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Intégrés mais sans papiers, Moustafa, Mounim et Samia en marche vers l’Élysée

Mahamad, Moustafa et Samia sont sans-papiers, habitants de Strasbourg depuis plusieurs années. Ils participent tous les trois à la marche nationale qui partira samedi 3 octobre de la place Kléber et s’achèvera le 17 devant l’Elysée pour obtenir leur régularisation. Et changer leur quotidien instable.

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Près de 40 ans après la Marche pour l’égalité et contre le racisme, la marche nationale des sans-papiers doit arriver samedi 17 octobre devant l’Élysée. À Strasbourg, le cortège partira samedi 3 octobre de la place Kléber. Moustafa, Mounim et Samia (prénom modifié) y participeront dans l’espoir d’être régularisés. Ces trois strasbourgeois racontent leur parcours et leur quotidien.

Moustafa, épicier trois fois diplômé

Moustafa Bousitila a 32 ans et habite à Strasbourg depuis 2018. L’air pensif, les sourcils froncés, le fondateur du collectif des sans-papiers d’Alsace explique les raisons qui l’ont poussé à quitter l’Algérie :

« J’aime beaucoup apprendre, j’ai trois diplômes. Un en Littérature, un en gestion des ressources humaines et un en informatique. En Algérie, j’ai travaillé 7 ans à l’accueil d’un hôpital. Ça ne rapportait que 70 euros par mois alors à côté j’avais une épicerie avec un ami. Même avec ça, je n’arrivais pas à vivre correctement. »

Moustafa Bousitila, Fondateur du collectif des sans-papiers d’Alsace (doc remis)

Après un périple qui le fait passer par la Russie et l’Espagne, il arrive à Grenoble où il séjourne un mois. Puis il passe par Strasbourg dans le but de se rendre à Bruxelles. Arrivé en Belgique, il se fait contrôler, arrêter et passe 20 jours en centre de rétention. À sa sortie, il retourne à Strasbourg et s’y installe.

« Quand tu es sans-papiers tu n’es plus une personne »

Depuis, il traque les petits boulots non-déclarés pour vivre :

« On en entend parler par des amis. C’est toujours des boulots hyper physiques, sur les marchés, les chantiers, etc. On bosse toute la journée pour des sommes dérisoires, 50, 40 voire 25 euros par jour. C’est très irrégulier, tu travailles pendant quelques jours puis rien pendant une semaine ou plus, puis tu recommences. »

Pendant le confinement, il a travaillé avec un ami chez un particulier, caché dans la cave. Le propriétaire les a équipé d’un marteau-piqueur, a fait une rapide démonstration puis les a quittés après s’être assuré qu’ils s’en servaient correctement. Ils ont travaillé sans masque, ni lunettes, ni équipement de protection. Au bout de quelques jours, l’homme les a renvoyés après avoir reçu deux plaintes de son voisin qui commençait à comprendre ce qu’il se passait dans le sous-sol.

Le jeune collectif a participé à une manifestation en septembre (photo remise)

Le plus douloureux pour lui, c’est de se sentir moins considéré que des individus en situation régulière :

« Tu n’es plus une personne, on te colle une étiquette. Tu es sans-papiers donc tu es un criminel, un voleur, un arnaqueur… On ne peut pas te faire confiance. »

Moustafa Bousitila, fondateur du collectif des sans-papiers d’Alsace

Aujourd’hui, Moustafa travaille moins et se dédie à la gestion du collectif né lors du confinement. La période a été un déclencheur :

« On était au premier rang de la base populaire, on était extrêmement exposés parce qu’on n’avait pas d’autre choix que de sortir pour trouver du travail. Quand on en trouvait, on n’était pas équipés pour se protéger du virus. »

Une vulnérabilité accrue par les difficultés pour se loger. Moustafa habite « par-ci par-là » entre les squats, les canapés de ses amis et les rares lits du 115.

Mounim travaille aux quatre coins de la France

Mounim, 24 ans, est arrivé en France en 2017. Avant, il vivait à Bengazi en Libye avec ses trois sœurs, sa mère et son frère. Le jeune homme, au style streetwear soigné, tenait avec son grand frère une boutique de vêtements masculins. Sa famille vivait paisiblement jusqu’à la disparition subite du fils aîné. Les personnes touarègues font parfois l’objet d’enlèvements pour rançonner les familles. Mounim part à sa recherche, sans succès. Une semaine plus tard, il se fait capturer à son tour :

« On m’a conduit en prison. Les hommes qui étaient là m’ont dit “on sait que tu cherches ton frère”, c’est là que j’ai compris que c’étaient eux qui l’avaient enlevé et que la police était complice. La torture commençait dès 5 heures du matin. Au bout d’une semaine, on a cassé les carreaux d’une fenêtre et on s’est enfui. »

Mounim sait qu’il ne peut rentrer chez lui, des hommes sont venus et ont menacé sa mère et ses sœurs. Il prend un bateau pour l’Europe.

