Nous sommes le 26 novembre 2012. C’est jour de conseil municipal à Strasbourg. Parmi les délibérations figure la modification n°35 du plan d’occupation des sols (POS). Une modification comprenant un point qui a fait monter au créneau de nombreux Robertsauviens, parce qu’il concerne le cœur même de leur quartier : le jardin de la paroisse Saint-Louis à côté de l’église, rue Jeanne-d’Arc (voir plan ci-dessous). Un jardin privé et fermé, mais un espace de verdure dans ce morceau de quartier. Déclaré « emplacement réservé » pour un projet d’intérêt général (définition dans le code de l’urbanisme) il y a plusieurs années, ce jardin est redevenu constructible suite à ce conseil municipal, la collectivité ne pouvant plus justifier de son utilité.
Pétition et contre-pétition
En amont de ce conseil, une pétition avait circulé dans le quartier, rassemblant pas moins de 1365 signatures contre cette modification du POS. Un collectif de sauvegarde du jardin Saint-Louis avait également été créé le 13 novembre 2012. Des actions qui ne sont pas restées sans réponse, puisque le curé a fait circuler une contre-pétition lors d’un de ses sermons.
Nicole Dreyer, adjointe au maire en charge du quartier de la Robertsau, explique la raison de cette levée d’emplacement réservé :
« Le jardin de la paroisse Saint-Louis a été inscrit en emplacement réservé il y a quelques années dans le but de créer une placette devant l’église rue Jeanne-d’Arc. Or un parvis ayant été inauguré en 2011 juste à côté [qui réglait les problèmes de sécurité à la sortie de l’église, donnant auparavant directement sur la rue], l’emplacement réservé sur le jardin n’avait plus lieu d’être. Alors, lorsque le Conseil de fabrique, l’assemblée qui gère les biens de l’église, nous a demandé de le lever pour pouvoir y faire construire un nouveau foyer paroissial, nous avons jugé que cette demande était légitime. »
Un manque de transparence
Le problème, c’est qu’on « ne peut pas faire pire en matière de transparence », selon Emmanuel Jacob, ancien conseiller municipal vivant à la Robertsau. Manque de transparence et sur les projets du curé, comme sur les modalités juridiques de la levée. « Le déni de la démocratie participative est à son comble », confirme Philippe Leonelli, responsable du collectif de sauvegarde du jardin. Un avis que partage également le président de l’association des intérêts de la Robertsau (ADIR), Jacques Gratecos :
« On s’attendait à ce que le conseil de quartier soit au moins informé que quelque chose allait se faire dans cette zone de la Robertsau, qui n’est autre que le cœur du quartier. Avec ce point noyé dans la modification n°35 du POS, nous sommes tombés des nues. »
Une enquête publique organisée en plein été, un projet paroissial qui reste flou : les Robertsauviens ont eu la désagréable impression que quelque chose se tramait dans leur dos. Visiblement agacé par l’opacité de ce projet, Emmanuel Jacob liste toutes les questions que se posaient et que se posent encore les riverains :
« Pourquoi construire un nouveau foyer ? Pourquoi sur ce terrain ? Que va devenir l’actuel foyer Saint-Louis de la rue du Docteur-Freysz [situé à 500 mètres de là, à vol d’oiseau] ? Pour financer la construction d’un nouveau foyer, il faudra très certainement vendre ce dernier. Mais qu’est-ce qui va être construit à la place ? Il reste trop de questions en suspens. »
« Le maire a fait une énorme erreur »
Tellement de questions sans réponse qu’Anne Schumann avait demandé au maire Roland Ries, lors du conseil municipal, de retirer ce point de la délibération, le temps que le projet paroissial devienne plus clair :
« Le maire a fait une énorme erreur, il a pris les choses à l’envers. Il aurait dû attendre que le curé propose un projet clair avant de rendre le terrain constructible. Aujourd’hui, un débat a été lancé alors même que le projet n’est pas posé. Ou bien l’emplacement réservé du jardin aurait dû être levé au moment de la construction de la place Jeanne-d’Arc, qui, elle, a fait la quasi unanimité dans le quartier. »
Pour Nicole Dreyer, « c’est facile pour l’opposition de dire ça maintenant ». Et d’ajouter : « À l’époque, nous n’avons pas forcément soulevé cette question quand l’aménagement du parvis de l’église a été terminé ».
