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« Les Jeunes Amants » : mélodrame émouvant sur l’amour fou

Carine Tardieu s’empare du dernier projet de la regrettée Solveig Anspach pour exalter un amour fou, éloigné des conventions sociales. Retrouvant la grande veine des mélodrames hollywoodiens, le film est porté par Fanny Ardant et Melvil Poupaud qui forment un duo au sommet de leur art.

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Shauna (Fanny Ardant), 70 ans, tombe sous le charme d’un médecin marié (Melvil Poupaud) bien plus jeune qu’elle. Malgré l’incompréhension de leur entourage, les deux amants vont vivre une histoire d’amour fou et destructeur. Peut-on aimer « une vieille dame » quand on est marié et père de famille ? Est-il acceptable de vivre une grande histoire d’amour quand la vieillesse et les premiers signes de la maladie de Parkinson s’invitent au chevet des amants ?

Votre film multiplie les références aux grands mélodrames, de Sirk à Fassbinder en passant par David Lean. Quelle force peut-on tirer du mélodrame pour raconter une histoire d’amour fou ?

Carine Tardieu : Le mélodrame suit une courbe, on monte très haut, on descend très bas, mais jamais aussi bas qu’on ne puisse remonter. Pour donner plus d’intensité à l’histoire que je voulais raconter, j’ai utilisé les codes mélodramatiques par l’image, la musique et la narration. Dans les recherches sur la photographie du film menées avec la chef opératrice Elin Kirschfin, une des références était David Lean et plus précisément son mélodrame La Fille de Ryan qui se déroule en Irlande.

Nous avons beaucoup travaillé la lumière dans ce film car la romance naît d’une lumière particulière obtenue en réalisant une nuit américaine (une scène nocturne tournée en plein jour puis obscurcie en postproduction, NDLR). J’ai voulu également me servir de la musique pour accompagner l’histoire, lui donner une dimension supplémentaire, mais je ne voulais pas qu’elle prenne trop de place ou qu’elle anticipe une émotion qu’elle risquerait de tuer dans l’œuf. Pour autant, je n’avais pas peur du romantisme, je voulais jouer la carte de la passion. Il ne faut pas avoir peur du cinéma ! Mais malgré les artifices nombreux, c’est un film avec un seul travelling véritable à la fin du film. C’est un film de champ contre champ, très simple en matière de mise en scène.

Bande annonce (vidéo Allociné / Youtube)

Melvil Poupaud : De nombreux codes mélodramatiques sont respectés : les amants main dans la main en gros plan, le choix du format Scope, la course dans la rue des amants en fuite, la pluie comme reflet de leur état d’âme. Et bien sûr Fanny Ardant qui rajoute une couche de glamour, de passion avec son côté flamboyant et son côté tragédienne aussi !

C.T : Fanny Ardant et Melvil Poupaud ont cette dimension mélodramatique, leur couple dégage du glamour, quelque chose de possiblement grand chez eux, comme ces stars américaines des années 50…

La magie de Fanny Ardant est éternelle Photo : Ex Nihilo Kare

Les mélodrames hollywoodiens comportent un fond chrétien. La catastrophe qui s’abat sur la victime est comme l’expiation d’une faute dont ils ne sont pas responsables, je pense à la chute de Ron dans Tout ce que le ciel permet de Sirk ou encore à la crise cardiaque de l’immigré marocain dans Tous les autres s’appellent Ali de Fassinder. Dans Les Jeunes Amants, Shauna tombe malade. Quel sens symbolique revêt cette maladie ? Est-ce une punition ?

C.T : La maladie était déjà là dans le scénario de Solveig Anspach. Shauna est déjà malade quand elle rencontre son jeune amant, ce n’est donc pas une punition. Mais leur amour les réveille dans leur vie et libère le meilleur comme le pire. L’amour fou rend tout plus intense, même la maladie. D’un point de vue narratif, la maladie permet que le drame arrive comme dans les mélodrames que vous citez, mais c’est aussi un accélérateur qui symbolise la vieillesse. Même si la maladie de Parkinson peut frapper des plus jeunes, elle est associée à l’âge et c’est une manière d’incarner la vieillesse de Shauna qui a sûrement moins de temps à vivre que David.

L’amour fou peut aussi conduire à la mort, Shauna le dit à son amant « Tu vas me tuer »

C.T : Mais Shauna croit-elle à ce qu’elle dit ? Cette histoire d’amour l’épuise, mais quand elle prononce ces paroles, elle ne s’adresse pas à David son amant, mais plutôt à David médecin. Au lieu de me sauver, tu risques de me tuer. C’est le plus dur qu’il puisse entendre.

Frappée par la détresse de sa mère qui s’est consumée de désir et meurt à petit feu de l’impossibilité de vivre cet amour fou, la fille de Shauna demande à David : « Est-ce que ça valait le coup ? » Il ne répond pas à cette question. Que répondriez-vous ?

