Lundi 17 octobre à 17 heures, veille de grève au lycée professionnel René Cassin, rue du Dragon à Strasbourg. La salle des profs bruisse d’une agitation inhabituelle. Des lettres en capitales sortent de l’imprimante pour être bientôt scotchées aux fenêtres : « Non à la réforme – Lycée pro en grève ».
Professeur d’histoire et de français et représentant syndical du Sneta-FO, Paul Nemet annonce une mobilisation historique avec la participation de 50% de ses collègues. Elles sont trois à avoir accepté de répondre à Rue89 Strasbourg, ainsi que le conseiller principal d’éducation (CPE) de l’établissement, pour dénoncer une énième réforme du lycée professionnel qui acte d’un nouveau recul de la part dédiée à l’enseignement, au profit du travail en entreprise.
« On sacrifie l’enseignement général »
Joudia El Karoui est professeure en gestion administration. Elle déplore l’augmentation des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) pour ses élèves à partir de la rentrée 2023. De 8 semaines en entreprise, les lycéens passeront à 12 semaines de travail par an. « On sacrifie l’enseignement général au profit du professionnel », regrette Joudia El Karoui face à cette réforme menée par Caroline Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels.
Les trois professeures interviewées décrivent une réforme aussi hors-sol qu’à contretemps. L’une s’inquiète : « Ce qui me fait peur, c’est l’opacité. On ne sait même pas s’il y a eu un état des lieux pour améliorer la dernière réforme. » Une autre enseignante en économie-gestion critique une méthode gouvernementale inchangée depuis le début de sa carrière dans les années 90 :
« On ne nous demande jamais notre avis. C’est la réalité du terrain qui n’est pas prise en compte. Des fois, je me demande s’ils ont déjà vu un élève. »
« En français-histoire, on a déjà perdu deux heures »
Car la dernière transformation du lycée professionnel a été menée par l’ancien ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer. Le professeur et syndicaliste Paul Nemet décrit une « réforme en profondeur » :
« Les emplois du temps des élèves ont été modifiés avec l’apparition de nouvelles matières, des interventions avec des collègues en formation professionnelle et une discipline intitulée “chef d’œuvre”. En français-histoire, on avait cinq heures trente et on a perdu deux heures. Cette réforme avait déjà été mal accueillie par le corps enseignant. »
Installé dans une belle bâtisse du XIXe siècle, le lycée René Cassin a la particularité de ne proposer que des baccalauréats professionnels dans le domaine tertiaire. Ce sont de futurs salariés en comptabilité, en logistique ou en secrétariat. Des métiers qui nécessitent une maîtrise du français à l’écrit et à l’oral. Or d’après Joudia El Karoui, un quart des classes est constitué d’élèves dont la langue maternelle est une langue étrangère. Une autre professeure décrit plus généralement d’importantes difficultés en français, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.
Des réformes et un nivellement des exigences par le bas
Enseignante en économie-gestion, Nadia (le prénom a été modifié) décrit une succession de réformes et un nivellement par le bas des exigences d’enseignement. En 2008, le baccalauréat professionnel passait de quatre à trois ans de lycée. Puis les spécialités secrétariat et comptabilité ont fusionné dès la classe de Seconde en 2016, occasionnant ainsi une baisse de niveau en comptabilité selon Nadia :
« Avant, les élèves faisaient vraiment de la compta. Ils pouvaient même pour certains continuer des études et devenir assistant de comptable. Maintenant quand on fait les visites de stage, les employeurs nous disent qu’ils sont inemployables dans ce domaine. »
« On amène le privé dans le public »
La réforme à venir pose encore deux problèmes selon les professeurs interrogés. Le premier concerne la régionalisation de l’offre de formation des lycées professionnels en fonction des besoins locaux des entreprises en emploi. Le représentant du syndicat Sneta-FO s’inquiète : « C’est la fin d’un service public avec un diplôme national équivalent à Brest, Strasbourg et à Marseille. Ça interroge : l’avenir d’un adolescent doit-il dépendre des entreprises de son lieu de résidence ? »
Joudia El Karoui évoque aussi la problématique des patrons qui pourraient siéger dans les conseils d’administration des établissements : « On amène le privé dans le public. Mais moi je travaille pour l’État, je n’ai pas envie de travailler pour le Medef. »
À ses côtés, le CPE de l’établissement Rémi Guillot rappelle :
« 40% des élèves de l’établissement sont boursiers. Ce sont souvent des élèves en difficultés. Ils ont besoin d’un lieu comme le lycée professionnel. En privilégiant l’emploi à la scolarité, cette réforme met en péril l’accompagnement social et la construction de l’autonomie des élèves. »
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