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Jeunes strasbourgeois et catholiques pratiquants, ils veulent revisiter les traditions

Rencontre avec trois jeunes catholiques pratiquants de Strasbourg, qui nous ont parlé de vivre ensemble, de laïcité et de barbecue.

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L’ambiance est plutôt conviviale ce soir-là au Centre Bernanos, l’Aumônerie Catholique de l’Université de Strasbourg, située entre le campus et la résidence étudiante Paul Appell. Comme tous les dimanches soirs, les étudiants catholiques sortent de la messe donnée dans une grande pièce aménagée du centre.

Parfois, ils se retrouvent encore autour d’un repas, et c’est le cas ce soir, où une vingtaine de personnes d’origines diverses partage des tartes flambées, cuites au feu de bois par le père Thomas Wender, directeur du centre.

 

Étudiants et jeunes professionnels, Mathilde, Alexandre et Jenastan ont tous trois été élevés dans la foi catholique, comme l’explique Mathilde, la vingtaine, originaire de région parisienne :

“C’est vrai que ma religion, c’est un héritage de famille, mais par la suite, c’est devenu plus concret pour moi, je me suis réapproprié tout ça. Aujourd’hui je vais régulièrement à la messe avec ma colocataire”.

“Chrétien isolé = chrétien en danger”

Jenastan est étudiant en première année à l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA). Ses parents sont catholiques, c’est donc aussi pour lui une histoire de famille. Lui, il vient de Troyes, et il blague en invoquant les raisons qui l’ont amené au Centre :

“Je venais d’arriver à Strasbourg et on m’a dit qu’il y du WiFi ici, alors je suis venu pour travailler. Et puis j’ai commencé à venir aux messes, surtout qu’on m’a dit qu’il y aurait un barbecue !”

Ce soir, c’est plutôt crêpes, cidre, bières et tartes flambées et bière, mais il n’hésite pas à aller se resservir, à l’aise parmi ceux qu’il a fini par apprendre à connaître à force de venir.

Il redevient sérieux et enthousiaste en expliquant qu’en fait, ce qui prime, c’est se retrouver, partager des moments à plusieurs :

“On dit parfois “chrétien isolé = chrétien en danger”. Enfin je rigole, je veux dire que tu as une foi intérieure, mais c’est aussi ta relation aux autres. C’est vrai pour toutes les religions, tu retrouves Dieu à travers les autres, que ce soit à la messe ou aux repas, finalement cela se rejoint, c’est la même chose”.

Multi-engagé, aussi en dehors de l’Église

Pour Alexandre, jeune trentenaire qui vient de terminer une formation pour être éco-conseiller, l’ouverture et le fait d’aller vers les autres est une évidence, tout comme l’engagement associatif, indissociable de sa pratique de la foi :

“J’étais engagé à Caritas, et maintenant à Alsace Nature et à la Tente des Glaneurs. C’est en lien avec ma foi, qui n’est pas uniquement intérieure. Il ne s’agit pas non plus de s’afficher en mode “Je suis catholique”. C’est juste qu’être catholique, c’est être ouvert.”

C’est aussi ce qui a l’air de porter Mathilde, également étudiante à l’INSA, en 3e année d’architecture. Elle est venue ce soir, comme souvent, pour être au cœur de ce qui est pour elle la foi chrétienne, le vivre-ensemble :

“J’aime bien venir ici car ce n’est pas dogmatique. Avant, à Paris, j’étais dans une paroisse un peu plus traditionnelle. Mais ce qui est dommage avec le dogme, c’est qu’on perd l’essentiel, la base, qui est d’être ensemble et de partager.”

Les trois jeunes ne tariront plus sur ce qui les anime, en parlant des messages de la Bible comme l’aide de son prochain ou le pardon, mais aussi en parlant d’être ensemble, et en balayant un peu les grands principes de l’Église catholique, qui ne semblent vraiment pas être le plus important pour eux.

