Un étonnant cortège de gilets jaunes a manifesté mercredi 20 février à travers le quartier de Hautepierre. Qu’on ne s’y trompe pas, si le fluo était le mot d’ordre du rassemblement, la petite centaine d’enfants avait pour seule revendication de fêter carnaval. Un rendez-vous devenu incontournable chaque hiver depuis dix ans pour les enfants de ce quartier de l’ouest de Strasbourg.
En dehors du défilé du centre-ville qui attire des dizaines de milliers de spectateurs venus de Strasbourg et au-delà, ce carnaval est l’un des derniers en quartier, hérité d’une tradition dès les premières années de la cité.
Après les mille et une nuits et leurs paillettes l’an passé, le thème 2019 était « le dadaïsme. » « Un thème pas simple à porter jusqu’aux enfants, qui sont aujourd’hui très terre-à-terre, » confie Fanny Munsch, l’artiste plasticienne qui accompagne les accueils de loisirs et le centre socio-culturel du Galet dans la préparation de la cavalcade. « Le dadaïsme, c’est très abstrait pour eux, » confirme Anne Prudhomme, animatrice au Terrain de jeu et d’aventure, le plus ancien accueil de loisir de Hautepierre, depuis 1989. « C’est la préhistoire. Ils ne sont pas dans l’absurde, il leur faut du concret. »
Sur proposition du théâtre TJP, le carnaval de Hautepierre s’est inscrit cette année dans son opération Big Dada, pour essaimer le dadaïsme dans le paysage des habitants avant la représentation de la pièce Ça Dada jouée au théâtre de Hautepierre en avril. Pour fédérer les différents groupes d’enfants autour de ce thème abstrait, Fanny Munsch a proposé un travail sur des costumes fluorescents, l’appropriation publicitaire pour imaginer des slogans, et la figure du cheval dans un esprit dada de manifestation.
Ramenez la coupe à la maison !
À l’arrivée, chasubles fluos, casques de chantiers revisités, pancartes, têtes de cheval, et tambours étaient bien au rendez-vous. « L’année dernière, nous n’avions pas pu faire de grand tour à cause des travaux », se souvient Rosa, fidèle au rendez-vous. Une enceinte dans un chariot de courses pour la musique, et il n’en fallait pas plus pour emmener le défilé des enfants à travers les mailles, de la Maison de l’enfance jusqu’au Galet, en passant par le théâtre. À travers la maille Jacqueline, cette drôle de manifestation qui chante en cœur Ramenez la coupe à la maison attire les curieux aux fenêtres des barres d’immeubles. Avant de rejoindre le parvis du Galet où les attendent jeux et goûter, garçons et filles se lancent dans la chorégraphie de Mama Africa.
« Je n’ai pas le souvenir qu’on fêtait carnaval ici quand j’étais petit », regrette un jeune homme revenu dans le quartier de son enfance pour admirer la fête. Pourtant, le carnaval de Hautepierre trouve ses origines dans la naissance du quartier. C’est « le premier événement » qu’ont organisé les éducateurs de rue de Hautepierre dès la fin des années 1970. L’objectif : que les habitants des différentes mailles, séparées à l’époque par des routes surélevées sans feux tricolores, apprennent à se connaitre. Des parents se constituent en collectif et donnent une dimension supplémentaire à cette fête de la fin d’hiver. Mais aujourd’hui, peu d’adultes se souviennent encore de la grande époque de ce carnaval et il faut convoquer les archives de l’Institut national audiovisuel pour en saisir l’ampleur passée.
Souvenirs des premiers carnavals
Plus de 500 enfants dans les années 1990
Anne Prudhomme est animatrice au Terrain de jeu et d’aventure. Elle non plus n’a pas connu la première version du carnaval porté par les éducateurs de prévention spécialisés, la Jeep. Mais elle se souvient des folles cavalcades des années 1990, déjà organisées par le centre socio-culturel :
« On se faisait accompagner par la police municipale. On partait de la maille Eléonore et on traversait tout le quartier jusqu’à la maille Karine où un chapiteau attendait les enfants pour un grand goûter. Il pouvait y avoir jusqu’à 500 enfants qui rejoignaient le cortège progressivement au fur et à mesure du chemin. Ils déambulaient aux pieds des immeubles et les habitants leur lançaient des bonbons. Deux fois, on a confectionné des dragons géants au terrain de jeu. Une année, les adultes avaient même récupéré un camion-benne. Avec, on avait fabriqué un char en forme de planète extraterrestre. »
Peu d’images restent aujourd’hui de cette époque. Celles du TJA ont quasiment toutes disparu dans un dégât des eaux. Les quelques photos qu’Anne Prudhomme parvient à retrouver dans ses archives remontent à 2003. Au début des années 2000, le carnaval de Hautepierre s’est ensuite arrêté :
« Au bout d’un moment, la cavalcade a tourné au flicage pour les adultes qui l’encadraient. Le côté amusant s’est perdu. Elle ne consistait plus pour les gamins qu’à se ruer sur les bonbons et se battre pour les attraper. C’était devenu ingérable. Alors on a arrêté. »
Cantonné aux voies piétonnes
Depuis sa reprise il y a une dizaine d’années, le carnaval se cantonne aux voies piétonnes et aux trottoirs. Aujourd’hui, le quartier a changé depuis sa rénovation, avec des larges trottoirs et pistes cyclables, ainsi que le prolongement du tram. Un défilé de l’ampleur des années 1990 n’est plus envisageable, explique l’animatrice :
« La police ne souhaite plus accompagner le carnaval. Une véritable déambulation stopperait la circulation du tram. Mais cette année elle est quand même plus importante que l’an passé quand on restait simplement dans la maille Catherine autour du Galet. Dans les années folles, il y avait une liberté beaucoup plus importante, personne ne craignait rien. Et puis il y avait beaucoup de friches encore autour des immeubles construits : tout y était possible. Aujourd’hui, dans le contexte des attentats, il faut sécuriser le parvis pour rassembler les enfants. C’est une autre époque… »
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