Jusqu’au 18 mars, Rue89 Strasbourg est en résidence au théâtre de Hautepierre. « Où ça ? » répondent certains habitants du quartier. Car la structure, pourtant située en face du centre commercial, est peu connue, mal identifiée. Et surtout, personne ne sait vraiment ce qui se passe là dedans.
Et c’est normal, si l’on peut dire. Car la Ville, gestionnaire principal du théâtre, ne fait que répartir son usage entre plusieurs structures : Les Migrateurs disposent de 165 jours par an pour des spectacles liés aux arts du cirque, le théâtre du Maillon d’une cinquantaine pour du spectacle vivant, les Percussions de Strasbourg y sont aussi présents et plus rarement, le TJP, Pôle Sud, Musica… Problème : cette organisation, qui n’attache pas une programmation au lieu, ne permet pas aux habitants d’identifier ce qu’il se passe dans le théâtre. Il revient à chaque structure de communiquer sur ses spectacles.
Le Maillon prêt à revenir à Hautepierre
Construit en 1978 pour décloisonner la culture et investir les nouveaux quartiers, le théâtre est incendié en 2003, après que Le Maillon se soit rapproché de son public en déménageant au Wacken en 1999. De cette retraite un peu piteuse, le théâtre de Hautepierre ne s’est jamais remis. Pour Le Maillon, cette salle est devenue une espèce d’annexe, parfaite pour accueillir des spectacles plus modestes ou plus risqués qu’au Wacken : 5 dates en 2013, autant en 2014…
Une situation qui ne satisfait pas le nouveau directeur du Maillon, Frédéric Simon :
« Ce théâtre est en plein coeur du quartier et il est fermé sur l’extérieur. Il faut y installer une autre ambiance. C’est pourquoi j’aimerais bien l’occuper tout un trimestre, y déplacer l’équipe ou en tout cas une bonne partie, monter un petit chapiteau de cirque sur la placette et créer une attente, capitaliser sur le bouche à oreille, mobiliser les corps intermédiaires de la République comme les enseignants… Là, oui, les gens se diront qu’il se passe quelque chose et si on peut rester suffisamment longtemps, ils se décideront à franchir la porte. »
Pour Frédéric Simon, pour que les habitants d’Hautepierre s’approprient le théâtre, il faut repenser son organisation :
« Quand vous ouvrez un lieu seulement de temps en temps, vous faites sentir aux autres qu’ils ne sont pas chez eux. Ce théâtre, il faut l’ouvrir à tous et en permanence pour que les habitants s’en sentent dépositaires. Ils doivent être en mesure de participer au rituel du spectacle, qui commence avant le jeu des acteurs et se poursuit ensuite. Quand dans une famille, quelqu’un raconte ce qu’il a vu au théâtre, c’est du théâtre. »
Le directeur du Maillon aimerait pouvoir utiliser le théâtre de Hautepierre comme d’une base, pour faire du théâtre un peu partout dans le quartier : dans les écoles, à la Poste, dans la galerie commerciale… En projet notamment, une longue aventure dans quelques écoles, sur toute l’année scolaire, durant laquelle les enfants seront « au théâtre » dans leurs classes, sans forcément s’en rendre compte…
Les Migrateurs essorés mais combatifs
De leur côté, Les Migrateurs sortent essorés d’une tentative de décrocher le label de pôle national des arts du cirque, qui leur échappe avec la constitution de la grande région et l’avance de Chalons-en-Champagne. Leur directeur artistique, Jean-Charles Herrmann, doit rebondir et proposer un nouveau projet. Son objectif est de convaincre la Ville de confier aux Migrateurs la gestion effective du théâtre de Hautepierre :
« Puisque c’est nous qui avons le plus de jours de présence, nous sommes les gestionnaires par défaut. On arrange déjà tout le monde sur les dates, mais on ne peut plus continuer à bricoler ainsi, avec des plannings impossibles à tenir ou à remplir. Maintenant, on va demander à la Ville de pouvoir construire une cohérence pour ce lieu, d’en faire la maison du cirque à Strasbourg et pour l’Alsace, en réseau avec toutes les structures entre Wissembourg et Saint-Louis ».
Chez les Percussions de Strasbourg, installés à côté du théâtre depuis sa construction, la question du lieu n’est pas prioritaire. L’ensemble de musique contemporaine doit survivre à un délicat renouvellement de génération. Jean Geoffroy, directeur artistique depuis un an, prévoit une saison prochaine très dense, pour « retrouver l’énergie des fondateurs » de l’ensemble :
« Jusqu’à présent, nos 50 jours d’occupation du théâtre nous ont suffit, parce qu’on a mis beaucoup d’énergie à reconstruire le groupe. Mais c’est presque achevé, nous aurons un noyau dur de six à huit musiciens qui interviendront en formations variables. Il nous faudra plus de créneaux, c’est évident. Hormis les spectacles, nous avons besoin de réaliser des captations des pièces par exemple. Avec son plateau de plein pied, c’est un outil formidable ».
Débuts d’une phase de diagnostic
Après avoir remplacé le Hall des Chars par l’Espace K à la gare, et relancé Django Reinhardt au Neuhof, la Ville du Strasbourg s’intéresse à l’avenir du théâtre de Hautepierre. Pour Alain Fontanel, une phase de diagnostic va débuter :
« L’histoire du théâtre de Hautepierre est symptomatique des ambitions et du renoncement de la culture dans les quartiers. Notre objectif primordial est d’apporter la culture dans le quartier, et de réaliser un renouvellement des publics. Pour autant, le théâtre de Hautepierre ne doit pas se transformer en une salle de quartier, c’est un théâtre pour toute la ville. Donc nous allons voir les projets artistiques présents et proposés, détecter avant l’été ce qui pose problème avec les intéressés pour une remise à plat peut-être à la rentrée ».
En toile de fond, la question des publics, qui se pose à tous les responsables culturels dont les actions sont subventionnées par la Ville. Accusé de n’avoir pas suffisamment tissé de lien avec le quartier, Jean-Charles Herrmann se défend :
« On a mis en place une tarification spécifique pour les résidents du quartiers. La part de ces billets est en progression constante, +20% sur la dernière saison. Donc ça prend, mais c’est extrêmement long. Pour installer des réflexes dans une population, il faut compter cinq ans, minimum ».
Pas sûr que les élus aient cette patience.
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