« GCO payant = tous perdants. » La banderole surplombe la cabane en bois installée sur la D45 près de Kolbsheim par des militants opposés au Grand Contournement Ouest (GCO). Mercredi 14 juin, en début de soirée, ils sont une centaine à s’y être réunis, pour manifester une nouvelle fois contre ce projet d’autoroute de 24 km qui doit relier en 2020 le nord de l’agglomération de Strasbourg au sud par l’ouest.
Pour les opposants, mobilisés chaque week-end pour protester, cette nouvelle réunion a comme un goût d’espoir. Brin de paille dans les cheveux, pieds nus et verre de bière à la main, ils sont cette fois venus écouter le député européen José Bové, pour sa deuxième visite sur le site.
« Grâce à José, on sera entendus aussi fort que Notre-Dame-des-Landes »
Ce qu’attendent de lui les Kolbsheimois, c’est avant tout de la visibilité. Sarah, une habitante de la commune qui a rejoint la soirée aussitôt après son travail et assise au milieu des herbes hautes se réjouit de la présence de l’eurodéputé écologiste :
« José Bové c’est quelqu’un qui a médiatiquement déjà fait parler de lui. Qu’il soit ici, ça veut dire qu’on ne va peut-être pas rester anonyme dans notre petit coin d’Alsace mais qu’on va peut-être enfin parler de nous au niveau national. On pourra peut-être même être entendu aussi fort que Notre-Dame-des-Landes. »
Un sentiment d’isolement également ressenti par Michel, un quarantenaire de la commune qui a rejoint le groupe sur son vélo :
« Les gens n’ont pas conscience de ce qu’il se passe mais c’est normal, ceux qui habitent aux alentours, ils ne sont pas concernés. Ils se disent qu’une autoroute de plus ça profite à tout le monde. Mais non, le GCO ne servira pas à Strasbourg… »
Contre la routine de l’opposition
La venue de l’eurodéputé est un soulagement pour ces militants, qui voyaient depuis quelques semaines leur mouvement s’essouffler. Bruno Dalpra, militant actif du collectif « GCO Non Merci » l’a constaté : « on revoit ce soir des gens qu’on avait pas vus depuis longtemps. » Un affaiblissement de la mobilisation qu’il explique en partie par la communication entretenue autour du projet d’autoroute :
« Vinci ont diffusé une présentation en 3D du GCO. Dans leur simulation, c’est tout beau, il n’y a pas de bruit, pas de bouchons, pas de camions… De notre côté, avec nos faibles moyens, il faut qu’on continue à expliquer que le GCO ne réglera rien aux problèmes d’accès de Strasbourg, que les bouchons sur l’A35 seront toujours présents aux heures de pointe et qu’il faut continuer à se mobiliser si on veut éviter ce saccage écologique. »
Pour prendre la parole, José Bové s’est installé à l’entrée de la cabane en bois des militants. Aux murs, de vieilles coupures de la presse locale côtoient les banderoles à slogans tandis que sur le rebord de la fenêtre trônent les gobelets en plastiques déjà vides. L’eurodéputé annonce avoir échangé avec le nouveau ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, sur le projet de GCO, lui demandant de « remettre à plat le dossier », ce à quoi il se serait engagé. Il fait alors savoir :
« Je suis un habitant de l’Alsace, et bientôt un citoyen d’honneur de Kolbsheim. Tant que ce projet de GCO ne sera pas abandonné, je serai avec vous pour tenir sur le terrain. »
Au milieu des tables, où il ne reste désormais que des paquets de gâteaux terminés et les coques des cacahuètes, les opposants, visiblement satisfaits, acclament l’écologiste: « José ! José ! José ! »
L’annonce d’une remise à plat sera toutefois démentie le lendemain matin par le ministère de l’environnement.
