La boucherie Herrmann à Reichstett embauchait Laurent Bauer, intérimaire, à temps plein depuis un an. Il livrait des restaurants et des événements. C’était avant le 16 mars. Ce jour-là, Emmanuel Macron a annoncé le début du premier confinement pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Le soir-même, Laurent a reçu l’appel d’un supérieur qui lui a annoncé que l’entreprise n’avait plus de travail pour lui. Depuis, il est en grande difficulté :
« Ils m’ont juste réembauché de fin juin à début octobre. Maintenant, je suis à nouveau au chômage, avec 700 euros mensuels pour vivre, au lieu de 1 300 quand je bossais. Mon loyer est de 400 euros. Il me reste donc 300 balles pour les charges, les frais d’assurance de la voiture, la nourriture et les fournitures essentielles. Je creuse un peu plus mon découvert chaque mois. Heureusement, mes parents et ma copine, qui travaille en Ehpad, m’aident financièrement. Je ne vois pas le bout. Je me suis inscrit à 18 agences d’intérim à Strasbourg. Il n’y a aucune offre pour moi, quelque soit le domaine. Je devais passer le permis poids lourd comme le secteur du transport de marchandises est en demande. Mais la formation a été annulée à cause du deuxième confinement. Si ça continue, je serai obligé de retourner vivre chez mes parents à 23 ans. »
Le Grand Est, très touché par la diminution du travail en intérim
Laurent est loin d’être un cas isolé. Imed, 45 ans, ne trouvait déjà plus de boulot en intérim avant la crise sanitaire, « alors maintenant, c’est désespéré ». Il lui reste « 120 euros par mois une fois que le loyer, l’électricité et le gaz sont payés. » Pourtant, avec des qualifications de cariste, il pensait qu’il trouverait dans le secteur de la grande distribution : « même là, je n’ai eu aucune proposition ». Situation similaire pour Kevin (prénom modifié), travailleur temporaire depuis 10 ans. Sans diplôme, il était « régulièrement embauché dans le bâtiment. » Depuis le mois de mars, il n’a plus trouvé de travail alors qu’il « cherche dans tous les domaines » et qu’il est inscrit « à 40 agences d’intérim à Strasbourg. »
En France, au deuxième trimestre de 2020, le volume de travail en intérim a atteint son niveau le plus faible depuis qu’il a commencé à être mesuré, en 2000. Selon Pôle emploi, joint par Rue89 Strasbourg, tous les types d’offres ont baissé, particulièrement celles en intérim. Le Grand-Est est la seconde région la plus concernée, après la Bourgogne Franche-Comté, avec une diminution de 34,2% du volume horaire de travail temporaire entre janvier et septembre, par rapport à la même période en 2019. La moyenne française est de 27,4%. De septembre 2019 à septembre 2020, l’équivalent de 125 000 emplois intérimaires à temps plein ont disparu dans le pays.
Des témoignages de détresse, l’évocation du suicide
Selon Camille Véga, directeur de la Fédération du Bas-Rhin du Secours Populaire, de nombreux intérimaires, qui n’étaient jamais venus avant la crise sanitaire, font désormais appel aux aides alimentaires et financières de l’association. Un constat auquel abonde Fabienne Stoquert, responsable syndicale pour le Grand-Est d’Unsa Manpower, une entreprise de travail temporaire. Elle a recueilli de nombreux témoignages de détresse psychologique dans son entreprise, « à cause de la pression due aux problèmes d’argent ». Certains ont évoqué le suicide. Au cours des 6 derniers mois, la déléguée du personnel a orienté « une cinquantaine de personnes » vers les aides alimentaires de la FASTT, une plateforme d’aide sociale destinée aux intérimaires.
La note de conjoncture de l’Insee du 17 novembre documente une diminution du volume de travail rémunéré par les entreprises à cause de la baisse de l’activité économique globale. « Mécaniquement, les travailleurs temporaires sont mis au chômage quand il y a moins de boulot à effectuer, » explique Fabienne Stoquert :
« Beaucoup d’usines fonctionnent en permanence avec des intérimaires pour ajuster finement le nombre de salariés, selon la production nécessaire, sans avoir à licencier. Dans cette logique d’optimisation, nous sommes des variables d’ajustement. Notre statut est intéressant justement parce qu’il est facile de se débarrasser de nous. Il suffit de ne pas renouveler et de ne plus proposer de contrats d’intérim, pas besoin de licenciement. Dans les secteurs à l’arrêt ou en baisse d’activité, la crise met cette réalité en évidence. »
Presque la moitié des intérimaires travaillent dans l’industrie
Dans le Grand-Est, 50 000 personnes vivent du travail temporaire, dont la majorité, 44,2%, exercent dans l’industrie. Les autres personnes se répartissent assez équitablement entre les transports, les services, le BTP et enfin les commerces. Tous ces secteurs sont touchés par la baisse de l’activité en intérim.
« Même ceux qui travaillent sont précaires, avec des contrats d’un ou deux jours »
Marine, salariée de l’agence SUP intérim à Strasbourg, estime qu’environ 100 à 140 personnes inscrites dans son agence sur plus de 200, n’ont pas de travail en ce mois de novembre :
« On a beaucoup moins d’offres. Les contrats qu’on propose concernent majoritairement les secteurs du BTP et de la logistique, mais ils durent 1 ou 2 jours. Les intérimaires sont donc dans une situation très précaire, même ceux qui travaillent. Avant le premier confinement, on avait beaucoup de propositions de contrats de plusieurs mois. »
« On me refuse tous les crédits »
Noëlle Prietz, 25 ans, fait partie des travailleuses temporaires qui « s’en sortent bien ». Elle est agent de production pour une grosse usine de fabrication de fours à Lipsheim qui, pour l’instant, n’a pas significativement ralenti son activité. Son employeur lui a confirmé qu’elle continuerait à faire ses 40 heures par semaine jusqu’à janvier. Mais malgré cela, elle rencontre d’autres complications en raison de son statut : difficulté à louer un nouvel appartement, refus d’un crédit pour acheter une voiture alors qu’elle « en a justement besoin pour se rendre à son travail ».
Pour Fabienne Stoquert de l’Unsa, « cette période noire montre que les premiers touchés par les perturbations économiques sont les plus précaires, comme les intérimaires. » Elle estime que les personnes qui « sortent un peu du cadre sont invisibles pour le gouvernement et n’ont pas été prises en compte dans les mesures de soutien. » En attendant « le retour des offres d’emploi », elle conseille des formations ciblées et oriente celles et ceux dans le besoin vers les aides qui existent.
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