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Jérémy Ditner, agriculteur : « Il ne faut pas moins de normes. Il faut soutenir le bio »

Les agriculteurs mobilisés par la FNSEA réclament moins de normes environnementales. Pour d’autres exploitants, comme Jérémy Ditner, le problème relève d’un trop faible accompagnement de la transition vers une agriculture écologique.

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La mobilisation des agriculteurs s’amplifie ce mercredi 24 janvier en Alsace. Les syndicats agricoles productivistes, la FDSEA et les Jeunes Agriculteurs, appellent au blocage de l’autoroute A4 au niveau de Strasbourg à partir de midi (suivre notre direct ici). Ils dénoncent leurs faibles revenus et des contraintes administratives et environnementales excessives.

Pourtant, à l’heure où la nappe phréatique alsacienne est de plus en plus polluée par les pesticides, où la biodiversité s’effondre, où le climat ne cesse de se réchauffer et où la sécheresse touche de plus en plus durement les paysans, les enjeux écologiques doivent être pris en compte par l’agriculture selon Jérémy Ditner, producteur à Ammertzwiller dans le Haut-Rhin. Ce jeune exploitant de 35 ans produit sur plus de 130 hectares du maïs, du blé, du soja, des lentilles, des courges, des pommes de terre, des carottes ou encore des navets avec le label bio. Administrateur de l’Organisation professionnelle de l’agriculture biologique en Alsace (Opaba), il considère qu’une amélioration de la condition des agriculteurs doit passer par un accompagnement vers la transition agro-écologique.

Rue89 Strasbourg : Partagez-vous le constat de nombreux agriculteurs concernant les difficultés de rémunération dans le secteur ?

Jérémy Ditner : Oui, je me retrouve dans les revendications sur les revenus agricoles. Nous avons des charges qui augmentent pour le gasoil et l’énergie. Parallèlement, les prix ont chuté à cause d’une baisse de la consommation des produits locaux. On vendait une tonne de blé pour 400 euros lors de la récolte de 2022, contre 200 euros la tonne en 2023. Mon revenu sur l’année était plutôt correct il y a encore quelques temps. Mais cette année, il a bien baissé, même si je n’ai pas encore fait le calcul précis. Je travaille 50 heures par semaine. Je ne sais pas si je suis au smic horaire.

« Il y a des surmarges dans les circuits longs qui pénalisent les agriculteurs. On ne sait pas si c’est au niveau des industriels ou de la grande distribution. »

Jérémy Ditner, agriculteur

Heureusement, en bio nous avons moins de charges que les agriculteurs conventionnels puisque nous ne payons pas les intrants (engrais, pesticides, NDLR), dont les prix ont aussi augmenté. Dans mon exploitation nous sommes résilients parce que nous avons une quinzaine de productions différentes, donc on ne dépend pas du cours d’une marchandise. On a vendu moins cher nos céréales mais les légumes sont plus stables. Nous vendons une partie de notre production en circuit court à des magasins comme la Biocoop, Satoriz et Biomonde, donc nous avons plus de contrôle sur les prix.

Pour le bio, c’est justement très important de pouvoir mieux contrôler ses prix, car il y a des surmarges qui sont pratiquées dans les circuits longs et qui pénalisent les producteurs. Quelques années en arrière, on vendait une pomme de terre bio deux fois plus chère qu’une conventionnelle à une coopérative et elle était deux fois plus chère au supermarché. Aujourd’hui, on ne la vend plus que 10% plus chère mais elle coûte toujours le double en rayon. On ne sait pas où est faite la marge, si c’est au niveau de l’industriel ou de la grande distribution. Il faudrait plus de transparence et de régulation des prix.

Y a t-il des normes ou des contraintes administratives que vous considérez comme une entrave à votre activité ?

