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Un groupe pro-Macron au Parlement européen ? Surtout un gros coup de bluff

En annonçant la naissance d’un « groupe informel » de 70 eurodéputés se réclamant des idées d’Emmanuel Macron pour l’Europe, le député socialiste Gilles Pargneaux a créé la surprise. Et pour cause, un tel groupe n’existe pas. Retour sur une vaste supercherie qui, entre Strasbourg, Bruxelles et Paris, a échauffé les esprits.

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« On est environ 70, et 21 nationalités sont représentées dans ce groupe informel. Je vais proposer qu’il puisse se dénommer Refondation européenne. » Dans l’émission « La Faute à l’Europe » sur France TV info, diffusée le samedi 9 décembre, le député européen français Gilles Pargneaux n’a laissé aucune place au doute : il est à l’origine d’un grand rassemblement entre eurodéputés de différentes couleurs politiques tous animés par une même vision, celle d’Emmanuel Macron.

D’ailleurs, au début du week-end, un e-mail de « Check Productions », derrière l’émission, avait même alerté un grand nombre de journalistes de la présence du député européen en plateau, évoquant, par cet alléchant « teasing », la grande annonce qu’il comptait y faire :

« Le député européen socialiste Gilles Pargneaux, à l’initiative de ce rassemblement, a déjà pu réunir l’accord de plus de 70 députés européens (…) de sensibilités politiques différentes. Gilles Pargneaux présentera cette liste députés ce lundi à l’Elysée. »

Le présentateur, Yann-Antony Noghès, parle pour sa part d’un « scoop », et ce, chiffres à l’appui : parmi ces 70 élus qui composent la liste en question, 30% sont issus du groupe des Socialistes, 25% du Parti populaire européen (PPE, à droite dans l’hémicycle), 20% du groupe des Libéraux et 15% sont verts.

Dans l’émission « La Faute à l’Europe », l’eurodéputé Gilles Pargneaux a vanté l’existence d’un groupe informel de soutien aux idées d’Emmanuel Macron. (Capture d’écran « La Faute à l’Europe » sur France TV info)

Le « coup de comm’ » est savamment orchestré. Mieux encore : l’initiative d’un groupe « En Marche » au Parlement européen semble exister. Après tout, le député français (ancien aubryste, élu dans la circonscription Nord-Ouest) à la réputation passablement écornée dans l’hémicycle – « pas le plus efficace au Parlement » selon les uns, un « buveur de cafés en chef » aux yeux des autres – a pu vouloir bien faire et se racheter une image.

Une liste inventée de A à Z

Les premiers doutes se font sentir dès lors que le député, comme les membres de son équipe au Parlement européen, refusent de donner les noms de la liste. Motif invoqué : les risques de pression politique sur les membres du groupe informel, qui appartiennent évidemment tous à des groupes politiques au sein du Parlement européen et à des partis dans leur pays d’origine bien établis.

« C’est à se demander si cette liste existe… », interroge une source au Parlement européen. D’autres sont plus directs, dénonçant une liste « inventée de A à Z », « montée de toute pièce ». « C’est du vent », entend-t-on encore.

Le député Vert luxembourgeois Claude Turmès, qui donne l’impression, dans « La Faute à l’Europe », d’être un soutien de la première heure à Gilles Pargneaux et un membre de ladite liste, envoie pour sa part à ses collègues eurodéputés un e-mail dans lequel il explique se « sentir piégé ». Surtout, il craint qu’on lui prête l’ambition de rejoindre un futur groupe parlementaire estampillé « La République en Marche ».  Par communiqué de presse, il indique :

« Je suis prêt à participer à toute forme de discussion structurée sur le défi auquel font face les forces pro-européennes : se positionner dans une Europe qui subit de plus en plus la pression de l’euroscepticisme de droite. (…) J’insiste sur le fait que ma famille politique est, et sera toujours le Parti vert européen. Mon objectif principal pour les élections de 2019 sera de lutter pour un groupe vert fort dans le prochain Parlement européen. »

