Ce vendredi 25 octobre, le président de la SIG, Martial Bellon, est attendu devant les 100 élus de l’Eurométropole de Strasbourg, à huis clos. Objectif : convaincre l’assemblée des 33 communes de la faisabilité économique du projet « d’Arena », initié par le club de basket dès 2015. À la clé, délivrer les subventions restantes (3,9 millions d’euros), garantir une partie de son prêt, et confier la gestion de la salle pour 50 ans contre un loyer modique.
À défaut, de transmettre la responsabilité à la commune de Strasbourg, prête à « prendre les risques » pour son équipe de basket. En échange, une salle moderne au cœur de son futur quartier d’affaires. Une conférence de presse est prévue à l’issue de cet oral à 11h30, ce qui laisse penser qu’une sortie par le haut de ce conflit Ville-Métropole a déjà été envisagée. Voici les tenants et aboutissants de ce dossier complexe.
1 – Quel est le projet ?
Le club de basket de la SIG Strasbourg compte agrandir son antre, le Rhénus Sport, propriété de l’Eurométropole de Strasbourg. L’enceinte passerait de 6 000 à 8 071 places. À cela, s’ajouterait 6 000 m² de commerces ouverts tous les jours. Les loyers que le club engrangerait serviraient à mieux financer son équipe sportive professionnelle. Le club, une société désormais privée, serait gestionnaire de son « Arena » via un bail de 50 ans à loyer modique. On parle de bail emphytéotique administratif. L’Arena rapporterait environ 3 millions d’euros supplémentaires au club, dont le budget plafonne autour de 9 millions depuis quelques saisons.
2 – De 0 à 17 millions d’euros publics, comment l’Arena a-t-elle évoluée ?
En mars 2014, Roland Ries n’est pas réélu pour rénover le Rhénus, qui ne figure guère dans son programme. Le président de la SIG, Martial Bellon, mis en place par la municipalité (alors actionnaire majoritaire) fin 2010, a réussi sa première mission : redresser les finances du club après une crise suite à une privatisation avortée. En juin 2014, la SIG échoue pour la deuxième fois en finale du championnat de France. Son président aimerait voir plus grand que le Rhénus, inauguré en 2003.
Pour passer ce cap, il lui faut des revenus supplémentaires. Délocaliser quelques gros matches au Zénith est envisagé, mais l’opération ne se fera jamais. La configuration de la salle de spectacles à Eckbolsheim n’est pas adaptée, sans parler des coûts envers sa société exploitante.
En mai 2015, Martial Bellon présente les grandes lignes de son idée, un projet d’arena multifonctions à 20 millions d’euros entièrement d’origine privée, à la place du Rhénus ou ailleurs à Strasbourg. Il espère notamment qu’un sponsor donne son nom à la nouvelle enceinte pour la co-financer. Le club est très prudent sur un éventuel calendrier, car il s’agit d’un modèle économique nouveau en France. Il s’inspire des salles allemandes.
Début 2017, la localisation est actée, ce sera à la place du Rhénus Sport, au cœur du nouveau quartier d’affaires Archipel au Wacken. Une image de synthèse non-contractuelle est dévoilée pour attirer les sponsors. Le projet est dès lors chiffré à 30 millions d’euros. Il n’est pas encore question d’argent public. Cependant, un amendement de Jacques Bigot (PS), sénateur-maire d’Illkirch-Graffenstaden, berceau de la SIG, prévoit que les collectivités locales puissent garantir l’emprunt d’une société sportive. Le député de Strasbourg Philippe Bies (PS) le porte également à l’Assemblée nationale. La SIG espère y jouer en septembre 2020.
En 2018, le Credit mutuel accepte de donner son nom au futur « Forum« . D’après nos informations, le montant serait de 500 000 euros par an, une somme qui augmente un peu chaque année, pour une durée comprise entre 10 et 15 ans. Le projet passe quant à lui à 40 millions d’euros. Les 10 millions supplémentaires sont apportés par trois collectivités locales (4,5 de la Région Grand Est, 4 de la Ville de Strasbourg et 2 du Département du Bas-Rhin). Une clause indique aussi qu’aucun spectacle ne pourra faire concurrence au Zénith. Premiers paniers espérés à partir de septembre 2021.
