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Hubert-Félix Thiéfaine : « L’inespoir, une place de choix pour observer »

Il fait partie de ceux qui donnent du relief à la chanson en France. Poète au rock électrisé, héraut d’un verbe incisif et sémillant, Hubert-Félix Thiéfaine rassemble les générations. Et celles-ci le lui rendent bien. Il sera mercredi sur la scène du Palais des Congrès de Strasbourg. Entretien.

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Hubert-Félix Thiéfaine (photo Yann Orhan)

Son public constitue une base solide, une troupe fidèle depuis ses débuts discographiques en 1978. Folies, amours, plaisirs, mort, dérives, drogues émaillent les textes de ses chansons qui, au bout du compte, s’accrochent toujours à la substantifique moëlle du genre humain. Parmi ses succès intemporels, citons pêle-mêle La fille du coupeur de joint, Les Dingues et les paumés, Maison Borniol, Lorelei Sebasto Cha ou encore Alligators 427.

Passer en revue les titres de ses albums met en exergue sa force poétique doublée d’une puissance imaginaire atypique : Autorisation de délirer (1979), Soleil cherche futur (1982), Eros über alles (1988), Fragments d’hébétude (1993), Scandale mélancolique (2005). Il y a aussi le diptyque La tentation du bonheur (1996) – Le bonheur de la tentation (1998).

Puis les deux derniers disques en date construits en écho l’un de l’autre, Stratégie de l’inespoir (2014) s’érigeant en pendant rêche et abrasif de l’irradiant Suppléments de mensonge (2011) aux sublimes porte-étendards.

L’inespoir, zone neutre

Stratégie de l’inespoir est votre 17è album. Comment définissez-vous l’inespoir ?

L’inespoir, ce n’est ni l’espoir ni le désespoir… C’est une sorte de no man’s land émotionnel à équidistance de ces deux extrêmes, un peu comme l’amoralité se situe entre la moralité et l’immoralité. C’est une zone neutre, préservée à la fois des désillusions de l’espoir et de cette affliction qu’est le désespoir, c’est une place de choix pour observer le monde et écrire.

Son utilisation n’est pas un emprunt volontaire à Verlaine ou à Drieu la Rochelle, qui a également utilisé ce terme. En revanche, il est vrai qu’ayant lu ces deux auteurs, il est tout à fait possible que ce mot ait percuté mon inconscient. Mais mon univers, c’est aussi le surréalisme, la psychanalyse, l’écriture automatique, le monde onirique. J’aime mettre de ces ambiances un peu complexes dans mes chansons sans pour autant tomber dans le piège de l’intellectualisme. J’apprécie quand c’est épais, quand ça pétille. Et puis se sentir plus intelligent qu’avant en sortant d’un disque, c’est pas mal, non ?

Sur ce disque, votre fils Lucas co-réalise et les compositions sont signées par de nombreux autres artistes, jeunes, incarnant des générations de trentenaires et quadragénaires. Vous avez aussi travaillé par le passé avec Cali ou Mickaël Furnon. Est-ce l’envie d’un autre souffle ou bien un passage de relais ?

Quand j’écris un texte, il m’arrive de me dire à un moment donné qu’il correspondrait bien à l’univers musical de tel ou tel artiste. Dans ces moments-là, j’abandonne ma mélodie et je leur confie mon texte. Pour ce qui est de la participation de Lucas, c’est quelque chose de différent, ça s’est fait un peu accidentellement… Je lui avais demandé d’enregistrer en version guitare-voix plusieurs de mes titres afin d’avoir une maquette convenable.

Quelques jours plus tard, Lucas m’a envoyé une version de En remontant le fleuve sur laquelle il avait fait des arrangements. Son travail était remarquable, il correspondait exactement à l’ambiance musicale que je voulais pour cette chanson. Je lui ai alors dit de continuer avec d’autres morceaux.

Parmi ces collaborations, il y a aussi Mat, le leader de Skip the Use. Vous avez partagé la scène avec lui aux Eurockéennes de Belfort 2015. Qu’est-ce qui vous rapproche ?

J’aime le côté rageur de Mat et de son groupe et je trouvais intéressant de voir ce qu’il allait faire sur un texte comme Médiocratie. Pour ce qui est des Eurockéennes, il m’a invité sur leur scène en m’aguichant avec l’idée d’une version punk de La fille du coupeur de joints… Je ne pouvais décemment pas refuser !

La pression après les récompenses

Durant votre carrière, vous avez travaillé avec Grand Corps Malade. Mais aussi avec Aldebert ou Paul Personne. Vous avez également rendu hommage, sur des albums, à Renaud, François Béranger, Bashung, Jean Ferrat. Qu’est-ce qui motive tout cela ?

Ce sont tous des artistes que j’apprécie, que ce soit pour leurs qualités humaines ou artistiques, c’est le seul critère susceptible de motiver une collaboration.

Hubert-Félix Thiéfaine (photo Yann Orhan)

Il y a cinq ans, Suppléments de mensonge remportait un grand succès public et vous permettait aussi d’inscrire votre nom au palmarès des Victoires de la Musique 2012 avec deux récompenses…

Ces récompenses m’ont amusé et m’ont fait plaisir, je n’avais pas l’habitude et c’était également une satisfaction pour ceux qui travaillent à mes côtés. Alors dans l’euphorie, on y prend plaisir… mais avec le recul, je dois avouer que ça n’a pas changé grand-chose à mon quotidien. En revanche, j’ai tout de suite senti que quelque chose de particulier allait se dérouler lorsque l’album est sorti en mars 2011. C’était plus fort que d’habitude.

