseil d’État. Mais Camille Latli de Casas nuance :
« Ce n’est pas un troisième juge de l’asile, ils vont juste regarder si le droit a bien été appliqué par la CNDA. Il faut être représenté par un avocat habilité à plaider devant le Conseil et même si les magistrats donnent raison au demandeur, le dossier reviendra à la CNDA pour être à nouveau jugé. Dans les faits, seuls les demandeurs suivis par de grosses associations comme La Cimade ou Gisti y vont vraiment, quand elles veulent montrer une incohérence dans le droit. »
Les recours devant le Conseil d’État ont toujours vocation à contester des décisions administratives. C’est le moyen qu’utilisent les associations pour faire changer la liste des pays d’origine sûrs par exemple, décidée par le conseil d’administration de l’Ofpra. « C’est une appellation avec laquelle on est rarement en accord, » explique Arnaud Fritsch. Car lorsqu’un demandeur vient d’un de ces pays, sa demande a très peu de chance d’aboutir. En juillet 2021, un consortium de 10 associations et syndicats a ainsi réussi à faire retirer de cette liste le Bénin, le Sénégal et le Ghana.
Après le refus définitif, quelques solutions
Autre possibilité après un rejet de la CNDA : demander un réexamen de son dossier, uniquement si un élément nouveau s’y ajoute. Le demandeur recommencera la procédure du début, et devra repasser devant l’Ofpra, voire devant la CNDA. Camille Latli donne un exemple :
« Une personne qui était recherchée dans son pays peut s’y faire condamner après avoir reçu le refus du statut de réfugié en France. C’est quelque chose que le demandeur ne savait pas, qui a changé, ou qu’il n’a pas voulu dire à l’époque car il était vulnérable. »
En outre, « la circulaire Valls prévoit qu’après cinq ans de présence sur le territoire, il est possible de demander à être régularisé, » ajoute Arnaud Fritsch. C’est une demande d’admission exceptionnelle de séjour, qui peut être accordée même après un refus de la CNDA. Mais cela vise des situations particulières : parents d’un enfant scolarisé en France, partenaire d’une personne en situation régulière, arrivée irrégulière en France d’un mineur devenu majeur, victimes de violences conjugales ou d’un réseau de traite humaine, talents exceptionnels ou services rendus à la collectivité…
Lorsque les demandeurs d’asile se voient opposés un refus définitif, ils risquent d’être visés par une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), « mais ce n’est pas systématique, » précise Arnaud Fritsch. Un demandeur d’asile est en situation de séjour irrégulier sur le territoire dès lors qu’après un refus, le demandeur n’entame pas de recours, de demande de réexamen, ni de démarche de régularisation.
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