Claude Turmès affirme n’avoir « jamais vu de liste », ne pas avoir été informé de la création d’un quelconque « groupe informel » ou « groupe d’amitié » ; il s’est simplement entretenu avec Gilles Pargneaux, le temps d’une réunion bilatérale qui a duré une quinzaine de minutes. Pour lui, « l’annonce à la télévision de ce groupe informel est une surprise totale ». De même, l’équipe d’Alyn Smith, eurodéputé écossais également présenté comme l’un des 70 « happy few » sur la liste, confirme n’avoir jamais eu vent de l’existence de celle-ci.

Un travail de « mapping »

De son côté, le principal intéressé, Gilles Pargneaux, refuse dans un premier temps de s’exprimer, avant de se raviser, tard lundi, par téléphone. Il explique :

« Je propose simplement que l’on se retrouve régulièrement entre pro-européens, pour voler le haut de l’affiche aux eurosceptiques et travailler ensemble sur des projets communs. J’ai pris des contacts informels avec des collègues. C’était beaucoup de travail de téléphone. Certains, comme Arnaud Danjean par exemple, m’ont dit non. Il n’y a aucune obligation pour personne. Il faut bien comprendre qu’on ne met pas en place une instance formelle, pas un groupe parlementaire macroniste. »

L’initiative d’un groupe de soutien à Emmanuel Macron du député européen Gilles Pargneaux fait un flop. (Capture d’écran « La Faute à l’Europe » sur France TV info)

Quid, alors, des 70 noms sur la liste ? Ils ne sont en fait autres que ceux identifiés par le député français comme de potentiels soutiens, au cours d’un travail de « mapping » (comprendre : l’élu et son équipe ont épluché l’organigramme des 751 députés européens et ont surligné les noms de ceux qu’ils pourraient, peut-être, compter à leurs côtés au sein d’un hypothétique groupe de travail). En aucun cas 70 députés n’ont donné leur accord pour faire partie d’un groupe de soutien informel aux idées d’Emmanuel Macron.

« Un mouvement de relance est en marche… »

Enrique Calvet-Chambon, eurodéputé originaire d’Espagne, sympathisant de l’initiative de Gilles Pargneaux, partage sa vision des choses :

« Je ne pense pas que Gilles Pargneaux ait eu le temps de rencontrer 70 personnes. Mais un mouvement est en marche, il prend des contacts. Impossible de parler d’un groupe solide, en vitesse de croisière, mais l’idée et l’initiative sont là. Il ne s’agit pas de signer quoi que ce soit, sinon de reconnaître une affinité transversale au relancement européen que suggère Emmanuel Macron. »

Ainsi, pour le député madrilène, il faut quoi qu’il en soit profiter du « moment Macron ». Mardi matin, Gilles Pargneaux a envoyé un e-mail à certains homologues eurodéputés – une centaine, vraisemblablement – en expliquant sa démarche.

Il développe notamment les thèmes qui pourraient faire l’objet de discussions au sein d’un groupe informel (à savoir la gestion de la crise migratoire, la lutte contre le terrorisme, l’approfondissement de l’union économique et monétaire, la lutte contre le changement climatique et l’émergence d’une citoyenne européenne) et conclut ainsi sa missive :

« Étant donné votre parcours et vos prises de position, je pense que cette initiative peut vous intéresser. Je me tiens à votre disposition pour approfondir ce contact et envisager de nous rencontrer prochainement pour définir un agenda commun. »

Un e-mail supposé « sauver les meubles » qui a donc été envoyé quatre jours après avoir annoncé sur le plateau de « La Faute à l’Europe » l’existence d’un tel groupe. Ou comment prendre ses rêves pour la réalité. Toutefois, cette mascarade s’inscrit dans le contexte, pour sa part bien réel, de recomposition du Parlement européen, 73 sièges seront en effet vacants dans l’hémicycle dès 2019, suite au Brexit.


#Parlement européen

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