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Jardins familiaux : on ignore tout de la qualité des sols et des légumes

Exit le mythe du jardinier urbain qui cultive ses bons légumes bio dans son carré de verdure préservé. Les jardins familiaux strasbourgeois, 5 000 disséminés dans divers quartiers, sont bien souvent en bordure d’autoroute ou à proximité de zones Seveso. Quelles conséquences sur la qualité des légumes cultivés et la santé des jardiniers ? Personne n’en sait rien.

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De nombreux jardins familiaux sont situés à proximité de l'A35 à Strasbourg (Photo David Rodrigues)

C’est le Graal pour de nombreuses familles modestes, mais aussi pour de plus en plus de trentenaires urbains, désireux de remettre les mains dans la terre. Car pour décrocher un lopin aménagé ou non par la ville de Strasbourg, il faut souvent compter pas moins de trois ans sur liste d’attente, de 18 mois à cinq ans en fonction des secteurs demandés. Qu’à cela ne tienne, les arguments sont nombreux pour patienter gentiment : d’abord, rien de tel pour faire baisser sa note de courses que de cultiver ses carottes et ses patates. Ensuite, le jardin en ville, c’est une aubaine pour faire jouer les enfants et les initier aux choses de la nature (domestiquée). Enfin, les jardins familiaux (anciennement appelés les jardins ouvriers) sont un lieu de convivialité privilégiée, entre amis ou voisins.

Seulement voilà, ces petits jardins ne sont pas la panacée. Et pour cause, des épisodes de pollutions, à l’Elsau il y a quelques années, à la Robertsau aujourd’hui, sont à déplorer. Mais surtout, situés en bordure d’autoroute à Cronenbourg, Schiltigheim ou Kœnigshoffen, ou à proximité de zones Seveso, comme à la Robertsau (Port aux pétroles), ces concessions cédées à des prix très attractifs (de 32 à 135€ par an) baignent bien souvent dans un environnement pollué, aussi bien au niveau des sols que de l’air.

Deux études, publiées en 2001 (à lire en bas de page) et 2002, montrent que les polluants sont nombreux, voire dangereux, surtout en bordure des grands axes de circulation. Le rapport d’Olivier Massounie (2002) démontre par exemple « que certaines carottes de sols [prélevées dans des jardins familiaux situés en bordure d’autoroute, notamment à Strasbourg] régulièrement espacées depuis la bande d’arrêt d’urgence jusqu’à une distance de 60 mètres à l’intérieur des jardins, accumulent de fortes concentrations en plomb, qui dépassent de 2 à 3 fois les teneurs maximales admissibles dans les sols à vocation agricole fixées par l’arrêté ministériel du 8 janvier 1998. (…) La pollution routière se traduit par des dépôts atmosphériques de plomb, de cadmium, de zinc, d’hydrocarbures aromatiques polycycliques. »

Les usagers préfèrent ne pas trop y penser

Miam. De tout ça, généralement, les usagers des jardins n’ont pas conscience, ou ne veulent pas trop y penser. Agnès, une mère de famille de 45 ans, a cultivé des légumes dans un premier jardin à la Robertsau, avant de déménager à Schiltigheim, où elle fait pousser tomates, courgettes et carottes à une soixantaine de mètres du talus de l’A35. Elle témoigne :

« J’avoue que je ne me suis pas renseignée sur la pollution des sols. Je suis plutôt préoccupée par les pesticides que mes voisins de jardins utilisent à tour de bras ! Ce que je me dis, c’est qu’il y a un mur anti-bruit, un talus et beaucoup d’arbres et de végétation entre nous et les voitures… Je me sens protégée, en tout cas autant que n’importe tout en ville, où l’air est aussi pollué.

Si j’étais sûre que c’était pollué, je ne sais pas ce que je ferai. Mais je sais que pour certains, qui sont là depuis toujours, ça ne changerait rien ! Leur jardin, c’est ce qui meuble leur vie, c’est leur équilibre. Et puis quand je râle contre leurs désherbants, ils me regardent de travers… »

Certains jardins familiaux, particulièrement luxuriants en été, ont un vrai petit air de campagne. Ici, au pied de l'A35 à Schiltigheim (Photo MM)

S’agissant du sentiment de protection apporté par le mur et les arbres, Agnès la jardinière met le doigt sur l’une des « mesures de réduction » des impacts des pollutions préconisées par le Sétrat (Service d’études techniques des routes et autoroutes), qui a publié en 2004 une « note d’information sur la pollution des sols et des végétaux à proximité des routes« . Outre des mesures d’évitement (ne pas cultiver à proximité des grands axes), il est proposé dans ce rapport de « réaliser des écrans (végétaux et/ou acoustique) et des merlons plantés » entre les cultures et la voie de circulation, « d’augmenter la profondeur des dépendances vertes et de créer des zones tampons faisant office de pièges à poussières, ou d’imposer des marges de recul minimales (20 à 40 m de la bande d’arrêt d’urgence) ».

