D’abord quelques rappels pour comprendre. Le régime d’intermittent a été créé en 1936 dans l’industrie du cinéma pour pallier les difficultés des emplois ponctuels qu’oblige la profession. Il concerne désormais le milieu de la culture en général : spectacle vivant, audiovisuel, cinéma, radio, musique. Un intermittent du spectacle est un salarié artiste, technicien ou administratif du spectacle ou de l’audiovisuel qui, avec ses CDD (Contrat à durée déterminée) d’usage, alterne les périodes d’emploi et de chômage.
Durant ces périodes de chômage, il est indemnisé par ce qu’on appelle l’assurance chômage, censée favoriser leur retour à l’emploi.Pour en bénéficier, il doit justifier de 507 heures de travail soit 43 cachets, le tout sur une période de 10 mois environ.
En Alsace, Pôle emploi a indemnisé 1 658 intermittents au mois de mai 2014.
Statistiques et indicateurs autour du régime d’intermittent en Alsace by Rue89 Strasbourg
Des papiers, beaucoup de papiers
Comment justifier ces cachets ? Chaque année, les intermittents doivent fournir à Pôle emploi, par cachet, une fiche de paie, une attestation d’employeurs mensuelle, un contrat de travail et une attestation de congés payés. 43 cachets (minimum) multipliés par 4, faites le calcul.
En dehors des difficultés administratives, la profession fait l’objet d’une mauvaise réputation. En cause : ces 507 heures de travail qui équivalent à trois mois et demi de travail en temps plein.
Denis Forget, intermittent musicien, ancien activiste du Syndicat français des artistes-interprète, tente de casser cette mauvaise image en expliquant son taux horaire :
« Je suis musicien et réalise environ 60 cachets par an. Je suis bien au-dessus des 43 que l’on doit réaliser pour obtenir les indemnités. Ma semaine équivaut à un temps plein de 35-40 heures, comme un contrat classique. La seule différence : je peux aménager mes horaires. Personne n’y pense, mais les répétitions, le travail administratif, la recherche de travail, l’élaboration des contrats et les dossiers de fiche de paie : tout ça n’est pas payé ! Et ça prend du temps. Ça dépend de l’employeur. Au TNS par exemple, les répétitions sont payées, alors que ce n’est pas le cas pour une petite compagnie de théâtre. Et puis le budget alloué à la culture baisse constamment… »
Pour Yves Brua, réalisateur et technicien chez SL2P (Sous les pavés la prod, jeune société de production audiovisuelle), c’est la même chose. Les heures travaillées ne sont pas bien évaluées puisque ce métier nécessite un temps de préparation.
« Il faut savoir que nous travaillons le double de ce que l’on est réellement payé. L’intermittent a besoin d’un temps de création et de recherche qui n’est jamais pris en compte ! … »
Patron et salarié
Les intermittents cotisent le double du montant comparé au régime général concernant l’assurance chômage. Ce montant, prélevé sur leurs revenus, passera de 10,80% à 12,80% selon l’accord du 22 mars signé par les syndicats et le patronat. C’est l’une des sources du conflit.
Denis Forget ajoute par ailleurs :
« Certains intermittents pourront être doublement touchés par l’augmentation des taux de cotisations salariales et patronales puisque l’on peut être employeur et employé en même temps. »
Selon, Le Monde, au niveau national, environ un intermittent sur deux bénéficie de l’assurance chômage : tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Il faut d’abord faire ses heures. D’autre part, il convient de préciser que le régime intermittent prend en compte toute personne ayant travaillé au moins une fois en CDD dans l’année.
