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Haruko Boaglio : « L’accident nucléaire est une réalité »

Haruko Boaglio, militante antinucléaire japonaise, habitait à moins de 50 km de la centrale de Fukushima. Elle a fui le Japon immédiatement après la catastrophe et depuis deux ans, elle parcourt l’Europe pour témoigner qu’un accident nucléaire n’est pas de la science-fiction. Et que ses conséquences sont irréparables. Elle était lundi à Mulhouse, où Rue89 Strasbourg l’a rencontrée.

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Haruko Boaglio (Photo P-Mod)

Il y a deux ans, un violent tremblement de terre puis un tsunami a provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima, à l’est du Japon. Selon les chiffres officiels, le pays pleure encore 15 800 morts, 3 000 disparus et plus de 6 000 blessés dans ce territoire où 600 km² sont considérés comme hautement pollués. Le soir même de l’accident, Haruko Boaglio, 45 ans, est venue se réfugier avec sa famille en France. Militante anti-nucléaire, elle habitait depuis cinq ans sur une colline à Miharu, à 45 km à l’ouest de la centrale après avoir été professeur de français à Tokyo.

Elle est venue apporter son témoignage lundi à Mulhouse, où elle a participé au die-in organisé par le collectif Stop Fessenheim. En Alsace, les militants écologistes restent vigilants quant à la promesse du président de la République de fermer la centrale alsacienne de Fessenheim, la plus vieille de France, à la fin de l’année 2016. La résistance du lobby nucléaire est tenace, la date de fermeture effective ne cesse d’être reculée, ce qui montre à quel point les résolutions politiques sont fragiles, surtout en cas d’alternance en 2017.

Située dans une zone sismique, soumise aux risques de tremblement de terre mais aussi d’inondation par le canal d’Alsace, la centrale a dû faire face à 55 incidents depuis 2000. EDF, l’exploitant du site, a déjà dépensé 400 millions d’euros depuis 2009 pour mettre à jour sa sécurité. Depuis des années, un collectif de militants français, suisses et allemands, qui connaît un nouveau souffle depuis l’accident de Fukushima, exige la fermeture immédiate du site, aux côtés de 450 élus alsaciens. Mais d’autres élus, notamment au sein de l’exécutif régional et départemental, demandent le maintien de la centrale, entreprise qui emploie des centaines de salariés et génère d’importants revenus pour les communes avoisinantes.

Les médias ne disaient rien, Haruko Boaglio a été informée par une amie de la fusion des réacteurs. (Photo P-Mod)

Rue89 Strasbourg : Que s’est-il passé la journée du 11 mars ?

Haruko Boaglio : Le tremblement de terre a eu lieu à 14h46. Nous l’avons ressenti, avons eu du mobilier et de la vaisselle cassés mais avons été assez préservés. Le tsunami ne nous a pas atteint non plus, nous avions juste la ligne téléphonique coupée. A la télé, les journalistes disaient que l’activité de la centrale était stoppée, qu’aucune fuite n’était à déplorer… Au Japon, les médias sont sous la coupe du gouvernement, qui lui ne daignait donner aucune information. Vers 20h30, une amie très engagée dans la lutte anti-nucléaire est venue nous voir en disant que le système de refroidissement ne fonctionnait plus et que les cœurs des réacteurs allaient fondre (les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 ont effectivement fondu et percé les cuves, ndlr). Nous sommes partis à cause des radiations car j’étais bien consciente des risques et des conséquences, du fait de mon engagement anti-nucléaire. Et ma fille avait trois ans à l’époque.

R89S : Y êtes-vous retournée depuis ?

Oui, quelques jours à l’été 2011 pour vider notre maison et rendre les clés. Nous avions encore très peur des radiations et sommes arrivés avec des blouses, casques, bottes, lunettes et des masques achetés sur internet qui bloquent « 99% des radiations ». Les voisins n’ont pas apprécié notre accoutrement car eux vivent avec la radioactivité tous les jours, ne prennent pas ces précautions et ont eu un sentiment de culpabilité. Je n’aime pas provoquer cela, j’essaie de les convaincre des risques du nucléaire mais c’est délicat de remettre en cause leur choix de vie. Nous avions ramené de la nourriture française suffisante pour cinq jours et n’avons rien mangé qui venait de là-bas. J’ai dû refuser la pastèque du voisin car elle venait de son jardin… Je regrette d’être partie, nous menions une vie agréable et nous avions prévu d’y passer toute notre existence même si mon mari, français, ne trouvait toujours pas de travail fixe au bout de quelques années.

La catastrophe a divisé les habitants, entre ceux qui ont fui et ceux qui sont restés. (Photo P-Mod)

R89S : Comment se passe la vie quotidienne là-bas ?

Désormais la radioactivité de tous les aliments est mesurée mais dans les municipalités de la préfecture de Fukushima, les machines utilisées ne détectent rien en dessous de 20 becquerel / kg. On a réussi à persuader les gens que en-dessous de 20, c’est acceptable mais pour moi cela reste dangereux et ce n’est pas du tout rassurant pour les enfants. Les habitants sont suivis médicalement (examens de la thyroïde, etc) et les enfants portent des dosimètres autour du cou en permanence. Le gouvernement, en partenariat avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), veut persuader les gens de rester, qu’il est possible de « vivre heureux avec la radioactivité » par le biais des projets Ethos et Epice, qui ont déjà été testés à Tchernobyl.

