Début décembre, des professeurs d’un collège de la Meinau à Strasbourg lancent une alerte sur les réseaux sociaux. Trois élèves, deux en troisième et l’un en quatrième, ont changé de comportement : bons élèves, ils s’absentent ou apparaissent très fatigués. Et pour cause, ces enfants dorment avec leurs familles depuis des mois dans des voitures, une solution de fortune qui ne fonctionnait plus quand les températures nocturnes ont baissé.
Deux jours plus tard, ils alertent les médias pour relayer l’information, ce qui provoque la mobilisation des pouvoirs publics. Mercredi 6 décembre, Mathieu Cahn, adjoint au maire (PS) en charge du quartier et Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire (EELV) en charge des affaires sociales, rencontrent les professeurs et les familles. Le même jour, l’une d’elles trouve une solution. Elle est logée dans une chambre d’hôtel est cela jusqu’au 22 janvier 2018, date anniversaire du petit dernier qui aura 3 ans. Le lendemain, l’association du Foyer Notre-Dame trouve une chambre dans un centre d’hébergement au Neuhof pour les deux autres familles. Elles se retrouvent à 9 dans une pièce. La situation de ces familles reste très précaire. Deux d’entre elles détiennent un titre de séjour toujours valable, la troisième au revanche n’aurait pas de procédure possible pour le moment. Cependant, aucune des trois familles n’a reçu d’ordre de quitter le territoire français.
Une mobilisation du corps professoral
Au collège, la mobilisation continue mais seuls les professeurs connaissent l’identité de ces collégiens. Arméniens originaires d’Arménie, de Russie ou d’Azerbaïdjan, ils ne souhaitent pas que leurs camarades soient au courant de leur situation. Les trois collégiens vont tous à la cantine. Leurs repas sont financés autrement que par les familles. Il semblerait que ces déjeuners soient pris en charge par le fonds social du collège. Les professeurs rassemblent du matériel pour aider ces familles en dehors de l’établissement.
L’une des enseignantes du lycée est professeure en histoire-géographie :
« Quand nous avons constaté la situation, nous avons contacté l’assistante sociale qui nous a répondu qu’il n’y avait de place nulle part. À partir de la Toussaint, ces familles ont été logées par ci par là. Un soir, ils étaient 11 chez un collègue. Deux des familles sont arrivées en France en 2014. Les deux élèves sont en troisième et ils sont vraiment excellents ! Pour la troisième famille, ils sont arrivés en 2011. Ces élèves, je ne les voyais qu’en classe, je les attrapais donc à la fin des cours pour savoir comment ça se passait pour eux. »
En parallèle, les enseignants se mobilisent pour collecter des vêtements, de la nourriture, des fournitures scolaires… Parfois, ils passent par des associations. Ils sont une dizaine d’enseignants à être plus impliqués mais tous participent. Des communiqués et des lettres doivent être envoyés à l’Académie de Strasbourg, au préfet du Bas-Rhin et même au président de la République :
« Nous savons bien que nous avons peu de chance d’avoir des réponses à nos lettres, mais nous voulons dire ce que l’on fait. »
La professeur d’histoire-géographie est émue par cette mobilisation citoyenne mais elle relativise :
« C’est un peu égoïste, nous ne venons en aide qu’à ces enfants parce que nous les côtoyons. Il y aurait encore beaucoup à faire. »
Des logements souvent insalubres
Une autre enseignante est largement impliquée dans cette mobilisation, professeur de langue au collège de la Meinau, elle a déjà hébergé l’une des familles :
« Ils sont à l’abri mais leurs conditions de vie ne sont pas faciles. À leur arrivée, il y avait des problèmes de chauffage, il n’y avait que des lits de camp. Nous avons réussi à leur fournir plusieurs matelas. Il y a peu de toilettes pour les quelques 120 personnes qui sont logées dans le centre. Mais les élèves s’accrochent : les deux troisièmes étaient en stage, ils se sont impliqués tous les jours. Quant au collégien de quatrième, il vit aujourd’hui à Eckbolsheim. Dans un hôtel avec deux chambres, mais ils ont un énorme souci de punaises de lit. Si bien que pour l’une des sœurs de la famille, un médecin a même établi un certificat médical en faisant la demande d’attribution d’un logement salubre d’urgence. Deux traitements auraient été faits dans cet hôtel mais j’ai pu voir que l’élève de quatrième commençait également à avoir d’innombrables piqûres. »
Dans la pièce où sont réunis les deux familles, les professeurs ont installé une cloison selon l’enseignante d’histoire-géographie :
« La vétusté des lieux nous désole. Bien sûr, les élèves de ces familles me disaient que leur situation est bien meilleure que lorsqu’ils étaient à la rue. Ils resteront dans ces locaux jusqu’au 30 avril, trêve hivernale oblige. »
Une cagnotte en ligne a été mise en place par des professeurs de l’établissement fréquenté par les élèves. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 3 500€ avaient été récoltés par 81 participants. Cet argent devrait permettre de louer un ou deux logements décents, ou encore de payer des chambres d’hôtel.
Des familles arméniennes et bien d’autres restent encore dans la rue
Valérie Suzan, présidente de l’association Strasbourg Action Solidarité, suit ces familles et bien d’autres qui restent chaque nuit dehors. Selon elle, sur une dizaine de familles arméniennes présentes à Strasbourg, au moins cinq ne sont pas encore mises à l’abri :
« Les enfants, souvent très jeunes sont régulièrement malades. C’est inadmissible qu’on n’arrive pas à les loger. De la place, je pense qu’il y en a. Roland Ries a affirmé qu’il trouverait des hébergements pour tout le monde, mais il faut agir maintenant, ne pas les laisser dehors pendant tout l’hiver. Il y a des personnes qui sont à Strasbourg depuis plusieurs années, certains de ces enfants sont même nés en France. Il est impensable qu’on ne puisse pas prendre en charge des personnes qui souhaitent s’insérer, travailler mais aussi trouver un logement. »
Sollicités constamment sur ces situations, les élus commencent à se mobiliser. Le maire de Strasbourg a interpellé le Gouvernement sur les insuffisances de l’hébergement d’urgence. Valérie Suzan est sensible à la mobilisation faite par ces professeurs et à la prise de conscience qu’elle ressent :
« L’élan citoyen est très important. Que ces professeurs dans ce collège se soient mobilisés, ça montre que ce sujet touche tout le monde. Il ne faut pas attendre d’avoir des températures avoisinants les -10° pour réagir. Ça vaut pour ces familles arméniennes comme pour toutes les personnes dans la rue, il y a même des femmes enceintes qui dorment dehors, l’une est à 8 mois de grossesse. Ils dorment à la gare, qui reste ouverte de 4h45 à 1h du matin en semaine et de 5h à 1h les weekends et jours fériés. Il faut trouver une solution. »
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