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James, britannique : devenir français pour rester européen

L’UE a changé ma vie (4/4) – À 53 ans, James Brannan a vécu plus longtemps en France que dans son pays natal, le Royaume-Uni. Aussi surpris que navré de voir ses compatriotes quitter l’UE, il a demandé la nationalité française pour ne pas perdre sa citoyenneté européenne… et les droits qui vont avec.

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Le mois prochain, James Brannan se rendra à la préfecture pour un entretien. Passage obligé pour obtenir la nationalité française, ce traducteur à la Cour européenne des droits de l’Homme ne s’attend pas à d’énormes difficultés. Il a quand même potassé le « livret du citoyen  » remis à tous les aspirants Français. Un condensé de l’histoire, de la géographie et de la culture française qui tient en une trentaine de pages. Combien de communes en France ? Le chef-lieu de l’Eure-et-Loire ? La date de l’Édit de Nantes ? Même son épouse française ne connaissait pas toutes les réponses, s’amuse-t-il.

« Les entretiens peuvent être plus ou moins difficiles selon l’interlocuteur. La préfecture n’est pas dupe sur les motivations des Britanniques qui demandent la nationalité. Mais elle nous fait tout de même comprendre qu’il vaut mieux ne pas nous étaler sur le Brexit et davantage parler de notre attachement à la France. »

Comme beaucoup d’expatriés britanniques, James Brannan se sent abandonné par le Royaume-Uni. Européen convaincu, il vient de demander la nationalité française. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

À la préfecture du Bas-Rhin, les dossiers britanniques restent une infime partie des demandes de naturalisation. Mais la tendance est là. En 2018, les sujets de Sa Majesté étaient 5 fois plus à demander la nationalité française par rapport à 2015.

En France, dès 20 ans

James n’avait que 7 ans en 1973, quand le Royaume-Uni a adhéré à la Communauté Économique Européenne. Il a hérité la francophilie et l’attachement à l’Europe de son père. Son premier long séjour en France remonte à 1986, en Alsace déjà.

Après avoir étudié le français en Angleterre, il accepte un contrat d’assistant d’anglais à Thann. Durant ses 28 années passées en France, James a passé un diplôme de droit communautaire à Lyon. Il a rencontré son épouse, eu trois enfants, et ne s’est éloigné de la France que le temps d’une parenthèse néerlandaise à la Cour Internationale de Justice à La Haye. Français ? Pas encore. Européen ? Assurément :

« J’ai commencé à travailler comme chargé de cours à Lyon 2. J’ai fait presque toute ma carrière en France, j’ai cotisé et touché du chômage en France, j’ai lancé ma propre activité en France avec l’Urssaf… Tout cela aurait été nettement plus compliqué si je n’avait pas été pas un ressortissant de l’UE. »

Tout aurait pu continuer ainsi s’il n’y avait pas eu le Brexit. Ses enfants bénéficient du droit du sol, et donc la nationalité française. Mais pour lui, c’est une autre affaire.

Objectif : une retraite en France

Depuis que le Royaume-Uni a décidé de mettre les voiles, James est sur le pont pour aider ses compatriotes installés en France. Sur le groupe Facebook Remain in France together, il assiste les Britanniques dans leurs démarches pour obtenir des titres de séjour ou demander leur naturalisation. Dans l’immédiat, James se sait protégé car employé à la CEDH. Tous n’ont pas cette chance.

« Il y a des Britanniques qui ont perdu leur job à cause du Brexit, ou qui ne peuvent pas justifier de revenus suffisants pour pouvoir rester en France. Et toutes les préfectures n’agissent pas de la même manière. Certaines refusent de délivrer des titres de séjour sous prétexte qu’ils ne seront plus valides après le Brexit. »

Ce qui l’inquiète davantage, c’est sa retraite. Sans le statut de titulaire au Conseil de l’Europe, il deviendra un citoyen hors-UE comme un autre, et devra batailler lui aussi pour obtenir un titre de séjour. Il a décidé de franchir le pas et de demander la nationalité française :

« L’idée m’avait déjà traversé l’esprit bien sûr. Mais le Brexit et la perspective de perdre la citoyenneté européenne a agi comme un catalyseur. »

Privé de vote en 2016

James n’a pas eu le droit de voter au référendum du Brexit, c’est sa grande colère. Une loi interdit aux ressortissants britanniques, émigrés depuis plus de 15 ans, de participer aux scrutins. Le jour du vote, il était en déplacement à Trèves, en Allemagne. Pas spécialement inquiet sur l’issue du scrutin.

Il s’est tout de même levé à 3 heures du matin pour avoir les premiers résultats à la télé. En voyant un Nigel Farage déconfit qui criait au vote truqué, il s’est dit que c’était dans la poche. Et puis la tendance s’est inversée. Au fur et à mesure que le Brexit se précisait, le sourire de la figure de proue des brexiters s’est fait de plus en plus large. Dégouté, James assiste impuissant au triomphe de Nigel Farage depuis une chambre d’hôtel en Allemagne :

« Ce changement de ton quand il a vu que le vote pour le Brexit était majoritaire, ça m’a vraiment écœuré. Le lendemain, on s’est retrouvé complètement abasourdis avec d’autres Européens, y compris des Britanniques. Personne n’arrivait à réaliser. »

Jusqu’au bout, James était convaincu que le Remain l’emporterait face à Nigel Farage. (Illustration : Piet).

