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[Grand entretien] Alain Beretz : « L’excellence n’est pas un gros mot »

Malgré des besoins en augmentation, les dotations des universités restent fixes. Alors que l’examen du budget de l’institution strasbourgeoise a été reporté, rencontre avec Alain Beretz, son président depuis 2008. Quand il ne fait pas de comptabilité, l’enseignant-chercheur reprend le dessus et livre sa vision de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la vocation de l’Université de Strasbourg ou encore de l’Europe.

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Alain Beretz dans son bureau : « L’université française est l’une des moins autonome d’Europe. » (Photo Pierre France / Rue89 Strasbourg)

Rue89 Strasbourg : L’Université en général a beaucoup été dans l’actualité ces derniers jours, avec une menace de baisse de ses dotations, puis l’appel de Strasbourg que vous avez mené. Comment cela impacte l’Université de Strasbourg (Unistra) et quelle a été la genèse de cet appel ?

Alain Beretz : Un amendement à l’Assemblée nationale proposait de retirer 136 millions d’euros à l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR), dont 70 millions pour les universités. Cela arrivait moins d’un mois avant le vote de notre budget 2015. Le niveau de base de financement est déjà insuffisant par rapport aux ambitions légitimes pour un pays comme le nôtre. En France, les budgets des universités sont dans la petite moyenne européenne. Ce n’est pas si mal. Mes collègues en Espagne, eux, font face à une baisse de 30%. Mais si on se compare à l’Europe du Nord, à l’Amérique du Nord ou à la Corée du Sud, on a un point de PIB de retard, soit des sommes gigantesques.

« Les économies sur l’Université n’ont pas les mêmes conséquences que sur la voirie »

Aujourd’hui, nos budgets sont bouclés à la suite d’efforts consentis par tout le monde, mais nous n’avons plus de marge de manœuvre. Une grande partie des dépenses correspond aux salaires des fonctionnaires, ce qui est incompressible. Le budget de l’Unistra est équilibré, sincère et sain, mais on ne peut plus le raboter sans remettre en question notre compétitivité.

On va m’accuser de camper une attitude corporatiste, mais l’enjeu est plus grand. Est-ce que les économies sur l’université ont les mêmes conséquences que celles sur la voirie ? Je dis non. L’université est un investissement à long terme. Les économies d’aujourd’hui, nous les paierons demain et cher : en compétitivité, en qualité de nos diplômés, en nombre de diplômés et en qualité de notre recherche. À l’université, le temps est long. Un diplôme, c’est 3 ans, 5 ans, 8 ans. Un Prix Nobel, c’est 10 ans, 20 ans, 30 ans. Pour nous, cette manière de trouver des économies est un message clair : « les universités ne sont pas une priorité nationale ». C’est un signal plus grave que le montant.

C’est sur cette base que j’ai lancé « l’Appel de Strasbourg ». Je considérais, contrairement à ce que certains caricaturaient, qu’un président d’université est aussi là pour prendre des positions qui peuvent être revendicatives. J’ai souhaité le faire avec la position la plus partagée possible et non des positions extrémistes, orientées et pouvant être clivantes. Le sujet est assez important pour pouvoir être soutenu de manière unanime. J’ai réuni tous ceux qui avaient une responsabilité locale : les 72 directeurs de laboratoires et les 38 doyens et directeurs d’instituts. Cela a montré que la communauté scientifique savait s’unir et que la présidence savait prendre ses responsabilités. Si l’écho a été national, cela montre que notre attitude était intéressante.

« L’État n’a pas transféré toutes les sommes qu’il dépensait avant l’autonomie. »

Avec le recul, peut-être qu’on aurait pu être plus gourmand dans notre revendication. Les 70 millions pour l’Enseignement supérieur ont été rétablis, mais pas les 66 millions pour la Recherche. Ce qui n’est pas bon pour les Universités puisqu’elles font de la recherche, mais ce n’est pas dans notre budget. Dans l’urgence, ce qui me préoccupait c’est sur quoi on doit voter ces jours-ci. Je ne dis pas que le budget a été préservé grâce à cet appel. J’ai pu mener d’autres actions, plus discrètes, et d’autres se sont mobilisés ailleurs. Est-ce que c’est grâce à nous ? Peu importe, c’est une somme de choses. De toutes façons, François Hollande ne pouvait pas avoir tenu à Strasbourg des propos de soutien à l’Enseignement supérieur et accepter une baisse du budget.

Néanmoins, on a le sentiment que chaque année vous avez des difficultés pour boucler votre budget.