À l’été et à l’automne 2019, Ville, Région puis Département augmentent leur participation. La somme d’argent public issu des quatre collectivités, en incluant au passage l’Eurométropole, passe à 17,1 millions d’euros, pour un projet toujours estimé à 40 ou 41 millions d’euros. Cet argent public permet de diminuer l’apport du club et de rassurer les banques prêteuses. À cela s’ajoute le prêt de la SIG, limité à 13 millions d’euros pour l’enceinte sportive (sur 33 millions au total), et 8 millions d’euros pour la zone commerciale (remboursés par les boutiques qui s’y implantent). Les 13 millions restants seraient garantis à 50% par l’Eurométropole, mais il manque ce feu vert du propriétaire.
3 – Pourquoi le projet a tant changé ?
En conférence de presse vendredi 18 octobre, Martial Bellon a avancé plusieurs explications aux évolutions. Parmi celles-ci, les normes de sécurité (« on nous a demandé : et s’il y a une tuerie devant le Rhénus ? »). Par ailleurs, le président dit avoir découvert en cours de route la nécessité de s’acquitter de la taxe foncière, soit 350 000 euros par an, pendant 50 ans donc (soit 17,5 millions d’euros au total, sans compter les probables revalorisations de bases et augmentations de taux). Le dirigeant a aussi listé les honoraires d’architectes (3 millions d’euros) et les frais relatifs à la maîtrise d’ouvrage (taxe d’équipement, assurances, avocats) aussi de 3 millions d’euros, puisque le club souhaite porter ce qu’il appelle « un projet privé ».
Par le passé, Martial Bellon a aussi expliqué les hausses de coûts prévisionnels par la nécessité de s’équiper de technologies de pointe, en installant enfin un écran géant. Dans un questionnaire au public, il a été demandé si les supporters souhaitaient revoir des ralentis d’actions sur leurs téléphones, quelques secondes après leur déroulé sur le parquet.
4 – Qu’est-ce qui bloque ?
Le propriétaire, l’Eurométropole, et en particulier son président Robert Herrmann (PS), exprime des doutes avant de s’engager. Il s’appuie sur deux rapports commandés, l’un du ministère des Finances et l’autre du cabinet d’audit Deloitte. Parmi les griefs, les prévisions du club de loyers de 1,1 million d’euros annuels seraient trop optimistes, surtout au démarrage. Plus que le fait d’engager la garantie d’emprunt (6,5 millions d’euros supplémentaires), c’est la capacité de remboursement de la société idoine « SIG Arena » (voire plus bas) qui semble inquiéter. En clair, si le club peine à rembourser ses emprunts, qui paie et qui récupère l’enceinte ?
En face, Martial Bellon a dévoilé le nom des 4 banques prêtes à prêter les 21 millions nécessaires : BNP Paribas, Caisse d’Épargne Grand Est (qui installera son siège à côté), le Crédit agricole Alsace-Vosges et la Banque Palatine. Leur engagement expirerait fin décembre 2019. Ainsi, le club urge qu’une délibération soit prise dès la fin novembre. Néanmoins, les banques ne pourraient-elles pas prolonger de quelques semaines leur engagement ? « Il n’est jamais bon de présenter deux fois un même dossier, nous ne sommes pas persuadés qu’il serait validé tel quel », répond Jean-Louis Koessler, membre du directoire en charge des questions financières.
Politiquement, le conseil de l’Eurométropole est morcelé sur la question. On retrouve un bloc avec les élus LREM, dont le maire de Strasbourg Roland Ries et la droite, attaché au « rayonnement » des clubs sportifs pour la ville. Habituellement, le PS est aussi sur cette ligne, mais il est plus dispersé sur ce dossier. L’adjoint aux Sports Serge Oehler, l’adjointe de quartier Nicole Dreyer, l’ancien maire d’Illkirch-Graffenstaden Jacques Bigot ou l’ancien député Philippe Bies ont pris position « pour » les garanties publiques pour le projet tel que présenté. Mais le reste du groupe présidé par Mathieu Cahn ne l’a pas fait, et on peut supposer qu’il se range toujours derrière Robert Herrmann.
Seuls les écologistes et quelques non-inscrits sont ouvertement « contre », en appelant à revoir « les priorités » et dénoncent « l’argent magique » pour des projets « d’attractivité » à plusieurs dizaines de millions d’euros, où les coûts prévisionnels augmentent au fil du temps (comme le Parc des expositions).