Ironie du sort, ce sont maintenant les partisans du Remain qui contestent la légitimité du référendum. Ils sont 3,7 millions de citoyens dans la même situation que James, privés de vote car « hors les murs » depuis plus de 15 ans (700 000 dans l’UE). Assez pour changer le cours du référendum :

« C’est quand même incroyable. Rien n’indiquait dans la loi que cette règle devait s’appliquer aux référendums. Ils l’ont suivi bêtement, alors que les expatriés sont les premiers concernés ! »

« En famille, on évite d’en parler »

Même depuis la France, James subit déjà le Brexit. La chute de la Livre Sterling a déjà rogné le patrimoine qu’il a hérité de ses parents. Quant à son fils de 10 ans, il pourrait bien ne jamais aller étudier en Angleterre comme ont pu le faire ses deux sœurs.

« Avec l’UE, le Royaume-Uni était obligé d’appliquer les mêmes tarifs d’inscription à l’Université à ses résidents qu’à ceux de l’UE. Et ceux-ci avaient également le droit au prêt étudiant. En cas de sortie sans accord, les frais pourraient doubler voire tripler pour les étudiants hors Royaume-Uni. Par principe, je pense que je ne m’y plierai pas. »

« Un fond xénophobe et raciste »

Paradoxalement James a multiplié les séjours en Angleterre depuis le vote du Brexit. L’occasion pour lui de prendre la température au cours des manifestations qui opposent remainers et brexiters, d’assister aux débats houleux au sein du Parlement Britannique, et d’essuyer quelques insultes à la vue de sa plaque minéralogique française, qui l’ont laissé pantois :

« Il y a quand même un fond xénophobe et raciste dans ce Brexit. Bien sûr personne ne l’assume. Les Brexiters se cachent derrière l’argument d’une souveraineté qu’ils veulent retrouver. »

Au sein de sa famille, le sujet est délicat. Si son père était un européen convaincu, son frère et sa soeur ont voté pour le Brexit. Ils évitent d’en parler.

« Mon frère dit regretter son vote depuis. Mes filles n’en parlent pas non plus avec leurs camarades à l’université. C’est plutôt elles qui me demandent ce qu’il se passe à chaque fois qu’il y a un rebondissement. »

La peur de se retrouver dans « l’Europe des pays tiers »

Depuis l’activation du fameux article 50 pour enclencher la procédure de sortie de l’UE, James Brannan apprécie encore plus les avantages de sa citoyenneté européenne. Dans son métier de traducteur juridique, il rappelle que c’est l’UE qui a précisé les conditions d’accès à la traduction et aux services d’un interprète au cours d’un procès. Au quotidien, il apprécie surtout les facilités administratives et l’ouverture des frontières. Un point que ses compatriotes insulaires perçoivent un peu trop comme une menace à son goût :

« C’est sûr que les courses à Kehl, ce n’est pas vraiment leur quotidien. Mais le Royaume Uni a tendance à percevoir la frontière ouverte comme une menace. Il n’y a guère que les Irlandais du Nord qui franchissent régulièrement la frontière avec l’Irlande pour s’en préoccuper. »

Les pays de l’UE et les « pays-tiers »

Contrairement à ses collègues ukrainiens ou bosniaques du Conseil de l’Europe, la citoyenneté européenne épargne à James les pénibles démarches pour obtenir un visa ou un permis de travail. Dans la plus large des institutions européennes, il est aux premières loges pour observer le schisme entre les citoyens européens et… il cherche ses mots : comment nommer un pays du Conseil de l’Europe qui n’a pas rejoint l’UE sans le reléguer au rang de la périphérie européenne ? Après une hésitation, il parle de « pays tiers ».

« Quand ils ont rejoint l’UE, on a entendu des pays comme la Bulgarie nous dire « comment ça on est européens que maintenant ? Alors on était quoi avant ? » Se dire que tout à coup, on va rejoindre ces pays-tiers, ça fait quelque chose. »

« Macron a choqué en voulant pousser les Britanniques vers la sortie »

À défaut de peser sur le Brexit, James se console avec sa nouvelle carte d’électeur. Après des semaines d’incertitude, il va finalement pouvoir voter pour les listes françaises aux élections européennes. Les Britanniques participant à cette ultime élection, il n’est pas question d’exclure leurs expatriés du scrutin.

Dans les forums d’expatriés britanniques, Emmanuel Macron l’Européen avait la cote. Mais il a perdu de sa superbe en voulant montrer la porte de sortie de l’UE un peu trop rapidement au Royaume-Uni. Le chef d’État français ne voulait pas négocier un accord aller au-delà du 30 juin 2019. Ses homologues allemands et européens étaient prêts à laisser beaucoup plus de temps au Royaume-Uni. Même son de cloche pour Nathalie Loiseau, qui s’est opposée à un nouveau référendum sur le Brexit. Pas vraiment du goût des remainers, très actifs en France. Comme en 2014, James devrait voter pour les Verts.

« C’est un bon groupe au Parlement Européen, il a permis des avancées importantes en matière de protection de l’environnement. »

Et la montée du Front National?

James est convaincu que le Rassemblement National n’arrivera jamais au pouvoir… (Illustration : Piet, d’après KC Green)

Même après le camouflet du Brexit, James continue d’être optimiste. Une Europe d’extrême droite ? Il n’y croit pas. Et surtout pas en France. Même la montée du Front National ne l’inquiète pas outre-mesure :

« Mes amis me disent parfois « imagine, tu prends la nationalité française et là, paf, Marine Le Pen arrive au pouvoir. Tu fais quoi ? » Il ne connaissent pas la particularité du système électoral français, avec l’élection du Président en deux tours… Ça n’arrivera pas. »


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