Difficile d’imaginer qu’il y a à peine plus de 50 ans, le quartier de l’Esplanade tel qu’on le connaît (plan ci-dessous) n’existait pas. A sa place, des dizaines de casernes, où vivait une garnison importante jusque dans les années 1950. Ce n’est qu’en 1958 que la Ville de Strasbourg rachète ces 170 hectares de terrains militaires devenus obsolètes après-guerre, alors qu’est entérinée la réconciliation franco-allemande et lancée la construction européenne. Soixante-quinze hectares sont alors destinés à la création de logements, 17 hectares sont attribués à l’Université et 13 hectares à l’aménagement du parc de la Citadelle.
1681-1685 : 3 000 ouvriers construisent la citadelle
Retour en arrière. 1681 : Strasbourg se rend au roi de France Louis XIV, qui charge Sébastien de Vauban de repenser l’enceinte défensive de l’ex-ville libre d’Empire. En moins de deux mois, Vauban rend un mémoire manuscrit au roi, dans lequel il prescrit la création d’un barrage sur la façade ouest de la ville (l’actuel barrage Vauban à la Petite France) et la création d’une citadelle à l’est, afin de garantir la sécurité de la ville à côté germanique, où seuls des marécages séparent Strasbourg du Rhin. Au nord et au sud, les fortifications construites fin XVIème sont maintenues en l’état.
Entre 1681 et 1685, 3 000 ouvriers sont chargés de bâtir, sous la direction de l’ingénieur Jacques Tarade (une rue porte son nom dans le quartier), cette citadelle pentagonale, avec des pierres venues des Vosges, arrivées à Strasbourg par le canal de la Bruche, creusé exprès pour l’occasion. Dans cette citadelle, des garnisons sont installées et séparées de la ville par une esplanade en pente douce pouvant servir de glacis, des casernes et un hôpital militaire – l’actuelle Cité administrative Gaujot.
L’Esplanade, un terrain bordé de bâtiments militaires
D’après le « Dictionnaire historique des rues de Strasbourg » (Le Verger, 2012), sur le plan de 1852 (ci-dessus), l’Esplanade commence après l’actuelle rue du Général-Zimmer, qui longe arsenaux et ateliers. L’actuelle rue René-Descartes (face à la fac de droit) est l’ancienne avenue puis allée de la Citadelle (1852, 1872). Elle fixait la limite sud de l’esplanade, occupée par les magasins de bois et de chauffage et bâtiments du génie.
Sur le plan de 1913, l’Esplanade et l’ancienne citadelle constituent un grand terrain d’un seul tenant avec en bordure des bâtiments militaires (dont l’actuel lycée Jean-Rostand boulevard de la Victoire, installé dans l’ancienne caserne Saint-Nicolas, construite au XVIIIème siècle) et un groupe de bâtiments important au centre (Kaiser-Wilhelm-Kaserne).
Siège de 1870 : la citadelle est en partie détruite
Car, entre-temps, le siège de Strasbourg par les Allemands en 1870 a fait des dégâts. Une grande partie de la citadelle est détruite (dessin et photo ci-dessous) puis démantelée, exceptée 700 mètres de murs d’escarpe et des fossés, ainsi qu’une porte au sud-est de l’édifice, tandis que des casernes sont bombardées puis reconstruites (cartes postales de 1915).
Après la Seconde Guerre mondiale, alors que la ville s’est étendue au nord (Neustadt) en sortant de ses murailles historiques sous la période allemande, l’esplanade militaire et ses casernes vieillottes tendent les bras aux bâtisseurs. Après le rachat des terrains par la Ville, la construction de l’ensemble démarre à partir de 1960, sous la direction de l’architecte Charles-Gustave Stoskopf.
À la place des casernes, les facultés de l’Université
Rapidement, les terrains des casernes, proches de la Krutenau, sont hérissés de bâtiments universitaires, dont deux sont emblématiques : la faculté de droit (1962, architectes Roger Hummel et Alfred Kronenberger) et la tour de chimie (1962, architecte Roger Hummel).
« Le premier, apprend-t-on sur le site Strasbourg.eu, avec sa façade en arc de cercle faisant face à la cathédrale, marque l’extrémité Est de la rue René-Descartes et la continuité avec la vielle ville. Le second, avec ses 15 étages et ses 69,9 mètres, est le deuxième édifice le plus élevé de Strasbourg après la cathédrale (142 mètres). Il fait également la jonction entre « l’ancienne » université de la Neustadt et le campus ».
À la place de l’Esplanade militaire, 6 000 logements
Bordée d’habitations de 13 étages à partir de 1963, l’avenue du Général-de-Gaulle (dénomination de 1970) débouche quant à elle sur le rond-point de l’Esplanade (dénomination de 1963, qui évolue en « place de l’Esplanade » en 2007, avec le prolongement du tram vers Neudorf). Dès 1982, plus de 6 000 logements et 13 000 habitants, pour seulement 328 immeubles, jouxtent le nouveau campus. Le parc de la Citadelle, lui, est dessiné par le paysagiste Robert Joffet et réalisé en 1967 sur l’ancienne friche militaire.
Entre les années 1960 et 80, l’espace se structure autour de rues portant les noms de villes et capitales européennes qui intègrent progressivement le Conseil de l’Europe, installé à Strasbourg en 1949. La rue de Boston, par exemple, part du rond-point de l’Esplanade et longe le parc de la Citadelle par le nord.
Elle est ainsi dénommée depuis 1963, trois ans après le jumelage entre Strasbourg et cette ville de la côte Est des Etats-Unis. Idem pour la dénomination de la rue de Stuttgart en 1962, dont le jumelage avec Strasbourg date de la même année. Autres exemples avec les rues d’Ankara et Istanbul, Nicosie, Stockholm ou Oslo, Palerme, Milan et Rome, Copenhague ou Londres.
Un centre commercial peu attractif
Depuis son aménagement, le secteur compte en son sein un centre commercial (photos ci-dessous), « dont l’architecture et les dimensions ont rapidement posé problème, précise-t-on sur Wikipédia. Peu entretenu du fait d’une structure juridique complexe, il s’avère insuffisamment attractif malgré son parking gratuit [ndlr, il est désormais payant], face à la Place des Halles et à Rivétoile, ouvert en 2008 dans le secteur voisin du Bassin d’Austerlitz ».
L’épine dorsale du quartier, l’avenue du Général-de-Gaulle, est connue quant à elle pour ses œuvres d’art, sculptures d’artistes du XXème siècle, réalisées entre 1947 et 1991 et installées avec l’arrivée du tram en 2000. Deux œuvres de Jean Hans Arp sont installées dans les plates-bandes, tandis qu’une quinzaine de bronzes complète l’ensemble (ci-dessous).
L’escalier hélicoïdal du pont Churchill a disparu
Enfin, dans la continuité de l’avenue du Général-de-Gaulle, l’allée Jean-Pierre Lévy, du nom d’un chef de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, est plus récente (2007). Avec les lignes E et C du tram en son centre, elle sillonne entre les immeubles là où le pont routier Winston-Churchill, construit en 1965 et démoli en 2005, surplombait des espaces délaissés en-dessous. A noter que l’escalier hélicoïdal qui permettait aux piétons de monter sur le pont, conservé pendant quelques années après démolition du pont, a sauté avec le début du chantier de l’INET.
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