Ce groupe porte la même position pour l’agrandissement du stade de la Meinau, où l’Eurométropole débourse cette fois 50 millions d’euros d’argent public pour 100 investis au total. Pilier de la majorité, le groupe des maires (« une Eurométropole pour tous ») est resté silencieux sur le dossier de l’Arena depuis les derniers rebondissements et peut faire la différence. Son chef, Yves Bur (maire DVD de Lingolsheim) est opposé à l’argent public dans le sport professionnel, mais le reste du mandat, il a été seul sur cette ligne.
Comme le club continuera à jouer dans le Rhénus, les travaux sont étalés sur deux ans. Le gros oeuvre, ne peut débuter qu’à l’intersaison estivale. Le club espère pouvoir démarrer à l’été 2020 et a toujours annoncé des délais de deux ans une fois les premiers coups de pioche donnés.
5 – Quelles conséquences pour le club ?
Martial Bellon n’est pas un Tony Parker. Le joueur star français, tout juste retraité des parquets et président du club concurrent de Lyon-Villeurbanne (l’Asvel) peut dépenser les millions de sa fortune personnelle dans son projet de salle. Son homologue strasbourgeois préside un club majoritairement détenu par 97 entreprises alsaciennes (à hauteur de 87%, regroupées sous la société « SIG & Entreprises ») sur un modèle coopératif, une personne = 1 voix. Passée la privatisation en douceur du club, l’Arena est son projet emblématique depuis près de cinq ans.
Le club a « engagé » 1,8 million d’euros en études, mais n’en a réglé qu’un seul. Une partie de ce million a été financée par un peu plus d’un tiers des 97 sociétés actionnaires du club. Ces dernières (36 ou 37) ont doublé leur participation, de 5 000 à 10 000 euros. Pour le reste, le club a aussi et surtout « emprunté dans la trésorerie » de la société sportive, dixit Matial Bellon et dans ses fonds propres. « Nous ne pouvons avancer ces sommes indéfiniment », a convenu le patron du club, afin d’appeler l’Eurométropole à délibérer fin novembre.
Un montage complexe via une société dédiée
Dans un courrier à Robert Herrmann que nous avons pu consulter, le président de « SIG et Entreprises » et du conseil de surveillance, Robert Fédida, craint qu’un coup d’arrêt à l’Arena ne mette le club en sérieuses difficultés :
« Dans l’hypothèse où ce projet serait abandonné, il est de notre responsabilité d’attirer votre attention sur les répercussions économiques désastreuses qui rejailliraient sur la SIG Strasbourg SASP à court et moyen terme. »
Le club joue donc gros ces prochaines semaines, au-delà du projet de salle. Il est déjà aidé par les 4 collectivités locales, à hauteur d’environ 2 millions d’euros par an, sur un budget qui en fin de saison s’établit à hauteur de 9 millions (de bons résultats amènent des recettes supplémentaires par rapport aux prévisions de début de saison autour de 7,5 millions). Il n’est pas sûr qu’elles comblent un trou de trésorerie si le projet devait capoter.
6 – Et le sportif dans tout ça ?
Même si elle a perdu ses 5 finales d’affilées, on peut dire que la SIG était la meilleure équipe française entre 2013 et 2017. Elle a bien figuré dans le classement tous les ans, remporté des trophées annexes et eu de beaux parcours en coupe d’Europe. En 2018, le club a été éliminé de justesse en demi-finale du championnat français, puis, plus largement en quarts de finale en 2019.
En dépit de deux compétitions secondaires glanées ces deux saisons-là (la Coupe de France et un tournoi de mi-saison à Disneyland Paris), difficile de ne pas voir un recul sportif, y compris sur la scène européenne. Le début de saison 2019/2020 est aussi compliqué, 4 défaites en 5 matches de championnat. Le coach emblématique depuis 2011 et sélectionneur de l’équipe de France, Vincent Collet, est dans sa dernière année de contrat.
« Je le dis devant le coach Vincent Collet, je n’ai pas baissé le budget joueurs pour payer des études », a déclaré le président Martial Bellon en conférence de presse au sujet des dépenses engagées. Selon les chiffres de la Ligue, la masse salariale budgetée pour la saison à venir est de 2,362 millions d’euros, contre 2,494 millions en 2018/2019 (-5%). « Dans le contexte actuel, stagner c’est reculer », s’impatientent quelques voix plus critiques au sein du club. Comme la saison précédente, la SIG aligne la troisième masse salariale, derrière Monaco et l’Asvel. Les masses salariales ont en moyenne augmenté de 12% dans la première division française.
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