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Grève des maisons de retraite : le manque de moyens accable personnel et résidents

À l’appel de leurs syndicats, une partie du personnel des maisons de retraite est en grève mardi 30 janvier. Les organisations syndicales, soutenues par l’association des directeurs d’établissements, protestent contre le manque d’effectifs et des conditions de travail éreintantes. Premières victimes de cette situation : les résidents. Sous couvert d’anonymat, des proches ont accepté de témoigner.

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« Lorsque je travaille de nuit, il m’arrive d’être la seule infirmière pour 108 patients », explique Audrey (tous les prénoms ont été modifiés), infirmière dans un service de gériatrie à l’hôpital de la Robertsau à Strasbourg. Mardi 30 janvier, elle « profitera » de son jour de congé pour manifester à 10 heures place Kléber contre la dégradation continue de ses conditions de travail. Certains de ses collègues, assignés au travail et donc interdits de manifestation, colleront une étiquette « En grève » sur leur blouse.

Mi-décembre, le syndicat Force Ouvrière a appelé les personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de l’aide à domicile à faire grève. Six autres organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, SUD…), ainsi que l’association des directeurs d’établissements, ont rejoint cette mobilisation, signe d’une situation largement dégradée.

Aide-soignants ou infirmières, ils sont nombreux à dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail et l’impact sur le traitement des personnes âgées (Photo Alexis Mialaret / Flickr / cc)

« Régulièrement, je prie pour qu’il n’arrive rien »

Audrey raconte ses difficultés aussi quotidiennes qu’éprouvantes :

« Avec le temps, les patients grabataires sont de plus en plus nombreux. Ça n’a pas été pris en compte dans la gestion des effectifs. Or, ce qu’on peut faire en quelques minutes avec un patient qui marche, on ne peut pas le faire avec une personne incapable de quitter son lit. »

Il y a aussi les douleurs physiques qu’observe l’infirmière chez ses collègues :

« Quand vous devez coucher quinze à vingt personnes à bout de bras tous les jours, les épaules, le dos, les poignées prennent un coup. J’ai vu des collègues, âgés de 35 à 40 ans, qui ont déjà des pathologies articulaires… Ils ont les épaules, les coudes bousillés, ou le dos… »

Puis Audrey réprime un sanglot avant d’expliquer :

« Lorsque je travaille de nuit, il arrive souvent que je sois la seule infirmière pour une centaine de patients. Ces résidents, je veux tous les avoir vus avant la fin de ma nuit. Régulièrement je prie pour qu’il n’arrive rien. Certes, la plupart d’entre eux dorment. Mais il peut toujours arriver quelque chose. Il m’est déjà arrivé qu’un patient tombe. Puis, pendant que je m’en occupe, on m’appelle parce qu’à l’étage, quelqu’un ne respire pas bien. C’est assez effrayant. »

Anne, étudiante dégoutée de la maison de retraite

Anne est étudiante en école d’infirmières. Elle a réalisé plusieurs stages en maison de retraite. Son expérience d’aide-soignante l’a convaincue qu’elle ne travaillerait pas dans ces établissements. Elle explique :

« A l’école, on nous apprend à prendre 40 minutes par personne pour la toilette. En stage, je n’ai jamais eu plus de 20 minutes pour m’occuper d’un résident. En plus, il y a un énorme taux d’absentéisme en Ehpad. Tu passes donc souvent de 15 personnes sous ta responsabilité à 30. Alors quand tu dois t’occuper de 30 personnes, celui qui t’appelle juste pour faire pipi, tu n’as pas le temps de l’aider. Tu lui changeras sa couche plus tard. Moi qui apprécie le contact avec les patients, je sais que je ne trouverai pas satisfaction au sein d’une maison de retraite. »

« Pour moi, c’est de la maltraitance »

Les résidents d’Ehpad sont les premières victimes de cet épuisement des accompagnants. Virginie rend régulièrement visite à son père, résident d’une maison de retraite à Cronenbourg depuis sept ans. Demain, elle ira soutenir les aide-soignants en grève. Tout en préservant son identité et celle de son père, elle dénonce un « établissement désorganisé » :

« Il n’y a pas de toilettes pour handicapés au rez-de-chaussé, là où les gens mangent et passent leur après-midi. J’ai déjà vu mon père en pyjama en plein milieu de l’après-midi. Depuis un moment, sa couche n’est plus changée le matin. Pour moi, c’est de la maltraitance… Mon père est aphasique : il ne peut pas parler mais il comprend tout… »

Sophie a aussi tenu à dénoncer la situation de sa mère, dans le même Ehpad après plusieurs accidents vasculaires-cérébraux :

« J’ai constaté plusieurs fois que les repas servis étaient incomplets : le complément nutritionnel ou la soupe gélifiée manquaient. Je me suis aussi plainte lorsque j’ai constaté que ma mère était en pyjama dès le début de l’après-midi. Pour le goûter, on lui a déjà laissé un pot fermé sur la table. Elle est hémiplégique, plusieurs parties de son corps sont paralysées, elle n’a donc pas pu le manger. Enfin, les douches se font une seule fois par semaine, comme dans beaucoup d’établissements. Le reste du temps c’est la toilette minimum. On appelle ça VMC : visage, mains, cul. »

L’action en contradiction avec l’éthique

Du côté des accompagnants, on dénonce aussi de telles situations. Pour Audrey, l’augmentation des effectifs est la seule solution :

« Notre action quotidienne est en contradiction avec notre éthique professionnelle, l’empathie qu’on a pour les personnes âgées et le respect de leur dignité. On veut faire dans la bientraitance mais on nous demande de faire vite. En dix minutes, on ne peut pas faire la douche d’une personne complètement dépendante. Il faut le déshabiller, faire sa toilette puis lui mettre ses habits de ville, sachant que ce sont des patients qui ont souvent de l’arthrose… Ensuite, il faut les relever et les mettre dans leur fauteuil roulant la plupart du temps. On nous demande de faire ça en dix minutes par personne. Ce n’est juste pas possible. »

« Il doit y avoir un encadrant pour chaque résident »

Christian Prud’homme est délégué régional de Force Ouvrière Santé et secrétaire général du syndicat aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Ses revendications portent en priorité sur les effectifs insuffisants en Ehpad :

« Nous souhaitons que la principale promesse du Plan Solidarité Grand Âge de 2006 soit enfin mis en oeuvre. Il doit y avoir un encadrant pour chaque résident. Dans le Bas-Rhin, la moyenne s’approche du ratio national : on y compte 0,7 encadrant par patient. Mais on descend à 0,55 dans certains endroits, comme à Woerth. Nous réclamons donc 1000 nouveaux postes dans le département du Bas-Rhin, principalement des soignants, pour les 45 Ehpad qui dépendent du ministère de la Santé. »

Le 31 janvier, les syndicats se réuniront pour décider des suites à donner à la mobilisation. Pour Christian Prud’homme, le mouvement pourrait être élargi à tous les hôpitaux publics. Sur RTL, le 25 janvier, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé qu’elle débloquerait 50 millions supplémentaires pour les Ehpad. La promesse n’a pas suffit à calmer les syndicats.


#ehpad

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