Jusqu’à Noël, les vêtements de Monsieur Mimosa et Fondersi sont vendus dans l’une des adresses les plus prestigieuses de Strasbourg, la rue de la Mésange. Les deux marques strasbourgeoises sont exposées avec une dizaine de jeunes créateurs indépendants dans une boutique éphémère. Ce « pop up de créateurs » a été mis sur pied par Sara Khbaizi, quelques mois après avoir lancé sa première collections de vêtements pour hommes de la marque Monsieur Mimosa.
À Hautepierre, Mohammed et Fatou N’Diaye, fondateurs Fondersi, sont quasiment voisins de Sara Khbaizi. Le couple est installé boulevard la Fontaine. Sara Khbaizi a son bureau et son stock à la Pépinière d’entreprises, à quelques centaines de mètres. Mais longtemps ces créateurs ne se connaissaient pas.
On peut être voisin sans se connaitre
C’est en automne 2021 qu’ils sont mis en relation. La fondatrice de Monsieur Mimosa prépare alors un défilé à Strasbourg. Par hasard, elle rencontre à Paris une ancienne miss élégance Alsace, Aya Kadjo. Cette dernière a porté les tenues de Fondersi. Sara Khbaizi découvre ainsi la marque strasbourgeoise.
Cela tombe bien, leurs entreprises portent les mêmes valeurs. Lorsqu’on les interroge sur leurs motivations, Mohammed N’Diaye comme Sara Khbaizi pointent que « l’industrie de la mode est la deuxième plus polluante, après la pétrochimie ». Et s’ils adorent bien s’habiller et habiller les autres, pas question pour eux de reproduire ces vieux schémas.
« Comme on ne trouvait pas d’emploi, on a développé notre marque »
En 2015, Mohammed N’Diaye rejoint Strasbourg où il suit un master en e-commerce. Après des études dans la mode et le stylisme à Milan, son épouse Fatou le rejoint. Mais les opportunités manquent dans la capitale alsacienne :
« Les créateurs sont à Paris ou Lyon. Comme on ne trouvait pas d’emploi, on a mis nos compétences en commun et on a développé notre propre marque. La première tenue a été faite à Strasbourg et portée en Italie où l’on avait des contacts. »
Six ans plus tard, la marque Fondersi fait travailler quatre personnes à Strasbourg. Le nom, qui signifie « fusion » en italien, fait référence à l’identité de la marque, explique Fatou N’Diaye, 32 ans :
« Ce sont des lignes simples avec des imprimés colorés qui s’inspirent de ceux portés au Sénégal dont nous sommes originaires. Les tissus wax sont des habits de fête. On a pu voir nos parents les porter, mais on s’est dit pourquoi les limiter aux grandes occasions ? Aujourd’hui, de grandes marques comme Dior utilisent des tissus wax ou même des stars comme Beyoncé en portent. Et puis on fait aussi des tenues un peu moins flashy avec d’autres matériaux. »
De l’audit à l’habillement
De son côté Sara Khbaizi quitte son premier job dans l’audit au Luxembourg après trois ans : « J’avais besoin de créer quelque chose qui me correspond. Dans l’audit, on arrive en bout de chaine. On analyse, mais on ne créé rien. »
Avec la marque Monsieur Mimosa, la créatrice strasbourgeoise choisit ses matières, dessine le patron et fait confectionner les habits par des ateliers en Écosse et au Portugal, « des affaires familiales dans des pays avec une tradition du textile ». Elle souhaite impulser un changement dans les habitudes de consommation vestimentaire, et, qui sait, d’autres pratiques chez les industriels.
Sa première collection de vêtements masculins a été commercialisée en été 2021. Pour se démarquer de la « fast fashion », qui pousse à toujours acheter de nouveaux vêtements, elle associe des lignes pures, qui ne se démodent pas, avec des matières résistantes.
Agir pour la mode
Pour Mohammed N’Diaye, suivre de hauts standards environnementaux est une manière de s’impliquer pour l’environnement :
« Souvent, on peut être conscient du changement climatique, mais on n’a pas vraiment de moyen d’agir. On a des enfants, on se demande quelle planète on va laisser. Au début c’était un choix contraint, mais c’est devenu tout naturel. On utilise les chutes de tissu pour des petites pièces comme des nœuds papillons, des cravates, le remplissage d’oreillers, et désormais des masques. Il n’y a pratiquement aucun déchet. »
Quelques machines à coudre, des tissus assemblées « avec les techniques apprises en Italie » et une grande table… L’atelier de Fondersi travaille sur-mesure et tient dans des locaux d’une cinquantaine de mètres-carrés. Pour un costume sur-mesure, il faut compter 500 à 600 euros. Et à partir de 100 euros pour une robe chemise.