Fanny Ardant : Évidemment que ça valait le coup. La vie n’est pas une caisse d’épargne. Faut-il durer le plus longtemps et vivre comme des abrutis ? On ne fait pas de films sur ces gens là…

C.T : Elle se demande à elle-même « Est-ce que ça vaut le coup d’avoir peur ? » Mais ce n’est pas donné à tout le monde de se donner à corps perdu dans un amour fou ! Beaucoup ne vivent jamais une histoire d’amour dans leur vie, ce qui ne les empêche pas d’avoir des histoires, de rencontrer des gens et de se marier. Mais peu de gens l’avouent car c’est comme honteux de ne pas ressentir si profondément. J’avais été ému pour Un Coeur en hiver de Claude Sautet. Daniel Auteuil dit à Emmanuelle Béart qu’il ne ressent rien et qu’il est incapable de vivre une histoire mais c’est une manière de mettre à distance car il est perturbé. Cette idée me bouleverse.

Mais Shauna au contraire accepte le désir qu’elle ressent et celui qu’elle suscite

F.A : Elle est lucide et intelligente, mais ce n’est pas une Diane chasseresse, une cougar venue d’Amérique ! Elle est peut-être désirable, mais elle ne le sait pas. Elle s’habille avec simplicité et n’est pas dans la séduction. À 70 ans, elle sait son corps, elle connaît son visage. Quand elle se sait désirée, elle se dit « Mais tu es tombée sur la tête ma pauvre fille ! » Malgré tout, dès lors que leur histoire s’enclenche, elle y va. J’ai joué le personnage en pensant qu’elle n’avait pas peur.

Melvil Poupaud Photo : Ex Nihilo Kare / Allociné

Et pourtant, nous ne voyons pas le corps de Shauna

C.T : Solveig Anspach voulait filmer Shauna nue, elle ne voulait pas éluder sa nudité car ne pas la montrer aurait été hypocrite, comme si son corps nu était une honte. Mais Fanny ne voulait pas être nue avec un homme, c’est la pudeur de Fanny de toujours. Alors comment faire une ellipse de ces moments de nudité tout en étant fidèle à l’esprit de Solveig ? Je regardais beaucoup de films de Bergman qui filme les visages comme des paysages. Il joue avec toute l’expressivité de ses acteurs, ce que leurs visages racontent de la peur et du désir. Sur les scènes d’amour, en étant au plus près du visage, je pouvais raconter le désir, le trouble, le plaisir charnel de manière peut être même plus impudique que si je filmais un corps nu.

Mais on devine ce corps nu dans les troublantes séquences de douches à la piscine municipale

C.T : Oui, on voit des corps de femmes âgées, nues, des corps de toutes sortes qui sont magnifiés et vus dans le regard de Shauna. Ces corps, c’est aussi son corps regardé par d’autres. Plusieurs fois, une actrice ou un acteur m’ont ainsi poussé dans mes retranchements en terme de mise en scène à cause de la peur ou de la gêne.

F.A : Je n’avais pas l’intention de faire ce scénario quand je l’ai lu, même si j’aimais l’histoire. Carine m’a promis qu’elle trouverait des solutions alors je lui ai fait confiance.

Parmi ces solutions, les plans insistent sur les mains ridées. Sont-ils cruels pour vous ?

F.A : Oui. Les gens m’ont dit « On ne t’a pas épargnée par la photographie ! » La caméra est cruelle pour une actrice comme moi qu’on a l’habitude de rendre plus jolie qu’elle n’est.

C.T : Je ne suis pas d’accord, la caméra n’est pas cruelle ! Je montre les rides, le visage sous tous les angles, les mains, mais il ne s’agissait pas de l’enlaidir, mais de la magnifier. J’ai beaucoup pensé à Charlotte (Ingrid Bergman) dans Sonate d’automne de Bergman, je la trouve vraiment belle à l’âge qu’elle a.

F.A : Je préfère montrer mes rides que montrer un visage refait. La lumière d’un film doit magnifier un visage. Les actrices que j’admire n’étaient pas refaites. Anna Magnani et Simone Signoret par exemple ne faisaient pas de chirurgie. C’était des vrais visages avec toute la vie qui y est passée.

M.P : Et quand on est amoureux de quelqu’un, on regarde les défauts et on les trouve beaux, on est touché, on est amoureux des petits trucs qui n’iraient pas si on n’était pas amoureux. Le regard de Carine est amoureux, il est touché par une rondeur ou une ride.

L’équipe de tournage est essentiellement féminine, Solveig Anspach avait explicitement demandé avant sa mort que le film soit réalisé par une femme. Ce regard amoureux de Carine Tardieu, est-il un regard féminin ?

C.T : Female gaze ! Je n’ai pas un avis tranché sur la question. Je suis une femme d’origine juive, allemande, marocaine, élevée par un père autoritaire et une mère dépressive, je porte une identité faite de tout cela et on ne peut me résumer à être une femme. Solveig voulait un regard féminin car c’est une histoire qui doit être racontée par une femme. Mais elle douterait peut-être aujourd’hui. Qui a mieux filmé les femmes que Claude Sautet dans leur intimité la plus profonde ?

M.P : Cassavetes ?

F.A : En tout cas, un homme qui aime les femmes les connaît mieux car il les a pratiquées !


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