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« Gutenberg n’a pas pu inventer l’imprimerie ailleurs qu’à Strasbourg »

L’historien strasbourgeois Georges Bischoff publie un ouvrage sur le monde rhénan à l’époque de Gutenberg. Et pour lui, ce qui a permis l’invention de l’imprimerie, c’est le foisonnement culturel et technique de cet environnement.

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Historien, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, Georges Bischoff publie un nouvel ouvrage, « Le Siècle de Gutenberg« , sous-titré « Strasbourg et la révolution du livre. » Car attention spoiler : pour George Bischoff, l’imprimerie a été inventée à Strasbourg et pas à Mayence. Dans son ouvrage, très documenté, l’historien décrit Strasbourg au moment du séjour de Gutenberg dans la ville (1434-1444) comme étant l’épicentre de la chrétienté, dans le sillage du Concile de Bâle (1431-1448). Pour lui, Strasbourg est le seul endroit du bassin rhénan à cette époque avec suffisamment de capitaux et d’artisans chevronnés pour avoir permis le mariage des techniques que recquiert l’imprimerie sur caractères mobiles.

Georges Bischoff ne croit pas que Gutenberg ait pu inventer l’imprimerie ailleurs qu’à Strasbourg (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Rue89 Strasbourg : pourquoi écrire un nouveau livre sur Gutenberg ?

Georges Bischoff : Avec ce livre, mon idée n’est pas d’écrire une nouvelle biographie de Gutenberg, déjà fort bien traitée par Guy Bechtel en 1992. Il s’agit plutôt d’évoquer le milieu social, culturel et économique qui a concouru à l’invention de l’imprimerie. C’est un peu comme l’histoire de l’oeuf et la poule… Au milieu du XVe siècle, un concile réunit à Bâle l’élite intellectuelle de l’Europe, des penseurs de tout le continent font des kilomètres pour s’échanger des livres. C’est le premier congrès européen !

Strasbourg est à cette époque au faîte de sa puissance politique. En 1439, l’architecte Jean Hultz a mis la dernière main à la flèche de la cathédrale, qui restera la plus haute tour de la chrétienté jusqu’au XIXe siècle. La cité est aussi reconnue pour la qualité de sa métallurgie, Strasbourg produit d’excellents canons. La verrerie devient industrielle à peu près à la même époque et c’est aussi une ville d’affaires, le seul pont sur le Rhin avant des centaines de kilomètres et le siège d’une monnaie qui avait cours tout le long du Rhin supérieur…

Le Siècle de Gutenberg, 416 pages, 25€ (Ed. du quotidien)

Donc dans ce livre, on croise les pas de Gutenberg plutôt que les suivre. Et on remarque qu’il avait mis en place à Strasbourg un réseau d’associés dont la finalité était de produire des livres grâce à un système de presse à partir de caractères mobiles. Compte-tenu de tous ces éléments, il est impossible que l’imprimerie ait été inventée ailleurs qu’à Strasbourg.

Pourtant les historiens indiquent Mayence et 1448 comme lieu et date officielle de l’invention de l’imprimerie…

Le séjour de Gutenberg à Strasbourg (1434-1444) est assez bien documenté, notamment grâce à un procès en 1439 suite à la mort d’un de ses associés. On le sait à Mayence en 1448 mais que se passe-t-il entre temps ? On n’en sait rien, il y a un trou de quatre ans. Alors nous sommes obligés de nous reporter aux textes. Gutenberg est présenté pendant ce procès comme « fabricant de miroirs, » je démontre dans le livre que ce ne pouvait pas être son activité principale. Dans les registres de la Ville de Strasbourg, il est un citoyen protégé noté comme « orfèvre, » donc il travaillait le métal mais pour faire quoi ? Autre indice : l’un de ses associés est… fabricant de papier. Or une révolution du papier a précédé de quelques années celle de l’imprimerie… avec la production de papier à partir de chiffons, qui a fortement réduit les coûts. Aux côtés de bien des imprimeurs qui vont apparaître dans les années qui suivent, on trouve des industriels du papier.

La Bible de 42 lignes, le second ouvrage imprimé par Gutenberg (doc remis)

L’imprimerie au mitan du XVe siècle, c’est la quintessence du savoir-faire humain de l’époque. Tout le processus faisait appel aux meilleurs artisans pour le travail du papier, de l’encre, du verre et du métal. Pour que les caractères soient précis mais modifiables, il a fallu rechercher un alliage de plomb, d’étain et d’antimoine. Une recherche qui n’a pu se dérouler qu’à Strasbourg, en raison de l’excellence de ses fonderies.

Rappelons que le deuxième imprimeur documenté, Jean Mentel, débute sa production à Strasbourg en 1458, soit 3-4 ans après la parution de la Bible à 42 lignes. Jean Mentel et Gutenberg se sont rencontrés à Strasbourg, ils occupaient des locaux près de la cathédrale, ce qui correspond à l’actuel lycée Fustel de Coulanges.

Après « La Guerre des paysans, » « Le siècle de Gutenberg » est un nouveau livre sur cette période. Êtes-vous fasciné par l’humanisme rhénan ?

La guerre des paysans s’intéresse aux années 1524-1525, des années terribles marquées par de profonds cataclysmes sociaux et économiques. Avec « Le siècle de Gutenberg », j’avais envie de voir ce qui s’était passé avant. L’histoire, c’est la science du changement et entre 1434 et 1545, le bassin rhénan connaît de profonds bouleversements. Mais il ne faut pas idéaliser cette période ni l’humanisme rhénan… Les humanistes de l’époque brûlaient des sorcières par centaines ! C’est vrai que ça me passionne et d’ailleurs, mon prochain sujet d’étude se situe aussi dans le même espace-temps, il s’agira d’une biographie d’un prince d’Orange, Jean IV de Chalon-Arlay, un vrai looser !

Je me lance aussi dans un autre chantier, l’archéologie de la tradition orale. Les historiens s’en méfient beaucoup, encore plus que des sources écrites mais elle est pourtant pleine d’enseignements.


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