Il y a toujours eu des problèmes, mais avant, le budget était national. Aujourd’hui, ce sont les universités qui le gèrent elles-même. Il y a donc plus de visibilité. Je pense que c’est une bonne chose que l’on soit responsabilisé, sauf que l’État, quelle que soit sa couleur politique, n’a pas forcément transféré toutes les sommes qu’il dépensait avant. C’est très compliqué et très technique. Dans certains cas, les torts peuvent être partagés. La communauté universitaire a peut-être aussi laissé filer des dépenses.

C’est un exercice difficile, car nous prévoyons notre budget sans connaître nos recettes. L’an dernier, nous avions tablé sur une prévision trop optimiste de nos ressources, en anticipant une légère augmentation de la part de l’État alors qu’elle a finalement été la même que l’année précédente. Cela a été interprété comme une coupure, mais c’était notre faute.

« Avoir des étudiants en situation d’échec car ils n’ont pas les prérequis n’est pas à la gloire du service public »

Des nostalgiques du centralisme jacobin, ou pire, de modèles plus à l’Est, estiment que c’est la faute de l’autonomie. Avant, quand il n’y avait plus d’argent, on en redemandait au ministère. Je ne crois pas que ce soit une attitude plus responsable. Maintenant, on sait ce qu’on a. Nous sommes un service public et à partir du moment où les comptes de l’État ne vont plus bien, cela rejaillit sur nous. Je prétends que l’on ne doit pas sabrer le budget des universités, et des non-universitaires partagent cet avis. Mais si c’est le cas, que l’on ne nous confie pas des mission en plus comme l’objectif de 60% d’une classe d’âge à l’université. C’est ambitieux, je m’en félicite, mais les moyens ne suivent pas.

Sur quels aspects aimeriez-vous avoir plus de contrôle ?

Je ne suis pas pour une université qui se referme, ni pour une augmentation des frais de scolarité. Mais laisser la porte ouverte à tout le monde, avoir des étudiants en situation d’échec car ils n’ont pas les prérequis n’est pas à la gloire du service public. Notre ambition, c’est de bien orienter les étudiants. Quand les effectifs augmentent, encore de 2% cette année, paradoxalement, cela se traduit par plus de soucis. Il n’y a pas que le coût, mais aussi la qualité de ce qu’on fait. Avec des amphis bondés, comment voulez-vous assurer une bonne pédagogie ?

Il faudrait que l’on ait les moyens de l’autonomie, mais aussi l’autonomie sur les missions que l’on mène. C’est très dur à accepter pour l’État, qui est encore très centralisé. Il n’y a pas qu’à l’Université, regardez le débat sur la réforme territoriale où l’on parle des limites géographiques et non des prérogatives. Se baser sur les frontières et non les compétences est une aberration. Qu’est-ce qu’une région demain, que va-t-elle faire pour son université ? Ce sont ces questions là qui sont importantes, et non où passe la frontière et où se trouve la capitale, ce qui ne passionne que les élus.

Pour nous, c’est pareil. Il faut mettre de l’argent, mais aussi de la confiance. Je demande un contrôle de l’État, car nous lui sommes redevables, mais a posteriori et non plus a priori. Pour être éligible aux initiatives d’excellence (les Idex) nous avons réussi à monter l’un des meilleurs dossiers (Strasbourg a été sélectionné parmi les 3 premières universités, ndlr). Je rappelle que l’autonomie ce n’est pas la loi Pécresse de 2007, qui est financière, mais l’autonomie politique vient de 1970 et la loi Faure. L’université française est l’une des moins autonome d’Europe.

Il y a-t-il une taille maximale pour l’Université de Strasbourg ?

Je n’ai pas le droit de refuser des étudiants. Il est sûr qu’il est plus facile d’avoir une petite université, mais ce n’est pas une catastrophe qu’elle soit grande. La caricature de dire que nous sommes une grande université inhumaine, je la supporte assez mal. Bien sûr, c’est un peu plus dur à gérer. Notre seule limite ce sont les contingentements dans des filières comme le sport ou en informatique, pour des raisons matérielles. À ce moment-là, on bloque les inscriptions à un certain nombre. C’est malheureux, mais je ne peux pas faire autrement. Je trouve aberrant de s’en laver les mains et d’accueillir tout le monde, quelles que soient les conditions. J’ai trop de respect pour les étudiants pour cela.

Vous dîtes craindre une perte de compétitivité, c’est un mot étonnant pour une université…

Ce mot peut être très mal perçu par certaines personnes, comme l’excellence. Pour moi, l’excellence n’est pas un gros mot. C’est se juger. Nous-mêmes, mais aussi à l’extérieur. C’est encore autre chose que le classement de Shangaï. C’est demander à des collègues universitaires, qui ont un système de références, quelles sont les bonnes universités du monde. Par définition, l’université c’est le lieu de la libre circulation des personnes et des idées. C’est la mondialisation positive. Et dans ce système, la compétitivité d’une université, c’est sa réputation.

