Une injustice prend fin au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg (MAMCS). Pour la première fois en France, l’artiste allemande Käthe Kollwitz a enfin le droit a une rétrospective. Jusqu’au 12 janvier 2020, près de 150 de ses oeuvres sont exposées à Strasbourg.
Cette icône de l’engagement pacifiste a d’abord dessiné et gravé la pauvreté et la révolte des plus démunis. Témoin de l’entre-deux guerres en Allemagne, Käthe Kollwitz a ensuite dénoncé les ravages des conflits armés. Ses gravures les plus sombres montrent les enfants prêts à être mobilisés, le désespoir des parents ou de la veuve face aux morts des champs de bataille… « C’est une artiste complète, qui nous touche par son humanité profonde, ses dessins de visages, de mains… Tout ce qui fait de nous des Hommes », analyse Estelle Pietrzyk, directrice du MAMCS.
L’artiste et le peuple
« Je veux agir dans ce temps », écrivait Käthe Kollwitz dans son journal intime, entre la fin du XIXe siècle et 1945. Lorsque l’artiste peint une révolte de tisserands datant de 1844, elle donne aux révolutionnaires des vêtements d’ouvriers de son époque. Cette femme engagée tenait à participer à « une compréhension mutuelle entre l’artiste et le peuple ».
L’épouse du docteur Karl Kollwitz voyait les malades, les affamés et les mourants défiler chez elle, plusieurs dizaines chaque jour. Cette « femme assise se lamentant les bras levés », cette famille miséreuse aux yeux dans le vide, cette mère ne sachant comment nourrir son fils… Käthe Kollwitz les a toutes vues. Ainsi s’est construit une oeuvre réaliste, souvent crue, toujours bouleversante.
La force de ses oeuvres vient peut-être de cette proximité avec ses sujets. Dès 1914, Käthe Kollwitz perd son fils Peter, engagé volontaire. Par la suite, la mère se met à crayonner l’attente du retour, le désespoir des parents endeuillés, le sacrifice d’un enfant pour une patrie mensongère. Ces dessins sont bouleversants de justesse, de pudeur et d’une violence qu’on croit inimaginable. La deuxième partie de l’exposition se voit avec le cœur serré. Chaque détail rend l’horreur de la guerre plus réel.
Un art engagé
Grâce à son art, Käthe Kollwitz défend les opprimés, s’oppose à la guerre. En 1906, elle dessine l’affiche pour l’exposition allemande sur le travail à domicile. En 1924, la mère endeuillée appelle au rassemblement avec pour mot d’ordre « Plus jamais la guerre ». Quatre ans plus tôt, elle attirait l’attention sur la famine dans la capitale autrichienne : « Vienne meurt! Sauvez ses enfants! », est écrit en rouge aux côté d’un squelette. Il fouette une femme courbée, suivi de gamins en pleurs. Ils s’accrochent à elle.
Une reconnaissance française tardive
La reconnaissance française a été tardive pour cette artiste aussi inclassable qu’intemporelle. « Les artistes allemands ont mis du temps à être étudiés en France », regrette la directrice du MAMCS. Bien sûr, quand les universitaires français s’y sont mis, ils ont travaillé sur les peintres comme Otto Dix, Max Liebermann ou George Grosz. Les hommes d’abord… Ce qui est d’ailleurs une autre révolte portée par Käthe Kollwitz. D’abord interdite d’accès aux Beaux-Arts de Berlin, fermé aux femmes, elle est parvenue à se hisser au rang d’icône de l’art engagé allemand. De même, les spécialistes américains des « Gender Studies » (études du genre) ont beaucoup travaillé sur la représentation du corps féminin par l’artiste allemande. Le Musée d’art moderne permet donc à la France de rattraper son retard face à une figure d’une telle envergure.
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