Des rapports de force constants avec les employeurs et les forces de l’ordre

Installé depuis maintenant 3 ans, Mounim, résident du squat Bugatti à Eckbolsheim, ne regrette pas son choix. Il se sent bien dans la capitale alsacienne, « ma saison préférée c’est l’hiver, parce qu’on mange bien » glisse le jeune homme avec un sourire.

Depuis son arrivée, il vivote, devant parfois aller jusqu’à Bordeaux ou Paris pour trouver un emploi. Il évoque les patrons véreux :

« Au mois d’août, j’ai fait les vendanges à Epernay pendant cinq jours. Le deal c’était 50 euros par jour réglés à la fin de la semaine. Au moment venu le patron a refusé de payer. Il a menacé d’appeler la police pour nous dénoncer si on continuait à réclamer ce qu’il nous devait. Je ne me suis pas démonté, j’ai obtenu mon salaire même si c’était moins que prévu. »

Mounim, participant à la marche des sans-papiers

Pour se rendre à ses petits boulots, Mounim doit trouver une voiture. Mais sans titre de séjour, impossible d’obtenir un permis de conduire. Un matin, en se rendant sur un champ de fraises à Bordeaux, il se fait contrôler par la police. Les forces de l’ordre lui infligent une amende, qu’il ne sera de toute façon pas en mesure de payer.

Il redoute ces rencontres avec la police, souvent conflictuelles :

« Je sais que dès que je sors mon récépissé de demande d’asile, ça va mal se passer. On me manque de respect et je me suis déjà fait tabasser. »

Mounim est très impliqué dans l’organisation de la marche qu’il suivra jusqu’au bout. Le jeune homme tient tout particulièrement à s’occuper de la préparation des repas.

Les membres du collectif des sans-papiers d’Alsace devant le parlement européen (Photo MB / Rue89 Strasbourg / cc)

Samia ne veut dépendre de personne et surtout pas d’un mari

Samia a 20 ans. Elle vit en France depuis 2018. L’énergique jeune fille raconte son adolescence à Béjaia en Algérie. Une vie de lycéenne « normale », aisée et bonne élève. « On vivait bien, mieux qu’en France », explique-t-elle. Mais la perspective de se marier et « dépendre d’un mari » après ses études la révolte. Pour elle, le seul moyen d’être indépendante est de quitter l’Algérie.

En 2016, elle tente une première fois de s’installer en France, au sein d’une partie de la famille installée à Mulhouse. Ils finissent par la mettre à la porte en disant qu’ils ne peuvent pas s’occuper d’elle. En 2018, elle retente le coup. Cette fois-ci, elle est majeure et accompagnée de sa mère, mariée à un Français à Strasbourg. Ce dernier décède peu de temps après et aux yeux de l’administration française, le mariage était trop court pour permettre une naturalisation.

Les deux premières années, la jeune fille n’arrive pas à s’inscrire à l’université, malgré un niveau B2 en français (niveau « indépendant à avancé »), jugé insuffisant. C’est pourtant le niveau standard requis par les universités pour les étudiants non-francophones.

La jeune fille, qui s’exprime dans un français courant, avec un léger accent, revient sur ces deux années passées à ne rien faire, en dehors de quelques babysittings chez des voisins :

« C’était très dur. Quand tu n’as pas de papiers, que tu ne peux ni travailler ni étudier, tu déprimes. Tu n’as plus de rituel de vie, plus d’objectifs. Sans argent, on ne peut pas faire grand chose. On se sent vraiment mis à l’écart de la société. »

En colère contre l’État

Pour l’année 2020 / 2021, elle a pu s’inscrire en licence de géographie et aménagement du territoire. Elle reproche à l’État français une attitude hypocrite vis-à-vis de la situation des sans-papiers :

« L’État ne veut pas de sans-papiers qui ne font rien de leurs journées mais ne leur permet ni de travailler ni d’étudier. »

Elle évoque également le racisme qu’elle ressent de la part de l’administration, des démarches qui s’éternisent aux interactions en guichets :

« La dernière fois à la fac, je suis allée m’inscrire avec une amie tchadienne donc noire. Quand on est rentrées dans le bureau, on nous a traité différemment et la dame qui était là lui a assez mal parlé. C’est pas toujours fait exprès, c’est des manières de dire les choses, des gestes, etc. »

Samia aspire à « une vie simple et payer ses impôts ». Elle aurait pu avoir ses papiers plus tôt si elle avait accepté l’une des nombreuses propositions de mariage blanc qu’elle dit avoir reçu. Mais la solution n’est pas envisageable pour l’étudiante « venue en France pour chercher la liberté ».

La jeune fille ne participera qu’au premier week-end de marche, pour ne pas rater de cours à l’Université de Strasbourg. Au total, une cinquantaine de personnes devraient partir de la place Kléber samedi 3 octobre. Outre la régularisation, l’objectif de la marche est également de « créer des solidarités tout au long du parcours et de montrer le soutien dans la population dont les sans-papiers font l’objet », explique Florian Petit, membre du collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici », soutien de la marche. Mounim espère aussi un fort retentissement médiatique : « C’est important d’être visible, de parler à visage à découvert, parce que beaucoup de gens ont peur des sans-papiers ».


#sans-papiers

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