Des Robertsauviens attachés à leur foyer
Dans cette affaire, ce qui inquiète le plus les riverains, c’est le devenir de l’actuel foyer Saint-Louis, qualifié de « lieu de vie de quartier » par Robert Grossmann lors du conseil municipal. Le conseiller de l’opposition (UMP) avait alors avoué que voir disparaître ce foyer serait un « crève-cœur ». Et il n’est pas le seul à le penser. Ce foyer accueille depuis près de 100 ans réunions de quartier, kermesses, mariages, scoutisme, anniversaires et autres fêtes de famille et de voisinage.
Anne Schumann rappelle que tout le monde est bien conscient de la vétusté du bâtiment, mais qu’il pourrait, selon elle, facilement être rénové :
« Il ne faut pas que ce foyer se perde. Le commissaire enquêteur affirme qu’il n’est pas aux normes en matière d’accessibilité aux handicapés. Il suffirait d’investir dans un ascenseur estimé à 200 000€. »
La somme évoquée est sans doute sous-évaluée, compte tenu des mises aux normes incendie et des cuisines à effectuer, de l’isolation à revoir, entre autres. De son côté, la paroisse met en avant le manque de bénévoles pour gérer le foyer Saint-Louis et les charges de plus en plus lourdes, notamment pour chauffer le bâtiment. Les opposants au projet la soupçonnent de vouloir vendre le local pour une faire une opération immobilière.
Un jardin privé ou public ?
« Et alors ? » répond à demi-mot l’adjointe au maire, qui note, quant au devenir du jardin cette fois :
« Il s’agit d’un terrain privé. Les opposants ont entretenu la confusion [sur le fait] que le jardin était une propriété de la Ville, mais c’est bien à la paroisse qu’il appartient. Il faut respecter les choix de la paroisse. On ne va pas voir dans les jardins des uns et des autres ce qu’ils y font. »
Toujours est-il que « le curé est payé par l’Etat, qu’il loge dans une maison qui appartient à la Ville et que l’église et le presbytère appartiennent à la Ville », rappelle Emmanuel Jacob. « Alors dire que c’est un projet privé n’est pas tout à fait vrai. »
« Fichez-moi la paix ! »
Soupçon, rumeur et confusion. Et ce n’est pas l’attitude du curé qui va apaiser les tensions : « La figure du curé n’est pas la plus conciliante du quartier », avoue Emmanuel Jacob. En effet, contacté par Rue89 Strasbourg, Didier Muntzinger ne s’est pas montré très coopératif, lâchant un « fichez-moi la paix avec vos histoires ! », visiblement fatigué par cette polémique.
En attendant que le curé sorte de son silence et dépose un permis de construire, les riverains attendent et ruminent. Seule l’ADIR a décidé d’agir en déposant, après un recours gracieux rejeté par le président de la communauté urbaine de Strasbourg Jacques Bigot, un recours contentieux pour excès de pouvoir auprès du Tribunal administratif de Strasbourg le 13 mai 2013. Le président de l’association se dit optimiste : « Nous avons bon espoir sur le résultat de notre recours. Les arguments de la partie adverse sont plutôt faibles ».
La Ville peut encore racheter le jardin ou le foyer
Paradoxalement, tout reste ouvert : la collectivité peut encore se décider à racheter le jardin – ce qu’elle aurait pu être légalement obligée de faire si elle n’avait pas levé l’emplacement réservé. Ce scénario permettrait à la paroisse d’engranger plusieurs centaines de milliers d’euros à réinvestir dans la mise aux normes du foyer Saint-Louis. La Ville peut aussi se porter acquéreuse du foyer lui-même, si la paroisse souhaite s’en séparer, et en faire un lieu de vie rénové pour le quartier.
Ce qui est sûr, c’est que les conditions de constructibilité du jardin – 16 ares dans un secteur où l’urbanisme est réglementé – ne permettront pas de faire dans le gigantisme. Affaire à suivre.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg / Les aménagements qui ont fait débat (1) : Bruckhof, le choix de la densité
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