Le graffiti est un art de rue qui s’est développé à la fin du XXe siècle à New York, en même temps que le hip hop. Né des signatures, le graff a ensuite évolué vers des formes plus complexes. Strasbourgeois, SekuOuane se considère comme un graffeur de la « middle school », c’est à dire celle qui a connu les débuts des années 2000, tout en lettrages, aux graffs récents, qui utilisent de nouvelles techniques, telles que la reproduction d’images.
SekuOuane, qui tient à rester anonyme, reçoit près de la Semencerie, cet espace autogéré de production artistique créé dans un entrepôt du quartier Laiterie en 2008. Il s’agit aussi de l’une des rares friches de la ville où existe du graffiti sauvage, autrement appelé « vandale ».
Rue89 Strasbourg : Pourquoi existe-t-il toujours un graffiti « vandale » alors que le graffiti est très souvent « légal » désormais ?
SekuOuane : Le graff « vandale » est illégal par essence. Considéré comme nuisible par certains, c’est un moyen de communication et d’appropriation de la rue pour ceux qui l’utilisent. Le vandale permet de montrer le courage et les exploits du graffeur, qui est parvenu à réaliser une œuvre dans un endroit pas évident, et sans se faire voir… On se sent exister à travers cet acte. Il peut aussi visibiliser des artistes qui n’auraient pas forcément trouvé leur place dans l’univers légal, dans une galerie d’art, ou qui ne souhaitent pas être exposés dans ce milieu.
Pour ma part, j’ai commencé le graff dans les années 2000 à Strasbourg car il y avait une grosse scène vandale à cette époque. Entre 2004 et 2007, je me suis tourné peu à peu vers le légal. Le graffiti légal a une vocation plus esthétique ou décorative. Il s’adresse au grand public et permet d’exploiter complètement la surface du support, un peu comme une grande toile dans la rue. Le légal me permet aussi de prendre du temps pour réaliser une fresque, explorer d’autres facettes et faire passer plus de messages aux dimensions politiques ou militantes.
Le graffiti est-il toujours politique ?
Le fait de « marquer » l’espace public est déjà un acte d’expression politique, qui a traversé les époques. Que ce soit par signe de résistance, comme avec la Rose Blanche en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, ou bien pour signaler la présence de marginaux, comme avec les sans-abris qui trouvaient refuge dans les trains aux États-Unis dans les années 1920. Cette forme d’écriture murale n’avait pas une vocation artistique, il s’agissait plutôt d’un moyen de transmettre certains messages dans un contexte qui ne permettait pas d’autres modes d’expression.
Dans les années 1950 à 1960, cet art de rue s’est développé dans les quartiers de New York ou de Philadelphie aux États-Unis. Le but était de reprendre ces techniques dans un contexte où la guerre du Vietnam, les gangs et la drogue poussaient les artistes à vouloir trouver un échappatoire. C’était aussi un moyen pour les minorités du quartier du Bronx qui tentaient d’accéder à Manhattan d’être visibles.
Le graffiti tel que nous le concevons s’établit dans les années 1980 en France, avec l’apparition de styles musicaux comme le rap. À cette époque, le graff n’est pas nécessairement partisan.
Peindre dans la rue est « surprenant », dans le sens où un graffeur va interpeller le passant par sa présence, car il impose son art dans l’espace public. Donc que ce soit conscient ou non, le fait de peindre dans la rue reste néanmoins un acte politique.
Le graffiti se dépolitise-t-il à Strasbourg ?
Le jour où il n’y aura plus du tout de graff vandale, on pourra dire que le graffiti s’est dépolitisé. À Strasbourg, il y a encore beaucoup de graffitis aux messages et aux symboles politiques, notamment dans le quartier de la gare. Mais le vandale est aujourd’hui moins présent. Cela peut aussi dépendre d’une année à l’autre, tu peux avoir beaucoup de graffitis une année, tandis que la suivante plus du tout.
Les autorités nettoient quasiment systématiquement certains endroits, notamment dans l’hypercentre. Cet art devient aussi une formidable pompe à fric qui permet de privatiser l’espace public, comme par exemple avec cette tendance de peindre les boîtiers électriques. Il s’agit principalement d’initiatives privées, ou lancées parfois par les pouvoirs publics. Cela anime les tensions entre graffeurs.
Le street art a aussi créé une forme d’entrisme dans le mouvement. Cet art englobe un ensemble de pratiques qui se sont développées depuis les années 1960. Il peut s’agir d’installations urbaines, comme de pochoirs, de stickers ou encore d’affiches. Il a une esthétique street mais une partie de ses artistes ne vient plus forcément de la rue et ne sont pas prêts à porter un message politique.
Quelles sont les solutions pour éviter un embourgeoisement du graff ?
Pour que le graff conserve son authenticité, il serait important de revenir vers son origine populaire. Il faudrait lui accoler une dimension sociale, en incluant plus de graffeurs débutants. Par exemple, si des initiatives sont organisées pour mettre en avant des acteurs locaux, ce serait bien de proposer un appel à candidatures pour une partie des graffeurs conviés. Ce qui compte, ce n’est pas uniquement ce que tu as fait par le passé, mais aussi ta technique, ta créativité ou ta tenacité. Il est important également de créer une forme alternative au discours dominant. Le graffiti doit sans cesse se renouveler pour ne pas finir englouti par le « système », c’est-à-dire le capitalisme et sa capacité à pouvoir englober toute forme de dissidence en son sein.
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