Le délicat choix des matériaux
Sara Khbaizi comme Mohammed N’Diaye estiment n’avoir pas de difficulté d’approvisionnement pour des matières de qualité. Notamment parce que la grande industrie utilise de plus en plus de coton biologiques. Mais pour Mohammed N’Diaye, s’intéresser uniquement le tissu n’est pas suffisant :
« Souvent des marques se disent éco-responsables car elles ont un coton biologique. Mais que font ces marques dans les usines pour leurs déchets ou les teintures, qui sont aussi une source de pollution majeure ? »
Sara Khbaizi est aussi lassée des effets d’affichages sans réflexion globale. « J’ai encore vu une opération de greenwashing pour pousser à acheter des bouteilles en plastique », relève-t-elle. Dans la quête de « responsabilité », le choix de matériaux est une affaire de compromis :
« Une matière recyclée sera moins résistante et donc moins durable. J’aime travailler avec le lin, une matière légère dont la France fournit 80 à 85% de la production mondiale ».
Les vêtements sont plus chers que dans les grandes enseignes, autour de 100 euros la chemise, mais Monsieur Mimosa propose des habits « intemporels », des basiques qui s’abiment peu, avec un soin particulier accordé aux détails (boutons, coutures, etc.).
« La solitude de l’entrepreneur »
Malgré l’accompagnement au lancement de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), d’Alsace Active ou de la Pépinière, Sara Khbaizi manque d’échanges avec d’autres entreprises de l’habillement. Ses principaux contacts se font à Paris. Entre le début de l’aventure fin 2019, et ses premières ventes à l’été 2021, et deux confinements plus tard, elle raconte avoir expérimenté la « solitude de l’entrepreneur ».
« Au lancement, je pensais encore être sur un positionnement entièrement numérique », raconte Sara Khbaizi. Mais difficile de se faire une notoriété. En quelques mois, elle se met en quête de visibilité et de ventes physiques. Elle participe à la Foire européenne, expose dans un magasin éphémère à Paris ou obtient un espace dans l’hôtel Tandem place de la gare.
L’entrepreneuse cherche aussi à organiser un défilé. Mais comme à Strasbourg, « il n’y a pas de réseau », dixit Sara Khbaizi, il n’y a pas d’événement sur lequel se greffer. Elle monte alors le « Slow Fashion Show », un nom un peu plus sexy que « défilé éco-responsable ». Avec Fondersi et Monsieur Mimosa, deux autres marques parisiennes participent à la soirée fin novembre à l’hôtel Tandem.
Pas d’agence de mannequin à Strasbourg
Mais là encore, être à Strasbourg ne facilite pas la tâche. « À Strasbourg, il n’y a même pas d’agence de mannequin ». Un mal pour un bien peut-être. Plutôt que des profils stéréotypés, la situation lui fait chercher des profils « inclusifs », en passant des annonces sur les réseaux sociaux. Des personnes de différentes tailles, différentes corpulences, et origines portent les tenues des quatre marques.
Quant à l’idée d’une boutique éphémère, c’est cette fois une mauvaise expérience avec un revendeur qui la pousse à faire les choses elle-même. « C’était difficile d’avoir un retour et les marges ne me permettaient pas de m’y retrouver », raconte-t-elle. Elle monte le projet avec une autre occupante de la Pépinière de Hautepierre, qui produit des épices libanaises. Dans le magasin on retrouve des gourdes en verre recyclé, du miel alsacien, des bougies, des jean tissés dans les Vosges, des pâtisseries.
Même si Strasbourg n’a pas beaucoup de culture mode, c’est peut-être « un marché à prendre », espère Sara Khbaizi. C’est aussi l’espoir de Mohammed N’Diaye :
« Il y a du potentiel. Il y a une population assez jeune qui veut bouger. C’est dommage que la ville n’ait pas plus de considération pour ses artisans. Il y a certes une tradition culinaire et gastronomique, mais sinon il n’y a pas de grand événement autours des créateurs. »
Pour Fatou N’Diaye, qui remarque la différence avec l’Italie, il y aussi une question de mentalité. Les Français ont peu l’habitude du sur-mesure en dehors de très grandes occasions. Pourtant, elle vante les atouts :
« On a récemment fait un pantalon pour un cycliste. Il a une taille fine, mais de gros mollets. Aucun taille standard ne lui convenait. Pour le travail c’est moins dérangeant, mais il voulait quelque chose de mieux pour sortir. »
Des collaborations inattendues
Mais les habitudes changent un peu, notamment chez les professionnels. Mohammed N’Diaye s’amuse des collaborations inattendues avec des entreprises. « On a fait des masques pour l’hôtel Boma ou Régent Contades. On a aussi travaillé avec une entreprise de sécurité. On s’est même retrouvé à travailler avec un kebab ou un boucherie, pour lesquels on a fait les tabliers ».
En cette fin d’année, il est heureux de rejoindre la boutique de créateurs pour avoir « plus de visibilité », après deux années où le Covid ont limité les opportunités de défilés. En 2022, la marque projette d’intégrer une boutique à Milan et participer à un défilé en Italie.
Quant à Sara Khbaizi elle s’est prise au jeu de l’événementiel et des ouvertures éphémères. « Il y en aura d’autres les prochaines années », prédit-elle.
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