« Tout le monde ne peut pas être l’élite »

Si nos moyens sont amputés, la qualité de la prestation va baisser et donc des indicateurs, comme les candidatures des étudiants étrangers ou des doctorants pour venir ici, vont diminuer.

L’excellence n’est pas contradictoire avec le service public. Elle peut avoir des retombées objectives, comme la qualité de l’enseignement et non-objectives comme c’est le cas avec les grandes écoles en France où l’on est recruté car on en vient sans aucun rapport avec ce qu’on y a étudié. Il y a une concurrence dans le sens Coubertin : chacun participe et félicite le vainqueur.

« La recherche non-appliquée peut être menacée par l’Union européenne »

Tout le monde ne peut pas intégrer l’élite. C’est le hasard et l’Histoire qui font qu’aujourd’hui nous en sommes membres. On ne va pas s’en excuser. Et pour être plus précis, c’est variable selon les composantes : notre chimie en fait partie, la physique est peut-être redescendue d’un cran… C’est cyclique. On fournit un terreau et un environnement favorable, mais l’émergence dépend de plusieurs facteurs extérieurs.

N’est-on pas en train de glisser vers des demandes de résultats toujours plus rapides, qui vont à l’encontre de la nature de la recherche dite fondamentale ?

Un des défauts de nos dirigeants aujourd’hui et de l’Europe, c’est de vouloir programmer des résultats. Il y a une petite déviance des budgets européens de la recherche à ce niveau qui veulent favoriser la recherche dite appliquée ou industrielle que prône l’Union européenne, la France et une vision productiviste. Il faut rester vigilant. Comme le dit quelqu’un de chez nous, il n’y a que deux types de recherche: « celle appliquée et celle pas encore appliquée ». Si vous ne faîtes que de l’appliquée, vous allez épuiser le gisement.

« Les projets de nos Prix Nobel étaient des rêveries intellectuelles »

Au début ça va bien marcher, mais seulement un temps. Nos trois Prix Nobel ont commencé leurs recherches dans des domaines non-applicables. C’étaient des rêveries intellectuelles : l’immunologie des crickets pour Jules Hoffman, des équations imbitables pour Martin Karplus et des spores moléculaire pour Jean-Marie Lehn.

Ensuite, chacun a trouvé des applications, des brevets, des start-up. Aujourd’hui, on se dit que l’Université va rapporter de la plus-value économique. Je suis le premier à le dire et les collègues qui s’en foutent ont tort. Mais pour continuer à en avoir, il faut investir dans une recherche qui n’est pas finalisée. Même si on ne voit pas l’utilité aujourd’hui, elle en aura demain. On ne peut pas prévoir la découverte. C’est pour ça que je n’aime pas le classement de Shangaï. On ne peut pas être trop récompensé quand on a un Prix Nobel et tout aussi durement sanctionné si on n’en a pas pendant 15 ans. C’est aussi un coup de bol.

La CUS aimerait faire de l’agglomération un territoire d’excellence sur la santé, mais on dirait que l’université ne veut pas être enfermée là-dedans.

L’université est pluridisciplinaire, c’est ce qui fait sa force. Cela n’empêche pas d’avoir des domaines d’excellence. La santé fait partie de nos forces. Nous avons un prix Nobel, l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC), Institut Génétique Biologie Moléculaire Cellulaire (IGMBC) à Illkirch. Sur le pôle médical, nous avons recruté des chargé d’affaires pour aider la Ville à mettre en place les choses. La santé ça pourra venir de la chimie, de la physique, des maths, de la sociologie ou d’autres choses.

« Les donneurs d’ordres n’ont qu’à payer »

Qu’à Strasbourg on travaille davantage sur la santé comme Toulouse le fait avec l’aéronautique, ça me va bien. Mais je ne vais pas supprimer les autres filières. On s’insère dans une politique, oui, mais les donneurs d’ordres n’ont qu’à payer, et aujourd’hui, ils ne paient pas tellement. Nous sommes très contents de leur soutien, mais à leur niveau ils ne sont pas capables de nous faire changer de politique. Ce serait même dommage que ce soit le cas, qu’un levier financier nous impose une politique dont on ne voudrait pas.

Développer la santé, c’est logique. Beaucoup de nos étudiants y travailleront, c’est un marché porteur d’emplois : le service aux personnes âgées, l’assistance à domicile, l’innovation thérapeutique… Notre phare, c’est davantage la biologie. La santé, ça peut être l’une des conséquences. Notre rayonnement, il passe par la recherche avant tout et les disciplines fondamentales. La science, c’est le « par-delà », elle n’est pas basée sur les applications. Cela ne veut pas dire qu’elles ne nous intéressent pas.

