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Kankyo Tannier, la nonne bouddhiste 2.0 qui sème des graines de zen

Dans la vie, elle médite, dans sa petite maison des Vosges du Nord. Avide de partage, elle est aussi professeure de chant à Strasbourg, auteure, blogueuse, conférencière, hypnothérapeute, et même palefrenière. Rencontre avec Isabelle Lorca, alias Kankyo Tannier, une personnalité discrète, qui prêche le silence et a pourtant tant de choses à dire.

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La rencontre a eu lieu dans son univers, au centre zen de Strasbourg, près du quartier des Halles. C’est un immeuble discret de l’extérieur. Mais une fois passée la porte, l’énergie que dégagent les locaux est palpable : dans le « dojo », des coussins attendent les futurs candidats à la méditation. Il flotte dans les airs un parfum de papier d’Arménie.

Kankyo Tannier s’installe sur une des chaises en bois. Sur la table en face d’elle, son macbook et son téléphone portable témoignent de son caractère connecté. Mais son look rappelle qu’elle n’est pas n’importe quelle blogueuse. Crâne rasé, tenue monastique, elle arbore un large sourire.

Depuis une quinzaine d’années, Kankyo Tannier a trouvé sa voie, le bouddhisme zen (voir encadré ci-dessous) et la méditation. Fidèle à elle-même, elle affiche une grande sérénité, pour quelqu’un en pleine actualité médiatique.

Écrire, partager, et partager encore

Car Kankyo Tannier écrit : sur son blog d’abord, dailyzen, qui initie le lecteur à la spiritualité du quotidien, à travers textes, vidéos et podcasts. Mais aussi pour le Huffington Post : dans ses chroniques, elle distille avec humour ses avis et conseils sur l’actualité, toujours par le prisme du zen. Elle y parle de la rentrée, des fêtes de Noël… ou de sa « relation cachée avec le Dalaï-Lama. » Tout récemment, elle a publié un livre, Ma cure de silence, où elle propose de « dénicher quelques mélodies spirituelles pour enchanter le quotidien ».

Depuis, c’est l’effervescence. La tournée de promotion (plusieurs rencontres-dédicaces sont prévues avec le grand public), les médias nationaux qui se l’arrachent, sans compter les éditeurs étrangers déjà prêts à publier son ouvrage. Mais il en faut plus pour perturber la nonne :

« C’est vrai qu’il s’est passé beaucoup de choses d’un coup, j’ai été approchée par Le Parisien, et il y aura même quelque chose dans Biba, ou Marie-Claire… Sinon je suis en contact avec neuf maisons d’édition, en Allemagne, au Royaume-Uni… J’aimerais bien que cela sorte au Brésil aussi, ce serait sympa pour aller faire la promotion ! »

Peu importe la célébrité en soi, ce qui l’intéresse, elle, c’est de partager les bienfaits du bouddhisme au grand public, avec un ton bien à elle, qui permet d’apprivoiser très vite son message, comme ses chroniques sur les vacances ou la présidentielle. Cela l’amuse :

« J’essaye de rendre accessible le bouddhisme au grand public. Quand j’écris, je me mets à la place de quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de bouddhisme. »

Pourtant, Kankyo Tannier a mis un certain temps avant de partager sa spiritualité. Avant, il fallait qu’elle la construise, qu’elle la pratique.

Pratiquante depuis une quinzaine d’années, Kankyo Tannier enseigne maintenant la méditation (Photo DL / Rue 89 Strasbourg / cc)

Quand l’étudiante en droit découvre le zen

Née à Clichy-sous-bois au début des années 70, celle qui s’appelle alors encore Isabelle Lorca grandit dans une famille catholique pratiquante. Sa famille déménage ensuite à Besançon, où elle vivra dix ans et y fera ses études en droit. C’est là qu’elle découvre les livres du Dalaï-Lama, « un choc ».

Mais c’est en expérimentant le méditation « zazen » au Centre de la Gendronnière, qu’elle a su qu’elle voulait faire cela de sa vie. Quelques mois après, elle allait au monastère de Weiterswiller, dans les Vosges. Elle y restera 15 ans. Sans l’avoir prévu. Ordonnée nonne en 2003, elle devient Kankyo, prénom bouddhiste signifiant « observation » et « miroir cosmique ».

De la connaissance de soi-même au partage constant

Loin d’elle l’idée de vivre recluse comme l’image des moines pourrait le laisser croire. Dans la tradition du bouddhisme zen, on travaille, on exerce des activités. Dans la lignée de ce qu’elle faisait dans sa jeunesse, quand elle travaillait dans la communication et dans la musique, elle s’est formée comme professeur de chant, et venait donc régulièrement à Strasbourg pour travailler.

