Le 12 juillet, cette habitante d’Handschuheim, petit village à l’ouest de Strasbourg, ne peut que constater la mort de son chien, malade depuis deux jours. Son berger blanc suisse de 7 ans était pourtant en parfaite santé. Pour cette dame, qui a préféré garder l’anonymat par crainte de représailles de la part des agriculteurs, une seule et unique cause peut expliquer ce décès foudroyant : les épandages fréquents de pesticides à quelques mètres de son jardin. Et plus précisément celui du 10 juillet au soir.
Depuis cet incident, cette habitante a signalé à plusieurs autorités et associations ses problèmes de santé et ceux de ses animaux. Elle a également porté plainte pour « sévices graves » sur son chien. Pour le vétérinaire qui a suivi l’animal, ce décès subit interpelle, mais il ne peut l’affirmer de manière certaine la responsabilité des produits épandus :
« C’était un chien en excellente santé. Les symptômes décrits correspondent à une intoxication. Malheureusement une fois à la clinique, le chien était déjà mort et il est difficile d’interpréter ce décès si l’on ne sait pas quels produits on recherche. »
Excédée avec sa famille depuis plusieurs années par les pulvérisations sur le verger voisin, cette dame s’était même mise à filmer à travers sa haie un épandage depuis un tracteur l’an dernier. Suite à la perte de son berger blanc, elle a aussi publié plusieurs pétitions en ligne, dont une qui a recueilli 4 900 signatures.
Dans les environs, des problèmes respiratoires ont été diagnostiqués à des chevaux selon une riveraine. En juin, un lapin de 18 mois ayant mangé de la luzerne issue du champ attenant est, lui aussi, décédé en quelques jours. La haie qui sépare le champ de l’habitation est brûlée de manière inégale.
Un problème de longue date pour l’ancienne maire, menacée de mort
Pour l’ancienne maire, Dominique Hoeffel, ces problèmes ne sont pas nouveaux et ont émaillé son unique mandat entre 2008 et 2014 :
« Une douzaine de familles se sont plaintes de troubles de la santé pour eux ou pour leurs animaux. J’ai essayé de sensibiliser les agriculteurs à maintes reprises. Au conseil municipal, aucune action n’a pu être menée, car j’ai toujours rencontré une levée de boucliers. Mon objectif, c’était d’obtenir une « libellule » pour le village. (Un label régional qui atteste d’une limitation de l’usage des pesticides dans une commune. Il est possible d’avoir jusqu’à trois libellules lorsqu’aucune pesticide n’est utilisée ndlr). Cette année j’ai été réélue au conseil municipal, mais je n’ai pas voulu être maire ni même adjoint, car il y avait trop de pressions. J’ai même reçu plusieurs menaces de mort, dans mon bureau ou par lettres. Cela n’a été que des mots, mais je les prends très au sérieux. »
Pas d’irrégularité constatée chez les agriculteurs
Mis en cause, l’exploitant du verger mitoyen, rejette les accusations et insiste sur le fait qu’il respecte les réglementations. Jean-Jacques Wick est conscient des dangers des produits, mais revendique le droit de continuer son travail et manifeste aussi un certain fatalisme face à la situation :
« On épand au minimum, mais on ne peut faire autrement. Si les fruits ne sont pas irréprochables, personne ne nous les achète. Nous avons subi deux contrôles en trois ans et tout était en règle. Ce sont les maisons qui sont venues s’installer le long des champs après tout. »
Les agriculteurs se protègent avec des combinaisons et des tracteurs adaptés. Un investissement de 15 000 euros, suite à des stages de sensibilisation menés à la Chambre d’Agriculture d’Alsace. Un équipement que n’ont pas les habitants qui résident à quelques mètres. Les épandages sont également interdits quand le vent souffle à plus de 19 km/h pour éviter que les particules n’aillent trop loin des exploitations. Une condition toujours difficile à vérifier.
Un maire au courant de rien, des contrôles assez légers d’après la Cour des comptes
Quand on lui parle de tensions éventuelles au sein du village, le nouveau maire, élu difficilement, Alfred Schmitt, prétend ne pas savoir de quoi il s’agit :
« Je ne suis au courant de rien. Il n’y a jamais eu de problème. Il n’y a pas lieu de s’étaler sur le sujet. »
Difficile à croire étant donné que quatre agriculteurs siègent au conseil municipal et qu’un contrôle inopiné a eu lieu mardi 22 juillet par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et des forêts (la DRAAF). Si la préfecture ne veut pas communiquer officiellement sur ces inspections, d’après nos informations tout était « en règle » lors du passage des inspectrices. Mais l’épandage visé n’était pas officiellement enregistré, ce qui ne donne pas lieu à davantage de recherches. Les prérogatives de la DRAAF s’arrêtent là.
Malgré cet examen, il n’est cependant toujours pas possible de savoir quels produits sont utilisés dans les fermes. Une illustration concrète du dernier rapport public de la Cour des comptes, qui pointe les insuffisances des inspections dans l’agriculture française. Les 20 pages du chapitre consacré aux contrôles sanitaires (p.65) indiquent qu’ils ne sont ni assez fréquents ni rigoureux et que leurs sanctions ne sont pas assez dissuasives, voire non appliquées.
