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« Une histoire d’amour et de désir », subtil film sur l’éveil d’un jeune homme de banlieue

Le deuxième long-métrage de Leyla Bouzid se penche sur la première expérience sexuelle et amoureuse d’un jeune garçon qui a grandi en banlieue parisienne. Avec ce sujet très peu abordé au cinéma, la réalisatrice offre un film juste et subtil. Rencontre avec une réalisatrice qui n’a pas froid aux yeux.

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Chaque matin à l’aube, Ahmed quitte sa cité pour rejoindre la Sorbonne où il étudie la littérature arabe. Il y rencontre Farah, qui arrive de Tunis et c’est une apparition. Totalement bouleversé par une littérature qu’il découvre sensuelle et érotique ainsi que par cette jeune fille libre, Ahmed lutte et se débat contre lui-même, ses sentiments, ses pulsions.

La réalisatrice Leyla Bouzid filme cette naissance du désir chez un jeune homme comme on l’a rarement vu. Comme un appel à la libération des corps, tous les corps. Dans son premier film, A peine j’ouvre les yeux en 2015, Leyla Bouzid retraçait l’aventure d’une jeune tunisienne et de son groupe de rock en prise ave l’État policier de Ben Ali. Pour ce deuxième opus, elle poursuit son travail sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte mais en portant, cette fois, son regard sur un jeune garçon.

Bande-annonce de Une histoire d’amour et de désir (vidéo Pyramide / YouTube)

Rue89 Strasbourg: Comme votre héroïne Farah, vous êtes née en Tunisie et vous êtes arrivée en France pour faire des études de Lettres à la Sorbonne. Est-ce que cette Histoire d’amour et de désir est inspirée de votre propre vie étudiante?

Leyla Bouzid: Non, pas du tout. Pour ce deuxième film, j’avais envie de raconter l’histoire d’un jeune garçon timide. Les jeunes hommes « d’origine » maghrébine, arabe, sont le plus souvent représentés avec une virilité ostentatoire. Le jeune homme de banlieue est devenu un genre mais on s’intéresse rarement aux sentiments amoureux, aux désirs qui peuvent le traverser, comme s’ils n’existaient pas. Je voulais proposer une autre image, plus proche des gens que je connais. C’était évident pour moi qu’Ahmed, le héros, rencontrerait une jeune femme tunisienne car je voulais retrouver Farah, l’héroïne de mon premier film. Voir ce qu’elle était devenue, cette jeune femme très libre qui débarque à Paris.

Un regard féminin sur le corps des hommes

L’histoire est centrée sur Ahmed mais c’est Farah qui va guider son éducation sentimentale. Vous portez un regard féminin sur lui, notamment dans la scène finale, c’est nouveau et c’est très émouvant.

L.B. : Dans la même optique de regarder ce jeune homme différemment, je voulais filmer le corps masculin. Actuellement, on rejette le regard masculin. On cherche à donner à voir le corps de la femme autrement mais on se pose moins la question du corps de l’homme. Je veux filmer la sensualité du corps masculin, l’érotiser. Le corps de l’homme reste encore un mystère.

Ahmed (Sami Outalbali) est gêné par l’audace de Farah (Zbeida Belhajamor) Photo : Pyramide / doc. remis

Est-ce que c’est un sujet qui a été difficile à porter auprès des producteurs ou de l’acteur masculin ?

L.B. : Sami Outalbali (qui joue Ahmed) trouvait cette démarche intéressante. C’est son premier rôle principal mais depuis on l’a vu dans la série Sex education où il joue un garçon très sûr de lui, aux antipodes d’Ahmed. Ce qui a pu être moins évident à faire passer c’est le fait qu’Ahmed est son propre antagoniste. Rien ne l’empêche de vivre son histoire d’amour sauf lui-même. Dans les retours que je pouvais avoir, les gens me disaient : « Qu’est-ce qu’il a ? C’est quoi son problème ? » Il n’y a pas d’opposition frontale dans sa famille ou son quartier, c’est plus complexe, plus diffus. Tout l’enjeu de l’écriture était là : comment incarner ce qui au plus profond de lui l’empêche de se réaliser.

Le père d’Ahmed, interprété par Samir Elhakim, est aussi un personnage clé, extrêmement touchant. C’est un homme brisé…

L.B.: Dans la famille d’Ahmed, beaucoup de choses sont tues. Le passé de cette famille, sa culture arabe, musulmane, rien n’a été transmis, parce que je pense que la transmission est un luxe. Ahmed s’est construit une culture faite de tout un tas d’amalgames, qui vont venir de ses potes, des médias et il a une version de l’identité arabo-musulmane très univoque. Petit à petit, il va retrouver une complexité inerrante à toutes les cultures.

Zbeida Belhajamor joue l’intrépide Farah Photo : doc. remis

D’où vient Zbeida Belhajamor, qui incarne Farah ? C’est la première fois qu’on la voit à l’écran

L.B. : Oui, c’est quasiment sa première expérience audiovisuelle. Elle faisait du théâtre à Tunis avec ma petite sœur, je l’avais déjà repéré pour mon premier film mais elle était trop jeune pour le personnage. Elle m’avait beaucoup impressionnée par sa vitalité, son caractère et je suis retournée la chercher. Elle est extraordinaire.

Est-ce que ce sont les femmes qui vont libérer les hommes des injonctions à la virilité ?

L.B. : Il faudrait en tout cas que les hommes se laissent libérer par les femmes. Ils ont besoin de réinventer une autre image de la masculinité.

Quelles sont les femmes qui vous impressionnent, qui vous influencent ?

L.B. : J’aime Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, Patti Smith. Ce sont de grandes féministes et de grandes amoureuses.


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