La salle est comble au rez-de-chaussée du tribunal administratif de Strasbourg, mardi 26 novembre à 10h. Devant trois magistrats administratifs saisis en référé, l’Université de Strasbourg (Unistra) a dû justifier son refus d’autoriser la venue de l’eurodéputée Rima Hassan (LFI), invitée par le Comité Palestine Unistras. En début de soirée, les juges auront tranché : l’Université de Strasbourg n’avait pas le droit d’interdire la conférence sans avoir auparavant discuté avec les étudiants des modalités d’organisation de celle-ci. La décision du président de l’Unistra porte atteinte, selon la justice, à la liberté d’expression.
« Aucune vocation politique »
Quelques minutes plus tôt, des manifestants ont accueilli l’eurodéputée, connue pour son engagement en faveur de la cause palestinienne, avec de grands drapeaux israéliens. Consciente de la tension présente dans la salle, la présidente du tribunal administratif Anne Dulmet, estime que « cette audience n’a aucune vocation politique » et que le fond de la conférence ne sera pas abordé. La liberté d’expression à l’université étant garantie par le code de l’éducation, seule « une menace réelle pour l’ordre public, reposant sur des circonstances particulières », peut justifier sa limitation. Elle annonce d’emblée qu’elle n’hésitera pas à suspendre la séance en cas de manifestations :
« Ce matin, nous avons à juger si le comportement de l’université constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. »
Le 20 novembre 2024 , l’Université de Strasbourg, présidée par le prêtre et théologien catholique Michel Deneken, avait refusé par courriel la demande de réservation d’une de ses salles pour que le collectif Palestine Unistras puisse inviter Rima Hassan pour une intervention sur les droits de l’Homme au Moyen-Orient. Effectuée le 7 novembre par les étudiants et étudiantes, la demande sera qualifiée de trop imprécise par l’avocat de l’Université, Me Olivier Maetz. Officiellement, l’université a invoqué des risques de troubles à l’ordre public pour ne pas autoriser la conférence.
Mais les prises de parole de Rima Hassan sont régulièrement sujettes à des interdictions universitaires. Le 22 novembre, le tribunal administratif de Paris a ainsi autorisé sa conférence à Sciences Po que l’institution voulait lui refuser. En mai, c’est le Conseil d’État qui a approuvé la venue de Rima Hassan à Paris Dauphine.
Le service d’ordre en question
Dans ces décisions, les magistrats administratifs ont systématiquement considéré que les risques de troubles à l’ordre public étaient peu circonstanciés. « Ce sont les idées, les opinions de Rima Hassan qui posent problème à l’université, estime Me Florence Dole, avocate du Collectif Palestine Unistras, alors que ses propos ont toute leur place dans ce cadre, ils intéressent le débat interne à l’université. » Elle rappelle le mandat de Rima Hassan au Parlement européen, ainsi que sa formation de juriste, sa spécialité en droits fondamentaux, en migrations internationales, et son expertise de la situation palestinienne.
La demande faite à l’université, pour la conférence du 28 novembre concerne un colloque sur le thème de l’Union européenne et les relations internationales. D’un côté, l’institution s’estime flouée : « On n’avait ni le contenu précis de la conférence, ni la salle précise, ni le nombre de participants… », précise Me Olivier Maetz. Le conseil de l’université considère que l’organisation du collectif a fait preuve d’amateurisme.
De l’autre côté, le collectif dit ne pas comprendre le refus sec, sans discussion, de l’Unistra. « On a fait la demande le 7, relancé le 18 et essuyé un refus le 20 », retrace Pauline, membre du collectif. « L’université a manqué à son devoir de permettre la diversité d’opinion », assène Me Florence Dole.
Pour justifier le refus sec, Me Olivier Maetz rappelle qu’en mars 2024, le collectif avait refusé de répondre aux conditions posées par l’université pour tenir la conférence de deux médecins revenus de Gaza. « On voulait avoir la liste des personnes inscrites et des précisions sur la sécurisation de l’évènement », explique-t-il. Iman, du Comité Palestine Unistras, rappelle que l’université leur avait surtout demandé une compensation financière pour le service de sécurité, trop élevée pour les moyens de l’organisation. « Habituellement, nous avons entre 15 et 20 étudiants qui font le service d’ordre et tout se passe très bien », soulève-t-elle.
« Il s’agit de censure »
Après ces échanges, la présidente du tribunal veut en savoir plus sur le contenu prévu de la conférence. Elle tente de déterminer si le collectif a menti sur le libellé, ou s’il a simplement fait une demande générale avant de fixer précisément l’angle choisi pour le débat.
Sur ses questions, Rima Hassan insiste :
« Je suis fréquemment invitée pour parler de droit international et de migrations. C’est à travers ces prismes que j’interviens pour aborder la question palestinienne. Au niveau de l’Union européenne, je fais partie de commissions et de groupes de travail spécialisés. Il s’agit de censure, ça ne me fait pas plaisir de venir devant les tribunaux pour avoir le droit de participer à des débats avec des étudiants. »
Sur ses réseaux sociaux, l’eurodéputée a annoncé qu’à chaque interdiction de ses prises de paroles, elle déposera un recours auprès du tribunal compétent. « Ce qui se passe devant vous se passe dans d’autres villes, d’autres pays, j’aimerais que l’Université de Strasbourg fasse preuve de courage », assène-t-elle avant de devoir retourner au Parlement européen.
Après plus d’une heure d’audience, les débats commencent à s’essouffler. Pour le Comité Palestine Unistras, Iman tient à expliquer que leur mission est de donner de l’information à la communauté étudiante, et que plusieurs de leurs évènements, en mars et en février, se sont très bien déroulés. « Nous voulons participer à mettre l’université au cœur de la cité, en y organisant des débats ouverts au plus grand nombre », conclut-elle.
Suivant une logique similaire à celles du tribunal administratif de Paris et du Conseil d’État, le tribunal administratif de Strasbourg a décidé, en fin d’après-midi du mardi 26 novembre, de suspendre le refus de l’Université de Strasbourg. « Il s’agit d’une victoire particulièrement importante, le juge des référés a joué son rôle de protecteur des libertés. Ces interdictions répétées doivent cesser pour permettre un débat d’intérêt général sur la situation d’une extrême gravité à Gaza », soulève Me Vincent Brengarth, avocat de Rima Hassan.
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