Ce jeudi matin, devant le tribunal de police de Strasbourg il y a cet homme de Geispolsheim, installateur sanitaire de 34 ans, fraîchement divorcé et jugé pour excès de vitesse rue du Rhin-Napoléon. C’était en 2014, il se rendait à son travail, un matin à 7h30, et avait « un besoin pressant » – la diarrhée, laisse entendre le président du tribunal de police, en ce matin froid de décembre, deux ans après les faits.
« Les sous, c’est déjà dur tous les mois… »
Après un retrait de permis de 3 mois et 6 points en moins, l’homme doit encore 630€ d’amende pour avoir dépassé de plus de 50 km/h la limite autorisée à 50 km/h sur ce tronçon. Il se défend, dépité :
« Je ne suis pas coutumier du fait. J’ai rien eu depuis deux ans… Mais, les sous, c’est déjà très dur tous les mois maintenant que je suis seul, avec la pension et tout… Du coup, je suis prêt à faire un travail d’intérêt général. »
« Un problème gastrique ne justifie pas qu’on appuie sur le champignon, il faut assumer ses actes », embraie le procureur. « En plus, monsieur a été entendu par les policiers dès qu’il a été arrêté, or rien n’indique qu’il ait été souffrant ou qu’il ait dû s’absenter. » Pour aller se soulager, comprend-t-on. Condamné finalement à 400€ d’amende au lieu de 630€, l’homme signe son jugement et part la tête basse, en se frottant nerveusement les yeux sous ses lunettes.
Des coups de poing donnés « sur un coup de sang »
Il y a les prestations de serment des policiers et de divers fonctionnaires, qui jurent devant le tribunal « de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à [leur] connaissance » dans l’exercice de leurs fonctions. Il y a les affaires renvoyées pour une histoire de convocation signée par la mauvaise personne, ou parce que l’avocat(e) n’a pas reçu à temps les documents. Et puis, ce matin-là, il y a les coups de poing. Beaucoup de coups de poing, donnés par des hommes à des hommes, inconnus ou pas, sur un « coup de sang », parce que la coupe est pleine ou parce que c’est leur façon de se faire justice.
Quatre histoires de castagnes se succèdent à la barre. Celle d’abord de deux hommes d’origine turque, qui ont un cousin en commun, lequel tient un kebab. L’un des deux, un informaticien, a acheté en 2015 une voiture BMW au second, plâtrier – accompagné d’une interprète. Le premier se plaint pendant des mois auprès du second pour récupérer le carnet d’entretien de la voiture, en vain.
Des « douleurs dentaires par effleurement »
Quand ils se croisent au kebab du cousin le 29 juin dernier, « l’engueulade » éclate. Et l’informaticien écrase son poing sur la figure du plâtrier. Ce dernier assure qu’il n’a pas menacé le premier. Le second évoque des insultes, plaide la légitime défense, assure que le coup du plâtrier l’a « effleuré », lui occasionnant « des douleurs dentaires ». Lui-même semble ne pas trop y croire… Il lance son va-tout :
« On est de la même famille, j’ai essayé de régler les choses à l’amiable… Et puis, je me suis marié en octobre et sa maman était là. Si c’était aussi grave entre nous, elle ne serait pas venue, si ? »
Mais la rupture est consommée. Faute de preuves en faveur de la thèse des violences réciproques, l’informaticien est condamné à verser 200€ au titre du préjudice corporel, 300€ pour le préjudice moral et 200€ pour les frais d’avocat. Le condamné a 10 jours pour faire appel. Accompagnés chacun de leur épouse, l’une voilée, l’autre non, les deux hommes quittent la salle, sans un regard. L’histoire ne dit pas si la BMW est garée dehors, rue du Fossé-des-Treize.
L’ivrogne et le jeune délinquant
Une autre affaire de coups de poing fait suite à celle des cousins. Portés sur un homme alcoolisé par l’un de ses voisins de la cité Spach, à l’Esplanade, ces coups sont à mettre au débit d’un jeune prévenu au casier judiciaire déjà bien épais. Un témoin a vu la scène, mais, de peur d’être frappé à son tour par le jeune et ses copains, est « parti faire un tour ». « Un grand courage, ce monsieur… », déplore le président, avant de condamner l’agresseur, absent à l’audience, à 600€ d’amende.
Troisième histoire, celle de ce jeune homme de 25 ans au look de hipster, jeans gris moulants et sweat-shirt de même couleur, baskets Nike rouges et barbe taillée de frais. Il comparaît pour avoir cogné volontairement un copain de sa petite amie qui la raccompagnait après une soirée dans un bar. Le prévenu les attendaient avec son chien, dans la rue. Il a frappé le copain encore dans sa voiture, en attrapant sa copine et en la jetant par terre.