Nous sommes contraints de réaliser de nombreuses démarches administratives, qui augmentent notre charge de travail. Il faut toujours montrer patte blanche. Quand on déclare notre ferme pour les aides de la Politique agricole commune (PAC), on doit cartographier nos productions et justifier à chaque fois qu’elles sont bio. Et on doit recommencer à chaque changement d’activité sur une parcelle. C’est très lourd et il y a un risque d’erreur dans les dossiers. D’après moi, le simple fait d’avoir le label bio pourrait suffire car c’est déjà contraignant. En plus, nous avons de gros retards de paiements dans les aides pour le bio. Cette année, nous allons les recevoir au printemps 2024 alors que les autres aides de la PAC sont tombées en octobre 2023.

« Le blocage de certains agriculteurs sur les normes environnementales vient d’une transition agricole qui n’est pas assez accompagnée. »

Jérémy Ditner, agriculteur

Pensez-vous qu’il serait nécessaire de réduire les normes environnementales, comme le revendique certains syndicats agricoles ?

Je ne suis pas du tout concerné par cette question parce qu’en étant en bio, j’ai des normes environnementales bien plus importantes à respecter. La transition vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement est essentielle face à la crise écologique et climatique. Pour moi, le blocage de certains exploitants sur cette question est surtout lié au fait que la transition agricole n’est pas assez accompagnée. Il ne faut pas moins de normes environnementales mais soutenir plus fortement la production bio. Avec l’Opaba, nous revendiquons par exemple une aide au maintien à l’agriculture bio, qui serait d’un montant de 145 euros par hectare et par an. Actuellement, on est seulement à 90 euros par hectare.

Jérémy Ditner exploite 135 hectares avec ses parents, son frère et deux ouvriers agricoles.Photo : Document remis

Une autre solution serait d’étendre les paiements pour services environnementaux (des rémunérations d’agriculteurs pour des actions qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes, NDLR). Les exploitants pourraient recevoir une compensation lorsqu’ils n’utilisent pas de pesticides dans certains secteurs comme des zones humides.

« Le bio permet d’être moins exposé à la concurrence internationale : il y a moins d’importations de ce type de produits. »

Jérémy Ditner, agriculteur

La transition vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement peut-elle être une solution selon vous ?

Oui, car il y a moins de charges. Aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs qui se lancent s’orientent stratégiquement vers le bio et les circuits courts pour être plus résilients et parce qu’il y a une demande. Je pense qu’aider davantage les producteurs à se convertir vers des modèles plus vertueux pourrait tirer une grosse partie des exploitants vers la transition.

Pour l’instant, il n’y a toujours pas de cap clair. On dit aux agriculteurs qu’ils doivent faire du bio, mais il n’y a pas de soutien de la force publique pour créer des filières qui leur assureraient des débouchés sécurisés. L’État pourrait notamment œuvrer à faire respecter la loi Egalim qui impose du bio dans les cantines scolaires. C’est toujours l’agriculture conventionnelle qui est la plus soutenue par la politique européenne. Nous sommes dans un flou total, qui fait perdre la boussole aux agriculteurs. C’est cela qui crée un agacement contre les normes environnementales, qui sont juste perçues comme pénalisantes.

Or le bio, c’est un outil pour être moins exposé à la concurrence internationale : il y a moins d’importations de ce type de produits. On doit également soutenir les nouvelles installations pour renouveler les générations d’agriculteurs. Il faut maintenir ce dynamisme qui est favorable à la transition, car beaucoup de jeunes veulent se lancer dans le bio avec des modèles plus résilients.


Mercredi 24 janvier, 500 agriculteurs de tout le Bas-Rhin ont convergé à Strasbourg pour bloquer la M35 pendant 24 heures. L’acte 2 d’une mobilisation aux airs de sursaut de colère après un premier avertissement lancé en novembre dernier. Fini les panneaux retournés, les agriculteurs bloquent le réseau routier, exigeant des solutions face à la concurrence déloyale des denrées alimentaires importées, face aux contraintes administratives chronophages et face à une grande distribution qui ne laisse toujours aucune marge de négociation.

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