Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Incinérateur amianté : un diagnostic en avait trouvé dès 2009

Selon un rapport de la mission d’expertise économique et financière (MEEF) du ministère des Finances, un diagnostic obligatoire avait détecté des traces d’amiante dans l’incinérateur strasbourgeois en 2008/2009 et n’a pas été suivi d’investigations supplémentaires. L’arrêt actuel de l’usine pour 2 ans et demi génère des millions d’euros de surcoût.

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« Le caractère imprévisible de la présence d’amiante dans ce site d’incinération ne semble pas pouvoir être retenu pour justifier des modifications apportées au contrat initial par les avenants successifs. »

C’est avec cette double négation pudique que les services du ministère des Finances concluent leur expertise sur l’usine d’incinération de Strasbourg. Un rapport de 38 pages, annexes comprises, que l’opposition « Les Républicains » a minutieusement étudié.

Autrement dit, la présence d’amiante était prévisible, avant d’en confier la gestion pour 20 ans à la société Séché Environnement fin 2009.

Un diagnostic en 2008 détecte de l’amiante

À la page 23 du document qui a été publié sur le site de la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg (disponible ici), la chronologie des faits qui mènent à cette conclusion est expliquée. Conformément à ses obligations, l’Eurométropole effectue en juillet 2008 un diagnostic technique amiante (DTA). C’est la société Norisko qui s’en charge.

Les conclusions sont livrées neuf mois plus tard à l’administration de la collectivité, en avril 2009. Elles font état :

  • de matériaux et produits contenant de l’amiante dans un état dégradé dans un bâtiment occupé par des agents (tablettes de fenêtres en fibrociment) et au sein de l’usine (joint de porte de four, dalle de sol), pour lesquels une dépose était conseillée ;
  • de matériaux susceptibles de contenir de l’amiante nécessitant des investigations et analyses ultérieures (joint de porte coupe-feu, volets clapets et rebouchages, etc.) ;
  • de locaux et parties de l’immeuble non visités (inaccessibles au prestataire qui ne possédait pas les clés de ces locaux), pour lesquels des investigations ultérieures devaient être effectuées.

Pas d’investigation complémentaire en 2009

Malgré ces alertes, « aucune investigation complémentaire ni travaux n’ont été menés à la suite de ces conclusions avant la signature de la délégation de service public », poursuit le rapport du ministère.

À cette époque, le contrat entre la Communauté urbaine de Strasbourg (ancien nom de l’Eurométropole), présidée alors par Jacques Bigot (PS) depuis 2008, et la filiale d’EDF touche à sa fin. L’usine nécessite d’importants travaux de modernisation et la collectivité souhaite revendre la chaleur et la vapeur produites par les fours aux entreprises du Port autonome. On appelle cela la valorisation énergétique et cela permet en théorie d’alléger la facture du traitement des déchets strasbourgeois.

Un contrat pour 20 ans en 2010

La collectivité souhaite une délégation longue, de 20 ans, pour pousser la future société gestionnaire à réaliser ces importants travaux sur le site, des investissements qu’elle ne pourrait rentabiliser qu’à long terme. Sénerval, une filiale du groupe Séché, remporte l’appel d’offres.

Par ailleurs, on apprend que le diagnostic a été porté à la connaissance de Sénerval, sans préciser si cela avait été fait avant ou après la signature du contrat. En tout cas, le contrat de délégation ne fait pas référence à la présence d’amiante dans les installations. « Aucun travaux n’a été fait entre 2010 et 2014 », appuie Fabienne Keller, sénatrice « Les Républicains » et à la tête de l’opposition strasbourgeoise.

Au moins 180 millions d’euros

Comment intéresser ?

L’arrêt pour deux ans et demi de l’incinérateur est un sujet technique, complexe, et qui demande de se plonger dans le passé pour comprendre les tenants et aboutissants. L’impact de cet « accident industriel », comme le qualifie parfois le président de l’Eurométropole Robert Herrmann (PS) n’est pas forcément perceptible au moment de descendre ses poubelles et le dossier passionne assez peu l’opinion strasbourgeoise.

Mais pour l’opposition, c’est au contraire un sujet vital, car il a un impact sur les finances publiques de la collectivité jusqu’en 2030 puisque les remboursements ont été étalés sur quinze ans, ce qui entraîne au passage un autre surcoût, de près de 16 millions d’euros.

Fabienne Keller, tente de comparer cette crise évaluée à 180 millions d’euros au minimum, à d’autres dépenses de l’Eurométropole, en se fendant d’un faux billet de 900 euros pour la démonstration :

« 180 millions d’euros, c’est trois médiathèques Malraux, ou quatre voire cinq extensions du tram vers Koenigshoffen. Et seulement 15% de la somme est consacrée au désamiantage (27 millions d’euros de travaux). C’est aussi 900 euros par foyer fiscal. »

Un faux billet, une poubelle miniature et un petit coup de com’ pour faire comprendre le poids de l’incinérateur sur les finances de l’Eurométropole (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Deux relèvement de la taxe

Pour faire face à la situation, l’Eurométropole a notamment été autorisée par l’État à piocher dans les excédents de ses budgets annexes de l’eau et de l’assainissement, soit respectivement 30 et 20 millions euros. Elle a aussi augmenté à deux reprises sa taxe d’enlèvement des ordures ménagères (4% en 2015 et 2,5% en 2016).

Pour l’ancienne maire de Strasbourg, le problème aurait pu être réglé à l’époque du diagnostic, pour s’éviter les répercussions actuelles :

« Il aurait suffi de prolonger la délégation d’un an ou deux le temps de faire des travaux, ou des les inclure dans la nouvelle délégation, mais surtout pas s’engager sur 20 ans. »

Le process industriel « non-concerné » selon l’Eurométropole

Interrogée par 20 Minutes Strasbourg, Françoise Bey (PS), vice-présidente de l’Eurométropole en charge des déchets, minimise et explique que « les recherches obligatoires d’amiante ne concernaient en 2008 pas le process industriel » :

« Les quelques petits points relevés dans le rapport ont été nettoyés au fur et à mesure de petits travaux, notamment au niveau de vannes. Quand on fait des travaux qui ne touchent pas au process industriel, on ne fait pas de recherche d’amiante, c’est le règlement dans l’industrie. »

Après une commission extraordinaire consacrée à l’incinérateur mardi (à revoir ici), l’opposition compte interroger cette fois les choix stratégiques de l’époque lors du conseil de l’Eurométropole de ce vendredi 3 mars. Car si l’Eurométropole savait, quel était son intérêt à ne rien faire ?


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