« Il aurait dû assumer ses actes et ne pas porter plainte »
Une « crise de jalousie » et une attitude générale du jeune homme qui fait sortir le juge de ses gonds – à moins que la scène soit jouée, pour impressionner le garçon :
« Vous n’avez pas pu vous contrôler, monsieur ? Mais vous savez qu’avec un coup de poing, on peut tuer quelqu’un ? Et même si c’était votre copine, pas votre ex-copine, quand bien même ? Si vous réagissez comme ça, vous avez un problème, monsieur ! Votre échelle de valeurs est mal réglée, monsieur ! Votre positionnement ironique me pose problème ! Et pire, vous avez dit aux policiers : « Il aurait dû assumer ses actes et ne pas porter plainte, ça doit se régler dans la rue ». Non, non, monsieur, avec cette attitude, un jour, c’est à la maison d’arrêt que vous allez vous retrouver ! »
« Dans la toute puissance », « lâche », « gratuitement violent »… Procureur et avocate de la victime – absente au tribunal – en remettent une couche. Le jeune homme repart sa condamnation en poche : 105 heures de travaux d’intérêt général à effectuer auprès d’une collectivité ou d’une association dans les 18 prochains mois, mais également 500€ d’amende pour préjudice physique, 75€ pour dégâts matériels et 450€ pour les frais d’avocat de la victime.
L’avocat s’en prend à un ado dans la rue
A la maison d’arrêt de l’Elsau, le dernier prévenu de la matinée s’y rend souvent, mais pas les menottes au poignet. Ce matin-là, un avocat pénaliste strasbourgeois se retrouve à la barre, accompagné de l’un de ses « collègues et amis » venu le défendre.
L’histoire est banale, comme toutes celles qui précèdent : il y a un an, l’avocat est au volant de la voiture de son beau-père, lui-même avocat. Dans une ruelle perpendiculaire à la rue de la Mésange, au centre-ville, le feu passe deux fois au rouge sans que l’homme ait le temps de s’engager. Au troisième feu vert, il démarre en trombe et frôle un couple d’adolescents bien décidé aussi à passer. Le jeune homme, effrayé et énervé, met un coup de pied dans la voiture de l’avocat, qui voit rouge et sort de son véhicule. Les versions divergent à la marge, mais le résultat est là : l’ado se prend un coup de poing dans le visage qui lui brise le nez.
« Je suis content que mon gamin ne soit pas là pour voir ça »
Tandis que l’avocat reprend le volant et va déposer illico une main courante au commissariat, comprenant qu’il « a fait une connerie », le garçon rentre à Mulhouse, le nez en sang. Ses parents portent plainte et, à l’audience, angoissent de voir le cas de leur fils traité différemment des autres, au prétexte que l’agresseur est un homme du sérail. Le père prend timidement la parole, dépité :
« Je suis content que mon gamin ne soit pas là pour voir ça, à l’âge où il a besoin de comprendre ce que c’est la justice. Pour moi, c’est compliqué d’entendre quelqu’un comme monsieur se défausser… J’ai vraiment du mal. »
« La victime était mineure, vous étiez l’adulte »
Le président, un peu mal à l’aise, tente de rester ferme en s’adressant à l’avocat :
« La victime était mineure, vous étiez l’adulte. Je ne vais pas vous faire l’injure… la litanie sur ce à quoi peut conduire un coup de poing. C’est votre métier. Mais alors, pourquoi vous avez perdu votre sang froid ? »
L’avocat de répondre, sur un ton qu’il veut le plus humble possible :
« Il a commencé à m’insulter, je n’avais rien fait à ce monsieur. C’était un samedi, après une semaine harassante… Il m’a mis vraiment en colère. Je passe mon temps à dire aux autres que ça ne se fait pas… Je ne sais vraiment pas pourquoi j’ai fait ça. »
« Parce qu’on a 16 ans et qu’on se croit le roi du monde »
« Parce qu’on a 16 ans et qu’on se croit le roi du monde, on a la réaction disproportionnée d’un gamin vexé qui donne un coup de pied dans la voiture » et l’on partage la responsabilité de l’acte qui fait de soi une victime par la suite, tente de relativiser l’avocat de l’avocat. Mais le juge ne peut se permettre deux poids – deux mesures. Le pénaliste est reconnu « entièrement responsable » et condamné à 800€ d’amende. Privilège de caste peut-être, le juge accorde au condamné une dispense d’inscription au casier judiciaire.
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