Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Hollister : l’envers du décor californien

Musique à fond, strict dress code, management omniprésent, atteintes aux libertés personnelles… Derrière les sourires des accortes vendeurs d’Hollister, la réalité des conditions de travail est bien moins flatteuse.

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Sur les affiches, des abdos bronzés et des cheveux gorgés de soleil… (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

« Welcome to the pier ! » Cette phrase, Céline* la répète des centaines de fois pendant son « shift ». Comme Céline est jolie, elle a été recrutée comme « model » et placée à l’entrée du magasin, situé au centre commercial Rivétoile à Strasbourg. Inconvénient, elle doit dire et redire cette « tagline » à chaque fois qu’un client entre dans le magasin.

« Bienvenue au ponton » en français, car Hollister c’est la marque « cool » du groupe américain Abercrombie & Fitch, qui s’inspire de la mode décontractée en vogue dans le sud de la Californie. Entrer dans le magasin, c’est un peu mettre un pied dans le Pacifique, avant de mouiller sa planche de surf. Du coup, le groupe ne recule devant rien pour tenter de rapprocher Strasbourg de la Californie : grands écrans inondés de vagues et de jeunes gens dénudés, parfums censés rappeler la plage, spots intenses pour évoquer les rayons de soleil, etc.

Mais ces efforts ne concernent pas que le décor. Le personnel est prié de s’y plier aussi. Des « directives relatives aux looks des employés » sont annexées au règlement intérieur (voir ci-dessous) et elles sont extrêmement restrictives, à tel point qu’elles ont interpellé les services de l’inspection du travail partout en France, dont Strasbourg. Des enquêtes sont en cours et pourraient conduire à plusieurs procès devant les juridictions prud’homales.

Tout le monde en tongs

Ainsi, pour les hommes, « les pattes doivent être rasées de façon à ne pas dépasser le milieu de l’oreille » et aucune pilosité faciale n’est autorisée, pas de bouc, barbe ni même une moustache. Pour les filles, seules les couleurs naturelles sont autorisées pour le maquillage et elles doivent travailler en tongs. Et évidemment, tout le monde doit porter les vêtements de la marque, vêtements que les employés doivent s’acheter avec leur salaire, en profitant tout de même d’une réduction de 50%.

Au total, pas moins de 24 exigences qui vont de la coiffure aux ongles des pieds et qui outrepasseraient, selon des rapports d’enquêtes de l’inspection du travail et de la médecine du travail que Rue89 Strasbourg s’est procurés, les règles admissibles dans les commerces de vêtements.

Des risques pour la santé des employés

Mais il y a plus grave. L’ensemble du décorum utilisé dans les magasins Hollister pourrait nuire à la santé des employés. D’abord, une musique assourdissante, dépassant les 80 décibels, est diffusée en permanence. A ce niveau sonore, susceptible d’altérer l’audition, l’entreprise est tenue de fournir des bouchons d’oreille à ses employés. Ce qu’elle fait, mais ces appendices ne sont pas vraiment listés dans le dress code. Quant à l’ambiance lumineuse dans le magasin, elle repose sur des spots très puissants, mais très concentrés, contraignant les employés à faire de constants ajustements entre des zones très éclairées et des zones trop sombres.

Autre risque pointé par les inspecteurs du travail, l’utilisation de parfums dont certaines composantes peuvent être allergisantes (coumarine et limonène). Et la médecine du travail parisienne note en outre que l’obligation de porter des tongs, associée à la station debout en permanence, « provoque de manière récurrente des maux de dos ».

L’éclairage fait partie des points négatifs relevés par l’inspection du travail et la médecine du travail (Photo ThinkRetail / FlickR / cc)

Interrogés, des employés confirment ces problèmes. Mais la plupart font avec, car ce sont en majorité des étudiants qui ne travaillent à Hollister que quelques heures par semaine. Le magasin de Strasbourg, ouvert depuis le 1er décembre 2011, emploie 120 salariés, pour 40 équivalents temps-plein. Ils sont divisés en deux catégories : les « impact » et les « models ». En gros, tout le monde effectue le même travail, a le même salaire et est beau. Mais il semblerait que les impacts le soient moins : ils travaillent parfois dans le stock alors que les models, eux, sont toujours visibles du public, en magasin ou en caisse.

Pierre*, model de 22 ans, rencontré en février 2012, saturait déjà :

« On a que huit chansons dans la playlist, ça rend fou! Parfois, j’ai des acouphènes à la fin de la journée. Alors quand en plus, je me retrouve bloqué à l’entrée dans une zone d’environ 4m², à m’affairer autour d’une pauvre table et d’une étagère, à sortir la « tagline » toutes les 30 secondes, avec le diffuseur de parfum juste au-dessus de ma tête… On est tout le temps surveillés. On a même un « floor supervisor »: un manager qui marche et surveille l’état des rayons toute la journée. Je peux vous dire que même si c’est que pendant cinq heures, c’est super long ! »

* Tous les prénoms ont été changés, pour préserver l’anonymat des salariés qui ont accepté de témoigner.

Avec Mélina Facchin


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