Sans les produits, pas d’analyse
Du côté de la gendarmerie, l’enquête est « toujours en cours ». Les marges de manœuvres sont cependant réduites pour les gendarmes qui eux-mêmes indiquent ne pas être spécialistes de ces questions et ne pas avoir reçu d’autres plaintes similaires. Mais pour François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, une ONG en pointe contre les épandages, le cas de cette habitante n’est pas isolé en France :
« Nous avons déjà eu écho de deux ou trois personnes malades en même temps que leur chien ou de chevaux malades. Il y a des actions juridiques possibles. Les produits devant rester dans la parcelle, des analyses de végétaux chez les riverains sont pratiquées, de même que des analyses de poils. Il y a quelques années, nous avons été partie civile dans un procès contre des pomiculteurs du Limousin. Ils avaient traité par un vent excessif, mais ont été acquittés au bénéfice du doute, car la station météo qui faisait foi indiquait un vent excessif mais se trouvait à plus de 8 km et les pomiculteurs ont prétendu que le vent était beaucoup plus faible dans leur parcelle. Le doute profite à l’accusé. »
Martine Kammerer, professeur de toxicologie animale et environnementale à l’école vétérinaire de Nantes, où les échantillons de poils du chien ont été envoyés par le centre antipoison de Strasbourg, explique :
« Nous traitons plusieurs cas d’animaux intoxiqués. La science manque encore de recul sur ce type de situation. Il existe entre 400 et 500 types de pesticides. Si nous ne savons pas quels produits sont utilisés, nous ne pouvons procéder à des analyses et encore moins les interpréter pour savoir si les pesticides ont empoisonné l’animal. De plus ces produits peuvent être mélangés ce qui décuple leurs effets. La DRAAF fait des contrôles, mais ce n’est pas son rôle de diffuser les informations recueillies, surtout s’il y a une procédure judiciaire en cours. En l’occurrence, il me semble que c’est à l’agriculteur de renseigner qui l’interroge. Il n’est pas tenu de le faire, mais on ne comprend pas pourquoi il ne le ferait pas s’il est en règle. »
L’usage de pesticides est donc un problème de santé publique, mais les informations sur leur utilisation ne le sont pas. Les analyses sont d’ailleurs à la charge des particuliers, moyennant environ 250 à 300 euros.
Sans preuve, chacun campe sur ses positions
Face à la difficulté de réunir des preuves, l’illégalité des traitements phytosanitaires semble difficile à prouver. Mais si des animaux souffrent, qu’en est-il des humains ou des nouveaux nés ? Les acteurs concernés ne semblent pas vraiment avoir de prise sur ces enjeux de santé publique. Pour Alsace Nature, une mobilisation plus importante sur le sujet est à l’ordre du jour. L’association écologiste alsacienne reste prudente sur le cas précis, mais sa vice-présidente, Anne Vonesch, qui s’est rendue dans le village, insiste sur le fait qu’il s’agisse d’un enjeu global :
« Les pesticides présentent un risque réel, qui n’est pas assez pris au sérieux. Nous devons mener une campagne de sensibilisation auprès de la population comme des agriculteurs. Nous l’avons déjà fait par le passé, mais trop timidement. Les taux moyens de particules dans l’air utilisés dans les campagnes de prévention ne sont pas de bons indicateurs. Dans le cas de quelqu’un qui habite à quelques mètres des exploitations, cette concentration est nettement plus élevée, notamment lors des épandages. Il n’y a pas de droit à envoyer ses produits chez quelqu’un d’autre. »
Pour le principal syndicat agricole alsacien, la FDSEA 67, on ne nie pas les dangers des produits phytosanitaires, même si son secrétaire général, Franck Sander, tente de rassurer sur le comportement des agriculteurs :
« Il y a des dangers, on le sait. Les plus exposés se sont les agriculteurs, car ils manient des doses concentrées lorsqu’ils réalisent des dosages dans leur ferme. Nous-mêmes, on oublie parfois de prendre toutes les mesures nécessaires, car on est pressé, mais lors de la pulvérisation il n’y a pas de risque. Ces produits et ceux qui les utilisent souffrent d’une mauvaise réputation à cause de l’une ou l’autre personne qui n’a pas respecté les règles, mais leur utilisation est très encadrée. Un agriculteur ne peut se permettre de tricher, il perdrait tout de suite ses indemnités de la Politique Agricole Commune (PAC) européenne »
En Gironde, le problème est pris au sérieux
À Villeneuve, en Aquitaine, 23 enfants et leur enseignante ont été pris de malaises suite à un épandage à proximité de leur école le 5 mai dernier. Là non plus, pas de preuve irréfutable, mais Madame le maire, pourtant viticultrice, s’est tout de même résolue à interdire les épandages entre 8 heures et 18 heures dans sa commune. Le préfet de Gironde a, lui, décidé en juin de prohiber les épandages à moins de 50 mètres des 164 établissements scolaires concernés lors des entrées et sorties d’élèves.
Suite à ce cas, un amendement permettant de restreindre les épandages à proximité de certains lieux publics a été ajouté au projet de loi pour l’Agriculture. Le texte sera étudié en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 11 septembre. Une forte opposition des agriculteurs à cette nouvelle version de la législation est à prévoir. D’autres associations, bien qu’elles saluent une première avancée, jugent en revanche que le texte manque d’ambition puisqu’il ne concerne pas les habitations. De telles dispositions ne semblent en tous cas pas d’actualité à Handschuheim.
Aller plus loin
Sur France 5 : Un excellent documentaire sur le rôle des lobbys contre la régulation des pesticides « Endoc(t)rinement »
Sur le site de l’Inserm : Une synthèse de l’expertise collective sur les effets sur la santé des pesticides (avec un lien vers l’étude complète)
Sur Rue89 Strasbourg : Décimées à la campagne, les abeilles font leur miel à Strasbourg
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