L’un aurait dû être au Portugal, l’autre en Algérie. Mais ce mardi 8 août, les deux ouvriers de Clestra tiennent le piquet de grève devant l’entreprise de cloisons de bureaux à Illkirch-Graffenstaden. « L’usine est fermée actuellement. On aurait dû être en vacances, » souligne Philippe, salarié de la société depuis 33 ans. Au lieu de ça, l’employé au pôle assemblage et sa femme, Marie-José, ont décidé de soutenir le mouvement social. Le couple compte parmi la vingtaine de salariés à s’être réunis pour marquer la sixième semaine de grève et partager un barbecue.
Penser collectif face à « l’injustice »
Après quelques poignées de mains et des échanges de sourires, les grévistes se remémorent le début du mouvement. Le dimanche 2 juillet 2023, Djibril (le prénom a été modifié) a reçu un e-mail lui interdisant l’entrée sur le site. Du jour au lendemain, il a été licencié « pour faute grave ». La direction aurait mis en avant des pauses trop longues et un téléphone consulté pendant les heures de travail.
N’ayant reçu aucun avertissement, les collègues de Djibril et le syndicat CGT dénoncent un licenciement abusif. « Ça s’est fait de façon brutal, sans considération et sans respect, » juge Amar Ladraa, délégué syndical CGT Métallurgie Grand Est. L’épisode a marqué les ouvriers, qui ont décidé de se mettre en grève. « C’est normal d’être solidaire avec les autres parties d’une même équipe », lance Bertrand (le prénom a été modifié) qui porte un t-shirt bleu de l’entreprise Clestra. « On a des origines différentes mais on est tous dans le même monde », ajoute-il.
« On endure les coups ensemble »
« Le soutien des collègues m’a beaucoup touché. Ici, c’est la famille. Je ne veux pas bosser ailleurs », raconte Djibril qui est encore très attaché au collectif des travailleurs de Clestra. Embauché en 2019, il ne s’attendait pas à être viré quatre ans plus tard. « C’est venu comme ça, bam ! Aujourd’hui, mon compte bancaire est dans le négatif. Je ne sais pas comment je vais payer mon loyer. » Père de deux enfants, Djibril voudrait retrouver un travail et un quotidien apaisé.
Depuis la reprise de l’entreprise par le groupe Jestia en octobre 2022, les ouvriers attendent des garanties sur le maintien de leurs postes. Avec le déménagement de la production prévu, les grévistes craignent qu’une partie des emplois se perdent, d’autant que les futurs locaux situés Port-du-Rhin sont plus petits que l’usine à Illkirch-Graffenstaden. Les ouvriers dénoncent un manque de communication de leur hiérarchie. « La direction aurait sans doute bien aimé qu’on soit désuni, explique Philippe, mais ça fait des années qu’on se connaît, alors on endure les coups ensemble. »
Les mêmes galères quotidiennes
Des salariés d’origine turque, algérienne ou encore portugaise travaillent depuis plusieurs générations au sein de l’entreprise. « Ils ont tous le même vécu, les mêmes galères quotidiennes, résume le syndicaliste Amar Ladraa, ils connaissent la difficulté des fins de mois, la pression. Ils vivent déjà dans des situations difficiles où le taux de chômage explose. C’est ce qui fait qu’ils sont solidaires et déterminés dans cette grève. » Selon le délégué syndical CGT, 90% des grévistes habitent dans les mêmes quartiers populaires de Strasbourg, comme la Meinau, le Neuhof, Hautepierre, Koenigshoffen, ou à Lingolsheim et Illkirch-Graffenstaden.
« À l’origine, la boîte était très sociale »
L’entreprise métallurgique Clestra Hausermann, qui existe depuis 110 ans, est aussi un lieu de sociabilisation et de fierté pour ces grévistes. « À l’origine, la boîte était très sociale. Le comité d’entreprise organisait des fêtes de Noël ou des remises de médailles. Il y avait une réelle relation entre le patron et le personnel : on était informé sur les conditions de travail, il y avait une infirmerie. On est passé d’une situation normale d’entreprise à un véritable cauchemar », commence Philippe.
Ce rapport de proximité dépassait le cadre de l’entreprise. « Quand l’usine était installée à Koenigshoffen, c’était une autre ambiance ! On se rencontrait entre mamans et on se connaissait un peu toutes. On allait faire des sorties à Europa Park ou on allait aux concours de pêche avec les enfants des collègues de mon mari », se remémore Marie-José.
Avec le déménagement de l’entreprise à Illkirch-Graffenstaden en 2011, certains ouvriers ont dû déménager et les sorties se sont raréfiées. Néanmoins, une partie des salariés a continué d’organiser des moments de convivialité, comme ces barbecues solidaires, qu’ils organisent spontanément via un groupe de conversation commun sur Whatsapp.
Chaises de camping, baguettes, sodas… Chacun contribue à l’installation du barbecue en continuant la conversation sous le barnum. Derrière les salariés de Clestra, quelques camions emportent déjà des machines de production. Les ouvriers s’apprêtent à passer à table. Amar Ladraa conclut sur l’évolution de cette entreprise importante pour les habitants des quartiers populaires de Strasbourg et des environs :
« C’est une des dernières entreprises industrielles qui se trouvent encore sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg. C’est aussi pour ça qu’on interpelle la mairie depuis de nombreuses années : on aimerait qu’ils prennent en compte la particularité qu’est Clestra. C’est une entreprise importante pour cette population qui habite dans les quartiers populaires de Strasbourg. »
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