Mathilde, Jenastan, Alexandre et les autres préfèrent les messes au Centre Bernanos, où l’ambiance est moins traditionnelle (Photo Aumônerie Universitaire Catholique)

Les dogmes, pas essentiels

Si le Pape François est vu comme plus progressiste que ses prédécesseurs, il a tout de même rappelé les positions traditionnelles de l’Eglise à plusieurs reprises, sur l’avortement, sur l’homosexualité, sur le mariage des prêtres ou l’ordination des femmes. Le phénomène de la Manif’ pour tous a aussi ravivé cette image des Catholiques très conservateurs.

Pour Jenastan, c’est surtout l’eucharistie (la fin de la messe, quand les fidèles se voient donner le “corps et le sang du Christ”, à travers l’hostie et le vin) qui reste la tradition essentielle quand il se rend à l’Église :

“La messe et l’eucharistie, c’est quand même vital, c’est littéralement quelque chose qui te nourrit. À mon arrivée à Strasbourg j’allais aux messes classiques où il n’y avait que des personnes âgées, ce n’était pas très fun. Mais du coup dans ce cas-là, comme ce n’est pas l’ambiance qui prime, tu te raccroches vraiment à la foi intérieure, à ce partage avec Dieu”.

Pour Alexandre aussi, on peut en rester à ces symboles élémentaires :

“Finalement le dogme de base, le plus important et symbolique, c’est le repas. Cela veut dire que nous, les Chrétiens, nous sommes en communion. Si on extrapole, il y a aussi un lien avec ceux qui ne sont pas croyants, le fait de vivre de manière générale en communion les uns avec les autres”.

Changer l’image de l’Eglise…

Comme Mathilde et Jenastan, il trouve que l’Église correspond de moins en moins à son image de rigidité, mais qu’elle peut encore faire mieux :

“Il faudrait continuer à s’ouvrir davantage. Moi par exemple je serais pour que les prêtres puissent se marier”.

Jenastan veut montrer que sa communauté s’ouvre sur les questions morales :

“On a souvent vu l’Église comme quelque chose de rigide, mais aujourd’hui il y a une position plus tolérante, plus ouverte, qui n’est plus dans la sanction, par exemple sur l’homosexualité. Dans la Bible, il n’y a aucun passage là-dessus, ce qui prouve bien qu’on s’en fout complètement.”

Il dit aborder tous les sujets de société avec la même attitude :

“La foi nous invite surtout à considérer les individus qui vivent derrière ces grands enjeux de société en les accueillant sans jugement.”

Il regrette que parfois les Chrétiens soient associés à une image radicale :

“La religion chrétienne c’est une religion ouverte. La Manif’ pour tous m’énerve, elle a un côté radical. Il y a du jugement sur les homosexuels notamment. Ma vision, c’est que ce n’est pas à nous de juger, mais c’est à nous de vivre dans la tolérance. Dire “Il est chrétien et donc va à la Manif pour tous”, c’est un raccourci énorme.”

Se rendre au Centre pour des moments conviviaux fait partie des différentes manières pour Jenastan et ses camarades de vivre leur foi au jour le jour (Photo Centre Bernanos)

… mais pas trop non plus

En même temps, ils portent un discours que certains apprécieront : sur le sujet de l’homosexualité, ils parlent à plusieurs reprises de “miséricorde” et insistent : les gens font ce qu’ils veulent… dans leur vie privée. Avec Mathilde, Jenastan regrette que les esprits se soient tant échauffés des deux côtés, lors du débat autour de la loi sur le mariage pour tous :

“En fait cela m’a étonné que le gouvernement fasse passer la loi du mariage pour tous, alors que je n’avais pas l’impression qu’il y avait un militantisme important de pro-mariage pour tous. Je ne sais pas si c’était vraiment utile. Cette loi a changé quelque chose : cela veut dire qu’on a accepté publiquement les homosexuels”.

Mathilde abonde en son sens :

“En fait chacun fait ce qu’il veut, on s’en fout, mais certains homos à ce moment-là ont beaucoup été dans la revendication, je pense que ça n’a pas aidé.”

