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Isabelle doit repasser le permis, son ticket pour la campagne

La vie sans permis (2). À 37 ans, Isabelle aimerait, refuse, puis hésite à passer le permis de conduire pour la seconde fois. Jusqu’ici, elle vivait très bien sans. Mais pour aller s’installer à la campagne, cet « étrange objet social » comme elle l’appelle, est indispensable.

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Isabelle, à la recherche d’un permis pour la campagne (Photo BC / Rue89 Strasbourg / cc)

Isabelle et son compagnon Bruno habitent dans un lumineux appartement de Neudorf. Ils viennent de refaire les parquets et des jouets d’enfant traînent un peu partout, dans un joyeux désordre. Ils expliquent : « C’est à Lola. On a dû vider sa chambre ». Lola a presque trois ans et aura bientôt un petit frère ou une petite sœur : Isabelle est enceinte de trois mois et l’appartement sera un peu juste pour quatre. D’ici trois ans, la famille aimerait s’installer dans une maison plus grande, à la campagne. Mais pour cela, il faudrait qu’Isabelle puisse conduire, pour ne pas se retrouver coincée chez elle.

Un échec à l’examen, quinze années plus tôt

Tout avait pourtant bien démarré, quand Isabelle avait obtenu son code de la route du premier coup, il y a plus de quinze ans. Deux ans plus tard, la jeune femme panique lors des premières minutes de l’examen de conduite. Le stress la fait trembler des pieds à la tête, Isabelle s’engage dans un sens interdit et se fait immédiatement recaler. Il ne lui reste alors que deux semaines avant la fin de validité de son code : c’est trop court pour tenter une deuxième présentation. Il lui faut alors repartir à zéro.

Elle n’en a plus la force ni l’envie. Dès lors, quand elle se met à chercher du travail, Isabelle supprime les annonces qui requièrent le permis et devient graphiste.

« Le permis, cet étrange objet social »

Pour Isabelle, le permis est d’abord une sorte d’étrange objet social :

« Ne pas l’avoir est souvent considéré comme une tare, surtout à partir d’un certain âge. Pourtant, depuis que je travaille à Strasbourg, je n’ai jamais vraiment eu besoin de conduire. Ne pas avoir de voiture, c’est même une sérieuse économie, dans cette ville où on peut très bien se déplacer à vélo ou en transports en commun. »

Il est vrai qu’avec ses 560 km de pistes cyclables, des zones de stationnement payant qui s’étendent et des embouteillages monstres aux heures de pointe, la capitale alsacienne incite peu à se déplacer en voiture. En 2009, moins d’un Strasbourgeois sur deux (46%) utilisait une voiture pour se déplacer en ville.

À ses 18 ans, les parents d’Isabelle l’avaient poussée à se mettre au permis, sans pour autant l’aider financièrement :

« J’ai été élevée comme ça : c’était à moi de bosser pour gagner mon indépendance et le permis en était une preuve. Mais à l’époque, je n’en avais pas besoin, je prenais le train ou le bus. Ça ne me faisait pas peur, mais je ne voyais pas vraiment la nécessité de passer le permis. Je n’avais pas envie d’y mettre mon argent. J’aurais mieux fait de m’y mettre sérieusement. Depuis, les prix ont nettement augmenté ! »

Dans la famille, c’est même devenu un sujet de plaisanterie. Isabelle est la deuxième d’une fratrie de trois enfants. Sa grande sœur et son petit frère ont décroché leur carton rose sans problème dès leur majorité :

« Mon père me dit souvent, pour me provoquer, qu’il n’a qu’un regret, que je ne sache pas conduire ! Cela dit, quand il a voulu passer son code, une fois à la retraite, pour conduire une moto, il a raté l’examen plusieurs fois avant de jeter l’éponge… Comme quoi, ça n’a rien d’évident ! »

C’est Bruno le chauffeur, mais s’il faut conduire Bruno ?

Le couple a une voiture que conduit Bruno, qui trouve plutôt sympa de jouer les chauffeurs :

« Ce n’est certainement pas à moi de lui mettre la pression, on s’arrange et on s’adapte. Quand il faut conduire Lola, c’est moi qui m’en occupe. Les grands voyages de l’été se font en plusieurs étapes, pour ne pas rouler trop longtemps tout seul. »

Mais à la suite d’un accident, Isabelle a pris conscience qu’avoir son permis de conduire pour se révéler d’une importance vitale. Il y a trois ans, elle se baignait avec son frère et Bruno dans les gorges du Verdon. Bruno a plongé dans une eau trop peu profonde et s’est ouvert le crâne :

« C’est vrai que si mon frère n’avait pas été là, nous aurions dû appeler les secours et Bruno n’aurait été pris en charge que beaucoup plus tard. C’est dans des situations comme celle-là que je me rends compte à quel point ne pas avoir de permis peut vite devenir très gênant… Mais pour autant, ça ne me motive pas plus pour reprendre les cours. »

Isabelle aimerait bien trouver la motivation nécessaire pour se présenter à l’examen une deuxième fois… (Photo BC / Rue89 Strasbourg / cc)

Une urgence mais pas de motivation

Et c’est le principal souci d’Isabelle, trouver cette motivation nécessaire pour passer une seconde fois le permis. « Et ça, ça ne s’achète pas ! », dit-elle en riant. Le coût du permis l’a aussi dissuadée. Elle a fait le calcul : entre les frais d’inscription, les leçons de code et les heures de conduite de remise à niveau — les 20 heures du minimum légal lui sont acquises par ses leçons précédentes —, il lui faudra débourser environ 2 000 euros. C’est un peu plus que la moyenne nationale des permis obtenus après au moins un échec à l’examen (1 780€). Or Isabelle a déjà payé environ 1 500 euros (l’équivalent de 10 000 francs à l’époque) pour présenter son examen de conduite.

La future candidate n’est donc pas pressée de débourser cette somme. Mais la pression sociale et l’arrivée du petit dernier contraignent Isabelle à prendre une décision :

« Je n’aimerais pas avoir à passer l’examen trop près du terme. Pourtant, à Strasbourg, les délais sont très longs : il faut compter au moins six mois pour avoir une date d’examen. Je n’ai pas peur de l’échec, mais je sens que je ne serai jamais une bonne conductrice. Et puis, je redoute de conduire avec des enfants comme passagers. »

Comme par les forces contraires d’aimants magnétiques qui se repoussent, Isabelle retarde le moment de s’inscrire à nouveau dans une auto-école. Sa vie sans permis lui convenait bien, jusqu’ici. Dans un coin de la pièce, parmi la pile de jeux vidéo se trouve un disque pour apprendre le code que Bruno lui avait offert. « J’ai dû l’utiliser deux fois », confie-telle, en ajoutant : « quand ma fille aura 18 ans, je lui paierai son permis ! » Bruno fait la moue, puis se marre : « Il faut qu’on en parle, non ? ».

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : Faute d’argent, Flavie aurait pu rater son permis avant même de l’avoir présenté (la vie sans permis, 1)


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