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Des livreurs Deliveroo en grève, contre des courses à moins de 3€

La plate-forme de livraison de repas à domicile Deliveroo a introduit une nouvelle grille tarifaire fin juillet, supprimant le tarif minimum d’une course. Après une première manifestation à Paris, la mobilisation des coursiers s’étend mais peine à prendre de l’ampleur à Strasbourg.

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« J’ai travaillé deux heures avec les nouveaux tarifs et j’ai laissé tomber, c’est trop peu payé ». Jérémy (tous les prénoms ont été modifiés à leur demande), coursier Deliveroo depuis 2 ans, a décidé de limiter son activité sur la plate-forme suite à l’introduction d’une nouvelle grille tarifaire mardi 30 juillet. Elle met fin au tarif minimum de la course, auparavant fixée à 4,20€ à Strasbourg. 

« Avec la nouvelle tarification, ils ont légèrement augmenté le tarif de la course sur des longues distances mais ils ont fait sauter le minimum donc au final, on a perdu en chiffre d’affaires. »

Une centaine de livreurs seraient actifs à Strasbourg, selon les estimations car Deliveroo refuse de communiquer ce chiffre.(Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Comme les autres livreurs, le jeune homme de 21 ans a le statut d’auto-entrepreneur. Il ne bénéficie donc d’aucune des protections accordées aux salariés, comme celles notamment liées aux accidents du travail. En outre, 11,5% de son chiffre d’affaires doit lui permettre de payer ses cotisations et charges sociales.

« J’essayais de faire 2 heures le midi et 4 heures le soir. J’arrivais à une moyenne de 700-800€ de chiffre d’affaires. À un moment, je n’ai plus eu le choix, j’ai dû demander de l’argent à mes parents parce que je n’avais plus assez de côté pour payer mon loyer. »

Pour le jeune actif tout juste diplômé pour l’industrie, il était déjà compliqué de s’en sortir avec l’ancienne grille de tarif. « Aujourd’hui, je trouve que c’est sous payé et ça ne m’intéresse plus ». Jérémy est intérimaire depuis un mois, parce qu’ »il faut bien gagner un smic ». 

-50% de chiffre d’affaires

Donald est coursier à plein temps, il travaille 55h par semaine. Le trentenaire constate une baisse drastique de son chiffre d’affaires depuis l’instauration des nouveaux tarifs :

« Avant, j’étais à presque 20€ de l’heure. Aujourd’hui, je tourne à 9-10€. J’ai perdu la moitié de mon chiffre d’affaires. Niveau motivation, c’est plus pareil évidemment. Et les clients sont aussi moins généreux, c’est normal parce que les frais de livraisons sont de plus en plus chers. Je pouvais arriver à 15 ou 20€ de pourboires par jour, mais maintenant c’est plutôt 1€. » 

Le livreur est auto-entrepreneur depuis plus de trois ans. « Comme je suis au plafond, presque 25% de mes recettes vont à l’Urssaf ». Il refuse presque systématiquement les petites courses, car sans tarif minimum, elles ne sont pas rentables :

« Une course qui t’emmène dans un resto à 10 minutes de vélo, ça ne sert à rien de l’accepter. Aujourd’hui, de 11h30 à 15h, j’en ai refusé une quinzaine. Tu vas jusqu’au restaurant, tu attends que la commande soit prête pendant 10 minutes, parfois plus, et ensuite il faut livrer. 3€ bruts pour une livraison entre 20 et 30 minutes… avec les charges, il ne te reste plus rien derrière. » 

Une course proposée à moins de 3€ à un livreur strasbourgeois (Document remis)

La nouvelle grille de paiement augmente légèrement la rémunération des courses plus longues. Mais à la fin du mois, les livreurs ne sont pas mieux payés. « Le problème c’est que lorsqu’on s’éloigne du centre, on n’a pas de nouvelle commande dans le coin, donc on fait le retour à perte », soutient Jérémy.

Donald demande un tarif minimal de 3,50€ la course, soit 70 centimes de moins que l’ancien plancher : 

« En tant qu’auto-entrepreneur, on est censé être des chefs d’entreprises. On ne perçoit pas de salaire mais un chiffre d’affaires. Deliveroo, c’est notre client. Et c’est le seul client qui impose ses tarifs aux professionnels, c’est du travail salarial dissimulé en fait. »

La nouvelle grille de tarif Deliveroo a mis fin au tarif minimum de la course (Document remis)

Une mobilisation délicate

Arnaud, ancien coursier à vélo Deliveroo de 2016 à 2019, a vu les conditions de travail des livreurs se dégrader au fil des années. Mais le manque de mobilisation à Strasbourg ne l’étonne pas :

« Il y a eu une vague de recrutement il y a un an, et tous les livreurs Uber Eats sont passés chez Deliveroo parce qu’ils ont vu que c’était mieux payé. Et là c’est parti complètement en vrille parce que même si c’était de pire en pire, les mecs d’Uber prenaient juste le boulot parce qu’ils étaient habitués à de pires conditions… »

Arnaud se souvient qu’il y a deux ans « l’ambiance était vraiment meilleure, ça s’est dégradé à une vitesse incroyable ». La livraison à vélo, pour lui, c’est fini : « ils ne risquent pas de me refaire bosser, je préfère rester au RSA. » 

Plusieurs groupes Facebook et discussions groupées en ligne rassemblent la centaine de livreurs Deliveroo de Strasbourg, mais selon Jérémy, une grève n’est presque jamais évoquée :

« C’est compliqué d’organiser des grèves à Strasbourg parce qu’on a une discussion sur Messenger entre livreurs, mais il y a trois “capitaines” qui sont sur cette conversation et qui peuvent faire remonter les noms de ceux qui contestent. »

Les « capitaines », ce sont des administrateurs : des livreurs payés 1€ de plus par course, mais surtout des intermédiaires avec les bureaux parisiens. « C’est par eux qu’on doit passer quand on a des revendications, sinon on n’a aucun contact avec qui que ce soit au dessus », précise le coursier.

Donald est l’un des organisateurs du mouvement de protestation à Strasbourg. Selon le livreur, le week-end du 3 août, ils étaient une quarantaine de coursiers a avoir bloqué l’application : ils s’inscrivent sur un créneau et refusent toutes les courses. Mais beaucoup n’adhèrent pas au mouvement :

« Le problème, c’est qu’à Strasbourg, on n’a pas vraiment de soutien. On n’a pas de syndicat ni de collectif comme Clap 75 à Paris [le Collectif des Livreurs Autonomes à Paris, ndlr]. Les restaurateurs comprennent, mais c’est tout. »

Un autre phénomène rend la mobilisation difficile : de nombreux livreurs louent illégalement leur compte à des sans-papiers, qui ne peuvent pas ouvrir de comptes eux-mêmes sur les plate-formes de livraison :

« Certains livreurs vont quand même aller bosser, c’est comme ça. Et nous, on ne veut pas les en empêcher. Ils ont vraiment besoin de travailler parce qu’ils ont besoin d’argent. Il y a aussi des sans-papiers qui travaillent pour des comptes loués, qui parlent mal et comprennent mal le français. Ce qu’on demande, c’est que les clients boycottent la plate-forme. Il faut que les choses bougent. »


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