“La laïcité c’est respecter chacun”

Malgré tout, Mathilde considère qu’on politise trop les débats :

“Une religion, c’est d’abord des valeurs, et c’est ça qui doit être mis en avant. La foi, pour moi, c’est un truc en plus.”

C’est que Mathilde et ses comparses sont critiques sur la manière dont est par exemple traité le thème de la laïcité. Alexandre plaide pour plus d’ouverture vers l’extérieur de la communauté :

“Les politiciens instrumentalisent la laïcité. Alors que la laïcité, ce n’est pas les uns contre les autres. C’est juste avoir la liberté de croire et de ne pas croire. Respecter chacun”.

En fait, la loi de 1905 stipule que “la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte”, mais dit aussi qu’elle “assure la liberté de conscience” et “garantit le libre exercice des cultes”.

Jenastan voudrait une laïcité plus positive, qui n’oublie pas que la loi de 1905 garantit la pratique des religions, et qu’elle n’est pas qu’un mot brandi pour les effacer :

“La vraie laïcité c’est quand dans la vie publique tu ne différencies pas selon les religions. Dans la vie privée tu fais ce que tu veux. Tant que ça n’entache pas ta vie publique. Et la vraie laïcité, c’est aussi un dialogue entre les religions”.

Après le repas, les jeunes aident le directeur du centre à ranger les lieux, qui se veulent simples et sans fioritures (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Une pratique plus rare mais plus “vraie”?

Dans une période où la part de catholiques est en forte baisse en France (elle a chuté de 17 points entre 1978 et 2010), ils n’ont pas l’impression d’être les derniers des Mohicans dans une population d’athées. Au contraire, ils portent un regard philosophe sur l’évolution de la pratique chrétienne.

Alexandre en blague et glisse en clin d’œil :

“Il y a peut-être de moins en moins de chrétiens mais de meilleure qualité !”

Jenastan, l’air toujours impliqué, rebondit sur l’idée soulevée par son aîné. Il pense que l’évolution de la pratique n’est pas une mauvaise chose et qu’elle ne veut pas dire que la foi chrétienne est déclinante :

“C’est la foi qui change en fait. Et le fait que la société soit moins chrétienne nous pousse peut-être à nous définir plus par ça. Avant tout le monde allait à la messe par tradition, il y avait un côté rituel, formel. Alors qu’aujourd’hui, il y a plus de chances que quand tu te dis croyant, tu le sois vraiment.”

Et cela ne l’empêche pas d’être un étudiant “normal”, car pour lui tout se concilie :

“Pour moi, la foi me permet de porter une regard nouveau sur l’ensemble de ma vie. Ce n’est pas une activité particulière que l’on laisse de côté lorsqu’on passe à autre chose. Mes études, mes relations avec les gens, mes projets ou encore mes engagements passent par le prisme de la foi. Bien sûr, cela ne m’empêche pas de vivre une vie étudiante épanouie et sociale, au contraire !”

Mathilde pense que la situation est moins alarmante qu’il n’y paraît :

“La foi se définit moins par le fait d’aller à la messe. Il s’agit beaucoup de l’investissement dans la communauté. Et en fait, quand on va aux Journées Mondiales de la Jeunesse, le rassemblement annuel de jeunes, on voit qu’il y a encore beaucoup de jeunes croyants !”

Alexandre, qui a l’engagement polyvalent, salue aussi ces autres formes d’expression de la foi, et rappelle qu’il faut que ce soit une question d’envie, un vrai engagement :

“Moi je vais à la messe quand je peux, quand j’ai le temps. Quand je me donne vraiment pour le Christ. Mais à côté de la messe je fais d’autres choses, je vais aux prières Taizé, les petites séances qui reprennent les chants de la communauté, et je vis ma foi au jour le jour, dans la vie quotidienne, par les petits gestes qui correspondent aux idées de partage, d’aide de son prochain, de pardon…”


#Aumônerie Universitaire Catholique

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