Mais la pression était telle, la peur aussi, que je me suis tout de suite remis au travail, dès le mois de mai 2011, juste après la promo. La tournée a ensuite duré deux ans, jusqu’en juin 2013 à Londres. Mais c’est seulement quelques mois plus tard que j’ai pu conjurer cette peur grâce à Stratégie de l’inespoir.

Aujourd’hui, avec un peu de recul, que vous a apporté Suppléments de mensonge ?

Certainement de la sérénité et du bien-être. Mon dernier disque remontait à 2005 (Scandale mélancolique, album solo qui a précédé Amicalement blues en 2007, écrit et composé en collaboration avec Paul Personne) et j’avais commencé à travailler sur un nouveau projet qui devait s’intituler Itinéraire d’un naufragé.

Mais mon burn-out en 2008 a tout bouleversé. J’ai tout abandonné, j’ai dû repartir sur de nouvelles bases car ma convalescence a été assez longue. Suppléments de mensonge m’a vraiment aidé à sortir la tête de l’eau.

33 fois coupable

En 1998, sur l’album Le Bonheur de la Tentation, vous chantiez Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable. A quoi ressemblerait ce texte en 2016 ?

A priori la chanson serait beaucoup plus longue et elle s’intitulerait probablement « Exercice de simple provocation avec 99 fois le mot coupable » ! La médiocrité, l’injustice, la bassesse humaine ont suivi leur cours et ont grandi au fil des années. Aujourd’hui, ce serait donc un texte encore plus révolté et indigné. Mais ce ressenti est toujours distillé dans nombre de mes titres. Tout comme la peur de voir ce monde devenir, bientôt, dépourvu d’émotions, d’inspiration, d’âme, de poésie.

Et justement, comment ré-inspirer le monde d’aujourd’hui, comment le re-poétiser ?

On pourrait peut-être commencer par déprogrammer Cyril Hanouna, ça serait un bon début je pense… non ?

Comment avez-vous vu votre public évoluer au fil des années et des tournées ?

Il s’est étoffé, s’est féminisé aussi… et puis avec les années il est devenu transgénérationnel, ceux qui étaient présents au début des années 1980 sont toujours là, mais ils viennent désormais accompagnés de leurs enfants et de leurs petits-enfants !

Hubert-Félix Thiéfaine (photo Yann Orhan)

Sur internet, on trouve des groupes sur Thiéfaine « le poète maudit », Thiéfaine « le poète au blues noir ». Des thèses ou des mémoires sont également écrits sur vos chansons. Êtes-vous devenu un monument ?

Non, heureusement que non ! J’aime simplement écrire, composer, chanter, faire ce qui me passionne profondément. Alors, bien sûr, le fait que des universitaires s’intéressent à mes textes me flatte beaucoup mais je ne veux pas connaître les résultats de leurs recherches. Vous imaginez, j’aurais l’impression d’être disséqué… vivant !

« Je trouve la scène française dramatiquement pauvre »

Quel regard portez-vous sur la scène actuelle ?

Dans l’ensemble, je trouve la scène française dramatiquement pauvre. Il y a malgré tout des artistes brillants, mais ce ne sont malheureusement pas ceux que l’on entend le plus sur les ondes radiophoniques.

Quels sont les écrits et les auteurs qui continuent de vous inspirer ?

C’est très difficile à dire. Je peux par exemple me plonger dans Thucydide ou Hérodote puis lire des textes de Mikhaïl Boulgakov. J’essaie de ne rien cloisonner, de lire tous azimuts, de dévorer ce qui me passe sous le nez. Sur Stratégie de l’inespoir, c’est surtout le monde actuel qui m’a profondément inspiré. Mais bien souvent, lorsque j’ai terminé un titre, je me rends compte que ce que j’ai écrit a été théorisé par le passé et parfois bien mieux que ce que j’ai pu exprimer.

Mais au moins, cela me rassure, je sais que je ne suis pas le seul à y penser, que je ne suis pas fou ! Ma référence majeure, mon pilier reste Léo Ferré, pour son personnage, sa mélancolie, sa tendresse, sa manière de briser les structures traditionnelles de la chanson. Il m’a vraiment libéré, à partir du moment où je suis parvenu à m’émanciper de son influence.

Vous serez en novembre 2016 sur la scène du Zénith de Paris pour un concert avec un orchestre symphonique. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet et sa genèse ?

En novembre dernier, j’ai donné un concert en symphonique à la Maison de la radio à Paris avec l’orchestre national de France, la salle était petite et le concert diffusé en direct sur France Inter. Après, nous avons reçu beaucoup de demandes de personnes qui avaient adoré ce qu’ils avaient entendu mais regrettaient de ne pas avoir pu y assister. On a donc décidé de réitérer l’expérience au Zénith de Paris le samedi 19 novembre prochain. Et puis c’est l’occasion de clôturer la tournée par un concert atypique.

Y aller

Hubert-Félix Thiéfaine en concert le mercredi 2 mars à 20h au Palais de la musique et des Congrès (salle Erasme) de Strasbourg et le jeudi 3 mars à 20h à L’Eden de Sausheim. Première partie assurée par le groupe alsacien Ill River


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