L’intermittence, un régime difficile à vivre au quotidien
Souvent, les intermittents enchaînent les CDD sans limites de renouvellement. Pour Catherine Leromain, intermittente dans l’accompagnement de projets artistiques et culturels qui travaille notamment pour le festival Musica, c’est un véritable casse-tête pour s’organiser au quotidien :
« L’intermittence c’est réussir à survivre : en plus de la précarité, l’organisation est difficile. Aujourd’hui je sais ce que je fais mais dans deux semaines… Je n’en sais rien. Dans deux mois encore moins, et dans un an c’est le noir total ! Il est par exemple très difficile de s’organiser pour la garde d’enfants, puisqu’il est impossible de prévoir a l’avance. Toute l’organisation de la vie est précaire. On a une mauvaise image, mais aucun intermittent ne roule en rolls ou en jaguar, enfin peut-être dans le show-biz’. »
Si l’audiovisuel et le spectacle vivant sont deux domaines bien différents, la précarité peut être la même. Yves Brua explique :
« Nous pouvons proposer des prestations de réalisation, de montage, pour différentes sociétés de production. C’est sûr que nous travaillons plus que les intermittents liés au spectacle vivant qui dépend lui du budget culturel. Les sociétés privées sont conventionnées et donc obligées de payer un certain tarif. On peut aussi multiplier les prestataires. Ceci dit, nous ne sommes pas à l’abri de perdre un client qui dépose 5-6 cachets par an… De toute façon, le terme d’intermittent fait toujours aussi peur. On fait hippie. Pour avoir un appart’, on a toujours besoin d’un garant passé 30 ans ! Les bailleurs préfèrent prendre un CDI (Contrat à durée indéterminée) qui peut tout aussi bien gagner deux fois moins que moi. »
Les « permittents », des salariés fixes qui n’ont d’intermittent que le nom
Une partie des intermittents, les surnommés « permittents », travaille sur de plus longues durées (voire très longue durée) pour le même employeur sans décrocher de CDI. Ces personnes ont donc une situation stable et bénéficient, en plus, des allocations chômage qui sont censées pallier la précarité de la profession. Un paradoxe qui arrange les uns, et agace les autres.
Catherine Leromain explique cette situation en pointant le rôle des décideurs :
« Je suis étonnée de voir que les journaux télévisés ou émissions quotidiennes embauchent toujours des intermittents, ils devraient leur proposer des CDI. Sauf qu’il est plus simple pour eux de jouer sur la menace du CDD, facilement remplaçable. Personne ne fait rien pour changer ce système. »
Denis Forget, lui, met le doigt sur l’écart qui réside entre le « permittent » qui profite largement du système et l’intermittent de base qui lui, subit sa réputation en acceptant des salaires trop bas :
« Pour notre petite région, nous avons beaucoup d’intermittents, on a Arte qui embauche beaucoup. J’en connais un qui bosse pour France 3. Lui me dit qu’il touche 3 000 € nets par mois, et qu’en plus il prend les 1 000 € versés par Pôle emploi ! Ça, c’est un problème. D’un autre côté, il y a des employeurs qui versent les salaires en déduisant les aides qui seront versées, comme si l’indemnisation faisait partie intégrante des revenus… »
Action discrète
Après la crise de 2003, expliquée en vidéo par la Coordination des intermittents et précaires, les coupes budgétaires sévissent à nouveau. La réforme, en application depuis le 1er juillet 2014, entraîne une vague de mécontentement.
Catherine Leromain donne son point de vue sur la question et soutient des actions de protestation :
« Le changement amené par l’État c’est encore plus de précarité. Une partie d’entre nous va se retrouver au RSA (Revenu de solidarité active). On est tous en train de découvrir la réforme puisque c’est encore tout neuf, même les personnes de Pôle emploi sont perdues sur certaines questions ! Depuis le 4 juillet, un petit groupe de “sentinelles” tient une action symbolique et pacifique devant la cathédrale pour dire non à ce démantèlement de nos droits sociaux. Nous restons postés, silencieux, au pied de la cathédrale de Strasbourg avec une croix blanche dans le dos et expliquons notre démarche aux curieux. Contrairement à ce qu’annonce le service animation de la Ville, il ne s’agit aucunement d’une performance artistique ! »
La culture, au sein de laquelle les intermittents ont une place de choix, est aussi un moteur de l’économie. Elle entraîne autant de consommation qu’elle draine de touristes. À titre d’exemple, elle est aussi importante économiquement que l’agriculture et sept fois plus importante que l’automobile. Des données publiées par les ministères de l’Économie et de la Culture dans un rapport datant de début 2014.
« 104,5 milliards d’euros d’apports directs et indirects à l’économie nationale en 2011 : les activités culturelles représentent 57,8 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 3,2% du PIB national, 670 000 personnes employées soit 2,5% de l’emploi actif en 2010 »
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