Pour toute une génération de cinéphiles, c’est une légende. Serge Daney « le ciné-fils » écrivait sur le cinéma comme personne. Il se voyait comme un passeur, et « montrait » des films avec des mots. Il entre aux Cahiers du cinéma à 20 ans, en 1964, quand ceux qui l’ont précédé, les Godard, Truffaut, Rohmer, passent à la réalisation et fondent la Nouvelle vague. Il devient rédacteur en chef de la revue avant de partir pour Libération, où il touche un plus large public et s’intéresse aussi à la télévision. Peu de temps avant sa mort en 1992, il raconte son parcours et tout ce qui a constitué son regard dans un long entretien. C’est cette parole que Nicolas Bouchaud retranscrit et interprète dans La Loi du marcheur.
« C’est pas possible de frémir devant Danielle Darrieux ! »
Brillant et drôle, Serge Daney y raconte son amour du cinéma. Il disait que le cinéma marche sur deux jambes : une populaire, une plus élitiste, et les films qu’il aimait se tiennent sur ces deux jambes là. Évidemment, ça commence par le cinéma américain, avec James Stewart, Cary Grant, Henry Fonda, et surtout, avec Rio Bravo de Howard Hawks, qui traverse tout le spectacle. Le cinéma, alors, c’est la promesse d’un voyage, d’un monde. Puis vient la Nouvelle vague, et la réalité fait son entrée sur le grand écran. Daney, lui, entre définitivement en cinéphilie et passera le reste de sa vie à parler de cinéma.
« La Nouvelle vague est vue comme un mouvement jeune mais quand même, c’est des petits vieux. C’est pas les yéyés ! »
Les formules sont savoureuses, les anecdotes aussi, comme celle de son voyage au Etats-Unis où, plein de l’arrogance de sa jeunesse, il rencontre tous les cinéastes qu’il révère. Il raconte mais ne cesse de s’échapper du récit. Pourquoi le cinéma ? Pourquoi transmettre ? Au final, il parle de bien autre chose : comment on se construit, comment on construit une image, comme les images nous construisent. C’est son regard sur le monde qu’il partage. Sa pensée est galopante, parfois obscure, parfois étonnamment visionnaire, comme lorsqu’il parle de la télévision.
Et le public se régale, suspendu à ces lèvres. Aux lèvres de l’excellent comédien Nicolas Bouchaud, évidemment, qui finit par faire corps avec Serge Daney. Dans une scénographie ultra simple, il entame un réel dialogue avec le public. « Quels sont les films que tout le monde aime sauf vous ? Les films incontournables que vous n’avez pas vu ? Les films idiots à raconter et bouleversants à voir ? » Comme Daney, Bouchaud est un passeur, qui prend son temps pour communiquer, pour nous faire sentir que penser est aussi un plaisir, qui obéit à la loi du marcheur, plutôt qu’à la loi du marché. Et qui peut revoir encore et encore Rio Bravo, car il est des films qu’on ne finit pas de découvrir. Comme dirait Serge Daney, certains en savent beaucoup plus sur nous que nous sur eux.
Y aller
La Loi du marcheur, mise en scène Éric Didry, jusqu’au 31 mars au Théâtre de Hautepierre (un spectacle proposé par Le Maillon), place André Maurois à Strasbourg.
Tarifs : de 5,5€ à 20€
Attention : travaux sur la ligne A du tram, bus de remplacement à partir de la station Rotonde.
Rencontre avec l’équipe du spectacle le mercredi 28 mars à 17h à la librairie Kléber et le jeudi 29 mars à 11h dans la salle de conférence de la MISHA, dans le cadre du colloque Penser le spectateur
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