Encore trois ans de recherches scientifiques

Des recommandations qui ne sont pas appliquées partout ni même harmonisées au niveau national par manque d’information sur cette question, comme l’indique Christophe Schwartz, agronome à l’Inra de Nancy, spécialiste en « pédologie urbaine » (science des sols urbains) depuis 20 ans :

« Au début des années 1990, j’ai été l’un des premiers, au sein du Laboratoire Sols et Environnement de Nancy, à m’intéresser à la qualité des sols en ville qui, contrairement aux sols forestiers ou agricoles, avaient très peu été analysés ou surveillés. Depuis une dizaine d’années, les sols urbains et en particulier les sols de jardins, sont de mieux en mieux connus, même si l’on a encore besoin d’acquérir des données d’inventaire pour en dresser une typologie au niveau national. Un programme de recherche que je coordonne va démarrer et devrait apporter des connaissances nouvelles d’ici trois ans.

C’est pourquoi aujourd’hui on ne peut pas affirmer qu’un sol de jardin à proximité d’une autoroute ou d’une usine est plus pollué que d’autres en cœur de village. Tout dépend de l’âge du jardin – plus il est ancien, plus il est susceptible d’être contaminé – des pratiques du jardinier et enfin de la localisation de la parcelle. Les niveaux de contamination du sol en polluants métalliques (plomb, zinc, cadmium) ou organiques, comme les hydrocarbures, sont extrêmement variables. Il serait dangereux de généraliser. On peut d’ailleurs souligner que les facteurs atmosphériques (industrie et trafic routier) peuvent parfois être moins impactants que les intrants (engrais, déchets, pesticides).

Je suis optimiste pour l’avenir car il y a une prise de conscience croissante des collectivités et des organisations de jardiniers sur ces questions. Ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est développer les filières d’analyses d’échantillons de terre, pour que toute ville ou jardinier puisse avoir accès à un diagnostic pour une meilleure gestion des sols. »

A Strasbourg, les espaces verts s’appuient sur des suppositions

Le scientifique n’est pas favorable à l’application d’un principe de précaution dans le domaine de l’agriculture urbaine. Rassurant, il recommande simplement de « bien nettoyer ses légumes » avant de les consommer. C’est aussi ce que conseille le service des espaces verts de la ville de Strasbourg, dont deux agents contrôlent quotidiennement les 5 000 jardins concédés sur 16 hectares de terrain municipal. Louis Tissier, qui en est le responsable, confirme :

« Nous avons peu ou pas de connaissances en matière de pollution des sols dans les jardins familiaux existants. Des analyses sont faites quand nous créons de nouveaux lots, mais pas sur les anciens. Dire qu’il n’y a pas de retombées des pollutions atmosphériques dans les sols est impossible, car nous n’en savons pas grand chose. On ne peut pas nier non plus que ces retombées sont sans doute plus importantes à proximité des autoroutes, mais elles sont de toutes façons diffuses en milieu urbain.

On peut imaginer que s’il y avait des problèmes importants [suite à la consommation des légumes cultivés là] sur la santé humaine, ils auraient été révélés. Même s’il est très difficile d’identifier que c’est parce qu’une personne a mangé des légumes pollués pendant 20 ans qu’il a un cancer aujourd’hui… Le seul volet sur lequel nous pouvons agir, c’est celui des pratiques culturales : depuis le 1er janvier 2008, les produits phytosanitaires sont interdits. »

Un grand pas en avant, si l’on admet que les pesticides sont plus mauvais pour la qualité des cultures que la circulation automobile ou la pollution des eaux. Néanmoins, même en cas de respect de cette interdiction (qui n’est pas automatique…), impossible pour Louis Tissier d’affirmer lequel, d’un légume cultivé en bio à proximité de l’A35 ou d’un autre cultivé de façon conventionnelle, dans le cadre d’une agriculture intensive, dans un champ à la campagne, est le meilleur pour la santé…

Jardins familiaux à Strasbourg, le guide 2010


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