Depuis 2010, elle a multiplié les activités : blogueuse, écrivain, elle fait aussi des vidéos, des podcasts, des conférences… et assure des séances de méditation au centre zen de Strasbourg, le mardi soir, toutes les deux semaines. Depuis deux ans, elle s’est aussi formée comme hypnothérapeute. Elle explique qu’il lui a fallu du temps avant de s’engager dans toutes ces nouvelles formes de partage :

« Avant, il fallait que je pratique, que je comprenne ce que je faisais. Chez nous, le rythme est assez lent. Pour pouvoir donner des cours de méditation, il faut avoir pratiqué pendant 10-15 ans. »

« Se connecter à la nature »

Mais alors, n’est-ce pas un peu fatiguant, cette suractivité, cette effervescence ? Surtout pour quelqu’un qui a choisi la méditation ? A cette question, Kankyo Tannier explique que tout est lié :

« Écrire, c’est mon activité spirituelle. Dans notre tradition, quand on trouve du bonheur, on a envie de le partager. On ne sépare pas la méditation de l’activité quotidienne. Chaque moment est une pratique spirituelle. Mais dans toutes ces activités, ma priorité c’est la méditation et le contact avec la nature. »

La nature reviendra souvent dans la conversation, étant un véritable moyen de retour aux sources pour Kankyo Tannier. Celle qui habite maintenant dans sa propre petite maison un peu plus loin que le monastère ne pourrait y être plus heureuse :

« On a besoin de silence et de solitude pour vraiment se connecter à la nature. En ce moment, Je me lève à 4h du matin, avec le soleil. Il y a une sorte de pré-lumière, et une telle énergie… »

C’est d’ailleurs ce qu’elle trouve le plus beau en Alsace :

« Les Vosges du Nord, je trouve cela magique. Les vieilles forêts, les vieilles roches… »

L’alsacienne d’adoption ne voudrait plus bouger d’ici :

« Bien sûr il faut toujours un temps d’observation dans les rapports humains, mais au final j’ai toujours trouvé les Alsaciens très chaleureux. « 

La nonne bouddhiste, alsacienne d’adoption, est dans son élément au centre zen de Strasbourg (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Un avenir à construire avec optimisme

Fidèle à elle-même et à sa philosophie, elle réfléchit beaucoup sur l’état du monde, sur l’actualité, sur les bienfaits de la spiritualité :

« C’est très important pour moi, cette question sur l’état du monde. L’avenir, je le rêve avec de la méditation qui se répand partout. On est beaucoup dans la distraction. Il faudrait remettre de la spiritualité, de la poésie dans le quotidien. Avec la société de consommation, on perd le sens de la vie. Si le sens d’une vie humaine c’est d’avoir une rolex, c’est triste ».

Pour elle, c’est à nous de changer ! Rendre le monde meilleur passe par un changement intérieur et individuel. Elle regrette que l’on manque de « cours » sur la méditation, de méthode pour y entrer. D’où son livre, où elle énonce clairement un des objectifs et des bienfaits du silence : « Contribuer à la paix dans le monde. Rien de moins ! »

Son credo ? Proposer une idée concrète vers laquelle tendre, plutôt que de rabâcher des mauvaises nouvelles :

« Je suis une révolutionnaire optimiste. Je suis pour la révolution intérieure. Chacun crée le monde. On a une énorme responsabilité intérieure. Mais il faut visualiser le projet, et une énergie nous amènera vers cela. Le changement viendra si chaque individu se connaît davantage. Si on connaît nos réactions, les raisons pour lesquelles la vie collective est compliquée, on pourra apprendre à s’apaiser ».

Difficile de résister à une entrecôte

En attendant, elle continue à alimenter sa soif d’apprendre, de comprendre, de se documenter. Dans sa bibliothèque, il y a surtout des livres sur l’éthologie et sur les états modifiés de conscience, mais aussi les romans de Christian Bobin. En ce moment, elle lit La vie secrète des arbres, de Peter Wohlleben. Et de très nombreux ouvrages sur les animaux.

Elle consacre d’ailleurs un chapitre de son dernier livre au végétarisme (« L’art de ne pas manger ses amis »). Car oui, cela ferait partie du « silence des actes » ! Elle qui est végétarienne depuis des dizaines d’années et vegan depuis trois ans est convaincue que le végétarisme est un acte de non-violence. En éternelle optimiste, elle pense que le changement viendra, notamment grâce aux vidéos des activistes qui dénoncent de plus en plus les conditions d’élevage et d’abattage.

Mais du coup, cela fait un mauvais point pour sa région d’adoption :

« En Alsace, j’aime moins l’aspect gastronomique, vu que les plats traditionnels sont à base de viande. Dans les restaurants de campagne, en général les gens ne comprennent pas. Du coup parfois je dis que c’est pour des raisons de santé, c’est plus simple ».

Mais comme toujours, c’est l’indulgence qui prime, car même le Dalaï-Lama, le « petit bonhomme rouge » qui a changé sa vie, a dit qu’il ne pouvait parfois résister à une entrecôte.

Kankyo Tannier prend cela avec humour, et guidée par les préceptes de sa philosophie de vie :

« Sur le moment, ça m’a un peu énervée d’entendre ça, et puis je me suis dit qu’il fallait être indulgent. Dans le bouddhisme, il y a une sorte de tendresse pour nos aspects non-accomplis ».

Une idée de liberté que la nonne multi-tâches semble vraiment avoir adopté.


Des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois mieux connus par leurs exploits ou leurs réalisations en dehors de l’Alsace que par leurs voisins. Et cette série d’articles est là pour changer ça !

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