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Jürgen Nefzger à La Chambre : poétique et politique du nucléaire

Pour sa première exposition à Strasbourg, le photographe franco-allemand Jürgen Nefzger investit la galerie La Chambre, du 12 janvier au 24 février. À travers deux séries de photographies, l’artiste interroge visuellement l’emprise du nucléaire sur l’environnement et développe un propos à la fois engagé, poétique et porteur de multiples réflexions.

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Vue de l’exposition (Photo Daniela Zepka)

À la galerie La Chambre, le photographe Jürgen Nefzger, diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Arles, présente deux séries photographiques, Fluffy Clouds (2003-2006) et Bure ou la vie dans les bois (2017). Entre paysage et réflexion politique cette photographie documentaire explore visuellement les mutations des territoires.

Regarder pour mieux voir

À travers la série Fluffy Clouds, réalisée entre 2003 et 2006, Jürgen Nefzger confronte le spectateur à des paysages et des scènes observés lors de ses nombreux voyages en Europe. La photographie Nogent-sur-Seine, France (2003), par exemple, montre un homme allongé dans sa chaise-longue au premier plan. Autour de lui, la nature verdoyante et lumineuse encadre une étendue d’eau paisible.

Invitant à la détente et à la contemplation, ce cliché d’apparence sereine renferme pourtant une vérité bien plus inquiétante : partiellement cachées par les arbres au centre de la composition, deux immenses tours de refroidissement se dressent à l’arrière-plan. Motif récurrent dans l’ensemble de la série, ces tours en béton, signe couramment associé à l’énergie nucléaire, sont aussi imposantes qu’effrayantes. À contre-courant, c’est pourtant le caractère poétique et presque « sublime » de cette architecture industrielle que Jürgen Nefzger souhaite mettre en lumière.

Jürgen Nefzger, Nogent-sur-Seine, France, 2003 (Photo Jürgen Nefzger / Source AMC Archi)

Urbains ou champêtres, les paysages contemporains de Jürgen Nefzger composent une esthétique soignée qui n’est pas sans rappeler la peinture classique. Si ces photographies dévoilent une présence humaine qui peut sembler discrète, elles révèlent pourtant les modifications causées par l’intervention de l’homme sur la nature et interrogent notre capacité à voir ce que nous ne remarquons peut-être même plus.

« Le paysage est politique »

Si la photographie de Jürgen Nefzger semble principalement s’intéresser au paysage, ce dernier invite à de multiples réflexions : « [Le paysage] est politique, économique, il peut être social, mais il est fortement imprégné par nos activités et par nos manières d’être », affirme l’artiste. C’est d’ailleurs sous ce même angle d’approche que le visiteur est invité à appréhender la série Bure ou la vie dans les bois, réalisée en 2017.

Jürgen Nefzger, Bure ou la vie dans les bois, 2017 (Photo Daniela Zepka)

Inspirée de Walden ou la vie dans les bois (1847), récit écologiste et introspectif de Henry David Thoreau, la série illustre une volonté de résistance et d’opposition à l’industrialisation du paysage. Isolées ou regroupées, disséminées un peu partout dans l’espace, ces photographies de format divers documentent l’occupation des bois de Bure en Lorraine à l’été 2016, dans le cadre du mouvement de résistance contre l’enfouissement des déchets radioactifs sur ce territoire (voir les articles de Rue89 Strasbourg sur Bure).

Les clichés représentant la forêt, désertée de toute présence humaine, affirment une ode à la nature. Ailleurs, des militants pacifistes semblent développer une communion avec cet environnement menacé. Dans la ligne de la « désobéissance civile » prônée par Thoreau, les photographies mettent en avant une résistance passive et non-violente. Un extrait du texte issu de son essai éponyme La désobéissance civile (1849) fait d’ailleurs partie de la série et résonne avec ces luttes contemporaines. C’est finalement au regardeur de s’interroger : que faire face à un pouvoir démocratique qui n’écoute pas la protestation de la société civile ? Comment résister et désobéir aux décisions d’un gouvernement ?

Jürgen Nefzger, Bure ou la vie dans les bois, 2017 (Photo Daniela Zepka)

En inscrivant ses photographies dans une symbolique représentative des luttes d’aujourd’hui, Jürgen Nefzger propose également une perspective historique. Dans Hey-A-A-Hey (2017), un court-métrage de 16 minutes projeté sur la surface murale, l’artiste donne la parole à Frank, un militant allemand qui raconte la lutte acharnée qu’il mène contre les usines nucléaires depuis les années 1970. Enfermé malgré-lui dans ce hors-temps fragile où tout semble paisible, le spectateur comprend rapidement que tout n’est en réalité qu’un temps de latence avant de nouvelles luttes à venir.

Vue de l’exposition (Photo Daniela Zepka)

Malgré un caractère contemplatif, l’exposition refuse de cantonner le spectateur dans un regard passif. À travers son aspect minimaliste et un accrochage épuré, elle offre les conditions idéales à un travail d’introspection sensible et réfléchi. Si le nucléaire est un sujet sérieux, l’exposition vaut le détour, ne serait-ce que pour la prise de recul qu’elle propose : le temps d’un instant, ce danger imminent se voit détourné, sans pour autant être minimisé. Soulevant d’intenses problématiques écologiques, Jürgen Nefzger propose ainsi un regard tout à fait personnel sur des actions passées, mais dont les résultats défendent la nécessité des luttes encore à mener au sein de la société contemporaine.


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