R89S : Qu’en est-il de l’activité économique de la région ?

C’est une région de pêche et de petite agriculture : légumes, fruits (pêches, poires) et d’élevage de vaches (des troupeaux d’une vingtaine de bêtes). Maintenant tous ces agriculteurs ont beaucoup de mal à vendre leurs produits car personne ne veut acheter des aliments en provenance de Fukushima. Ils réclament donc une indemnisation par Tepco, l’exploitant de la centrale de Fukushima, mais elle se fait attendre. Beaucoup d’agriculteurs se sont suicidés depuis la catastrophe.

A Iitaté-Mura, il y avait une communauté dynamique de jeunes agriculteurs bio qui ont tous choisi de partir vers l’ouest. Par contre je connais un agriculteur, bio lui aussi, d’environ 65 ans qui tenait une sorte d’Amap avec 60 abonnés. Depuis Fukushima, il ne peut plus compter que sur 13-14 familles. Mais il a décidé de se battre et a ouvert un petit magasin au bord d’une route pour attirer de nouveaux clients, qu’il informe sur son mode de culture. Il a travaillé pendant 20 ans pour vider sa terre de tout pesticide et maintenant il doit tout reprendre à zéro… Je l’admire vraiment beaucoup.

Haruko Boaglio lundi 11 mars lors d'un "die in" à Mulhouse, pour la fermeture de la centrale nucléaire de Fukushima (Photo P-Mod)

R89S : Quelles conséquences sociales la catastrophe a t-elle eu sur la population ?

Le phénomène des « divorcés du nucléaire » apparaît : des couples qui se séparent car l’homme choisit de rester dans la région car il a déjà 30-40 ans et a passé des années à construire un statut professionnel correct qu’il est difficile d’abandonner et la femme qui va s’installer dans une autre région avec les enfants. Beaucoup de femmes décident également d’avorter en ce moment et certaines jeunes filles disent qu’elles n’auront jamais d’enfants à cause de potentiels problèmes génétiques. Les femmes d’Hiroshima et de Nagasaki ont eu les mêmes problèmes. A l’époque elles ont eu mal à se marier car elles portaient le stigmate de la radioactivité. L’ambiance est plutôt à la dépression mais c’est mal vu d’exprimer son inquiétude vis-à-vis des autorités et de la société. Les gens envoient quand même leurs enfants en vacances dans d’autres villes mais n’assument pas d’avoir peur.

R89S : Quelle aurait été la solution la plus pertinente en terme de santé publique selon vous ?

Pour moi il aurait fallu faire évacuer toute la zone touchée fortement par le nuage et la laisser inhabitée pendant des années, il n’y pas d’autre solution, tout est contaminé. La décontamination n’est absolument pas au point : l’Etat y consacre un budget énorme, qu’il reverse intégralement à une grosse société qui elle même la partage parmi une multitude sous-traitants, dont une bonne partie sont aux mains des yakuzas, la mafia (voir à ce sujet le reportage Canal+ en replay) . Ils n’hésitent pas à envoyer des mineurs, des personnes endettés, des handicapés mentaux nettoyer les cuves : ces gens sont mal payés, mal protégés et mal formés. Certains d’entre eux ont coupé des arbres contaminés puis ne sachant pas quoi en faire, les ont jetés dans la rivière !

Il n’y a aucune vision globale de protection de la santé publique, chaque municipalité décide au cas par cas d’autoriser la pêche ou l’agriculture, selon sa sensibilité politique.

R89S : Quel est votre message aujourd’hui ?

L’accident nucléaire est une réalité, il faut que les gens en prennent conscience, cela arrive même sans faille sismique : les intempéries, le terrorisme, les erreurs humaines, etc. Il faut commencer à aller dans la direction d’une société libérée du nucléaire même si je sais qu’en France cela ne se fera pas tout de suite vu le poids de cette industrie (75% de la production d’électricité actuellement, 50% prévus à l’horizon 2025). Les gens ne sont pas informés, on les dupe avec de prétendus bienfaits économiques. Je vais continuer le combat dans un groupe de ressortissants japonais qui essaie de soutenir le mouvement anti-nucléaire là-bas et d’informer les gens ici. Il faut redonner une place au mouvement anti-nucléaire dans le débat public car il s’essoufle depuis quelques mois. Mais ce pays n’a jamais connu de révolution citoyenne et l’accident a un peu changé les mentalités.

J’ai été très fâchée lorsque l’histoire de mœurs de DSK a éclaté en mai car du jour au lendemain cela a pris toute la place dans l’actualité et on a plus parlé de Fukushima et de ce que le monde pouvait en tirer comme leçons.

Toutes les photos : P-Mod Photographies

Y aller

Projection du film « Fukushima une population sacrifiée », vendredi 15 mars à 19h30 à Saint-Amarin (Haut-Rhin),  puis débat avec Haruko Boaglio et Yûki Takahata, fondatrice de Yosomono-net, réseau international de ressortissants japonais pour la sortie du nucléaire. D’autres informations dans ce document (PDF).

Aller plus loin

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#centrale nucléaire

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