Requinqués par les mots de José Bové, les opposants au GCO se sont tournés vers la musique tandis que le soleil commence à descendre dans le ciel. La chanteuse Tartine Reverdy, bijoux indien collé sur le front et accordéon entre les mains se charge de l’animation. « J’ai pris un arbre dans mes bras » commence-t-elle à chanter avant de s’arrêter et d’inciter le groupe : « je veux que vous disiez tous avec moi « Un arbre ça respire ! » Et tout le monde reprend.
Avant la chanson suivante, l’artiste précise : « il faut apprendre très tôt aux jeunes à utiliser les mégaphones, et à réagir aux panneaux et aux slogans. » Lorsque le refrain approche, une deuxième femme accompagne la chanteuse à l’aide d’un mégaphone tandis qu’une troisième brandit sur une pancarte les paroles de la chanson. Rapidement, le groupe accompagne, aidé des paroles distribuées un peu plus tôt. C’est par une danse indienne, à laquelle José Bové est, comme le reste des opposants, invité à participer, que l’interlude musicale se termine.
Il est en effet temps de rejoindre le camping sauvage, improvisé un peu plus loin dans la réserve Bishnoï, du nom attribuée à cette zone par les opposants, en référence à une communauté indienne vivant au plus proche de la nature. Partout, les drapeaux floqués d’un moustachu à turban marquent le territoire.
Une nuit sur le tracé du GCO, un air de ZAD
Les opposants commencent à marcher en cortège désorganisé, suivi par des tracteurs. Certains, toiles de tente sur le dos s’apprêtent à passer la nuit sur place, en mode « occupation » façon « zone à défendre » (ZAD) comme à Notre-Dame-des-Landes. D’autres, moins impliqués, sont simplement venus apporter leur soutien quelques heures. C’est le cas de Geneviève, une strasbourgeoise qui avoue se sentir moins concernée que les habitants de Kolbsheim :
« J’espère que cette soirée va entretenir le moral des troupes. Que José Bové soit là, je pense que c’est une très bonne chose pour redonner un peu de tonus à tout le monde et les faire tenir jusqu’au bout. C’est un encouragement moral pour ceux qui luttent depuis des mois. »
Ambiance de festival de rock
Le défilé arrive progressivement sur le campement. Le soleil a, maintenant, presque disparu. L’odeur des grillades et la vente de tee-shirt au profit du collectif « GCO Non Merci » donnent au lieu un esprit de festival de rock. Les musiciens, appartenant au collectif, qui se succèdent pour animer la soirée complètent le tableau. Les opposants forment une file pour pouvoir se servir à manger avant d’aller s’installer sur les grandes tables disposées pour l’occasion au milieu du champ.
Certains, arrivés plus tard, n’ont finalement plus qu’à s’asseoir à même le sol, sur l’herbe sauvage mal coupée. C’est le cas de Jean-François et Stéphanie, deux amis d’une vingtaine d’années, originaires de Kolbsheim. Une bouteille de rosé est posée entre leurs assiettes jetables, des rires s’échappent de leur conversation. L’idée qu’une autoroute remplace cet espace de verdure dans trois ans est pourtant dans tous les esprits. Si Stéphanie, qui réside toujours dans la commune, s’oppose à l’autoroute, l’avis de son ami est plus nuancé:
« Partout en France, quand on voyage on est content de prendre les autoroutes et ça doit aussi déranger des gens. Il faut bien que les gens circulent. Le problème ici, c’est la façon dont c’est fait. En quoi le péage inciterait à prendre cette route ? Il y a quelque chose de pas clair et ils ne savent pas nous répondre. »
Ils s’accordent pourtant avec les autres opposants de la soirée : il reste un espoir. Après l’intervention de José Bové, les troupes ne peuvent s’empêcher de comparer leur combat à celui de l’aéroport de Notre-Dame des Landes en Loire-Atlantique.
La soirée s’achève peu avant 1h du matin. Parmi les toiles de tentes, une roulotte aménagée par le collectif a, ce soir, été réservée pour José Bové.
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