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Hatem Gheribi, Strasbourgeois, candidat contre Ennahdha en Tunisie

La diaspora tunisienne va élire cinq députés pour le nord de la France fin octobre. Strasbourgeois depuis 12 ans, Hatem Gheribi sera peut-être de ceux-là. Il est l’un des rares candidats hors de Paris à se présenter pour la diaspora de France, une première pour lui comme pour tout le pays qui va vivre sa première élection législative depuis la chute de la dictature de Ben Ali.

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Hatem Gheribi : « à un moment, il faut se décider, il faut y aller » (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Hatem Gheribi se souvient encore très bien de ce qu’il faisait le 14 janvier 2011, jour du départ de la Tunisie de Zine el-Abidine Ben Ali, emporté par la révolution démarrée deux semaines plus tôt par l’immolation d’un vendeur ambulant à Sidi Bouzid. Strasbourgeois depuis 12 ans, militant associatif, Hatem Gheribi était en plein match de foot :

« Mon frère m’appelle, il m’annonce le départ de Ben Ali. “La France va intervenir” me disait-il. Immédiatement, j’arrête de jouer, je me rue chez moi pour me connecter à Internet, à Facebook et à suivre les nouvelles minute par minute. Quel immense espoir était né alors ce jour là pour la Tunisie ! »

L’ombre des islamistes

Attablé à la terrasse d’une brasserie strasbourgeoise, Hatem Gheribi laisse échapper un soupir. Les jours heureux de la révolution de la dignité sont déjà bien loin. Car depuis, le parti islamiste Ennahdha a remporté les élections pour la constituante et forme l’essentiel du gouvernement de transition. Né à Compiègne (Oise) en 1974, Hatem Gheribi ne peut se satisfaire de cette situation :

« Quand Ennahdha a pris le pouvoir, honnêtement, je n’étais pas inquiet. Ils avaient été exilés et martyrisés par le pouvoir de Ben Ali, je pensais vraiment qu’ils allaient agir en démocrates après avoir séjourné autant de temps à Londres. Mais quand j’ai vu qu’ils voulaient inclure la charia comme source du droit, brider les droits des femmes, qu’ils étaient pointés du doigt dans les meurtres de députés et qu’ils noyautaient l’armée, la police, je me suis dit qu’il ne fallait pas laisser échapper la révolution. »

Deux Strasbourgeois en lice

Du coup, Hatem Gheribi a accepté d’être candidat aux premières élections législatives libres de Tunisie, qui auront lieu le 26 octobre. Il occupe la quatrième place, sur cinq, de la liste Union pour la Tunisie (UPT) pour France-Nord. UPT est une coalition de gauche regroupant notamment Al Massar, issu entre autres du parti communiste tunisien, la liste est menée par Nadia Chaâbane, membre de l’assemblée constituante. Une autre Strasbourgeoise est candidate, Amani Friaa, deuxième sur la liste Afek Tounes.

Hatem Gheribi a peu de chances d’être élu, mais c’est pour le principe. Pour représenter les Tunisiens de France, aspirant à un renouveau démocratique pour leur patrie d’origine et pour ne pas laisser le champ libre aux islamistes d’Ennahdha et aux anciens RCDistes, le parti de Ben Ali, crédités de la majorité des voix selon les sondages.

Un séjour dans les geôles de Ben Ali

Hatem Gheribi a toujours eu le virus de la politique. Il l’a attrapé adolescent, en Tunisie :

« J’ai grandi dans une cité vraiment dure. À 14 ans, je commençais à mal tourner, à entrer dans les trafics. Voyant cela, mon père, ouvrier dans le bâtiment, m’envoie au lycée en Tunisie. C’est là où j’ai commencé à militer dans les réseaux de gauche, parmi les blogueurs. J’ai même été arrêté et fait quelques jours de prison, accusé de “fomenter un coup d’État”, moi, à 23 ans, pour avoir distribué des flyers ! »

De retour en France, Hatem Gheribi travaille dans la logistique de la grande distribution, pour s’établir à Strasbourg en 2002. Son passage par les geôles de Ben Ali l’a guéri du militantisme, pas de la politique :

« C’était difficile de se taire. Mais en Tunisie, le système était tellement verrouillé… La moindre parole déplacée en France et la police de Ben Ali pouvait s’en prendre à votre famille en Tunisie. C’était très compliqué. J’ai trouvé un échappatoire au militantisme en m’impliquant dans des associations. Ça me permettait de m’exprimer sans que ça ne porte préjudice à ma famille. »

Hatem Gheribi : « Les Tunisiens ont attrapé le virus de la démocratie, tout le monde ne parle plus que de politique » (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

« Il y a un espoir, il faut qu’on s’en saisisse »

À Strasbourg, Hatem Gheribi a notamment été trésorier de l’association « Les Voix Libres », créée au lendemain de la révolution, et il a participé à l’organisation de la Marche des migrants, de Strasbourg à Bruxelles en juin. S’il s’implique dans les législatives tunisiennes, c’est par crainte que les idéaux de la révolution ne soient étouffés :

« Clairement, la Tunisie peut retomber dans une dictature, islamiste cette fois. Ennahdha est très puissant, ils sont généreusement financés par le Qatar et ils utilisent les mosquées pour relayer leurs messages politiques. Je ne pensais pas un jour me lancer en politique de la sorte, en tant que candidat. Mais j’ai vu que Nadia Chaâbane et d’autres sont parvenus à bloquer les velléités islamistes d’imposer la religion dans la constitution. Ça a été un combat ardu, mais payant au final. Il y a donc un espoir, il faut qu’on s’en saisisse. »

Pour autant, Hatem Gheribi n’est pas pessimiste. Selon lui, le processus engagé par la révolution a transformé tous les Tunisiens en militants :

« La politique, on ne parle plus que de ça en Tunisie ! Ça y est les Tunisiens ont goûté à la démocratie, ils ne pourront plus s’en passer. Il faut juste les convaincre que voter, cette fois, pour la première fois depuis des dizaines d’années, aura un impact. D’autant qu’en Tunisie, il y a des chantiers énormes à mener. C’est une période exaltante. »

Pour la campagne officielle, qui débute mercredi, Hatem Gheribi va sillonner la moitié nord de la France avec Nadia Chaâbane, participer à des meetings réunissant quelques dizaines de personnes dans des salles obscures et dont personne en France ne va parler. Toute une campagne de l’ombre, mais porteuse d’espoir pour toute une fraction de la population française.


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