Justement pour les emplois, est-ce que Strasbourg est en capacité d’accueillir les talents formés par son université ?

La nature de l’Université est d’être ouverte. On essaie d’attirer les talents, mais s’ils veulent partir, heureusement, ils peuvent. Ce qu’il faut, c’est ne pas perdre tous les bons. C’est ce qui peut arriver si on ne leur offre pas de bonnes conditions de travail. Martin Karplus c’est l’exemple inverse. S’il vient d’Harvard chez nous à mi-temps, c’est qu’ici, c’est bien.

Ensuite, il y a le cas de diplômés. On est une structure exportatrice. L’Alsace est petite, l’université est grosse. Si l’Unistra ne servait qu’à alimenter le territoire alsacien, et il y en a qui malheureusement le souhaitent, vous réduisez ses effectifs de trois quart et son ambition de 90%. Plus les compétences sont élevées, plus le rayon d’action de l’université est grand. Personne ne se plaint que des entreprises en Alsace exportent.

« Avec l’entreprise, nous devons nous ouvrir mutuellement »

Ceci dit, nous devons améliorer nos relations avec le monde économique. Au delà de l’aspect financier, la Fondation de l’Unistra est un bon exemple de rapprochement. On s’aperçoit que les TPE/PME ont encore un peu peur des diplômés de l’Université. À Brumath, Heuft, qui fait de l’embouteillage a recruté un philosophe chez nous, qui a collaboré avec la création d’une licence de commercialisation de produit à l’étranger. Une formation qui combine de l’ingénérie, du commerce international et deux langues étrangères. Il n’y a qu’à l’Université que l’on peut créer ça.

L’Alsace peut avoir une ambition cosmopolite. On est encore une capitale européenne. La Cour européenne importe des cas et exporte les résultats. On doit fabriquer ici des choses pour le monde entier. Après, c’est vrai qu’on a de moins en moins de sièges sociaux, malgré la présence de trois aéroports internationaux à deux heures d’ici. Cela dépasse un peu l’Unistra et c’est le problème du tissu économique alsacien. Mais nous pouvons être un argument pour les entreprises pour s’installer ici. Si l’on liste les trois atouts de la région, nous en faisons partie et certaines entreprises restent grâce à nous.

En parlant de cosmopolitisme, où en est le projet de campus européen ?

C’est un projet politique. Il part du constat que dans la vallée du Rhin supérieur, Strasbourg et Fribourg sont à une heure de route. On pourrait s’imaginer être dans la même agglomération universitaire. C’est la même chose avec Bâle, Mulhouse ou Fribourg. Cette proximité, qui donne une densité d’étudiants, de cerveaux, de chercheurs et d’entreprises est handicapée car il y a des réglementations différentes sur trois pays. L’objectif c’est de pouvoir se présenter sous une même entité, l’Université du Rhin supérieur. Il nous faut un nouvel outil administratif. D’ici six mois, les études seront terminées.

Dans quelques situations, si des formations comme par exemple des langues rares sont en situation critique, un rapprochement peut-être l’occasion de les sauver voire de la redynamiser. Il y a déjà des choses en place et pas seulement pour les matières en difficulté. Je pense à l’école doctorale partagée en physique avec Fribourg sur la matière molle par exemple, et qui vient d’être renouvelée.

« Si on a une ambition pour l’Europe, elle doit passer par l’Université »

On crée une entité, mais pas un nouvel établissement. Le but c’est de combiner nos effort, peut-être coûter moins cher et demander des fonds européens sur ce projet. L’Université a toujours été européenne. Tous les savants de la Réforme passaient par le Rhin supérieur. Les universités peuvent mieux construire l’Europe que n’importe qui. Erasmus a sûrement fait plus pour l’Europe que toutes les politiques communautaires de compensations, agricoles ou non. Si on a une ambition politique pour l’Europe, elle doit passer par l’Université.

J’étais l’un des premiers à m’élever contre cette idée de troc du Parlement européen contre une université européenne qui est une stupidité politique et technique. On ne crée pas une université de toutes pièces. Le bâtiment est exceptionnel, mais il n’est pas du tout adapté. Aucun budget annoncé n’est cohérent avec cette ambition. Je ne suis pas sûr que l’Unistra puisse jouer un rôle direct dans la défense du Parlement européen, sauf en participant à la réputation de la ville.

Quels regard avez-vous sur les autres formations à Strasbourg ?

Nous ne sommes pas propriétaire de la formation post-bac, mais je n’étais pas très content de la venue d’une antenne de l’Université de Salamanque à Strasbourg à l’automne. Je pense que la concurrence doit être honnête. Nous sommes un service public, je ne pense pas que des formations privées doivent avoir la même aide des collectivités que l’Université. Les offres privées sont privées et leur mode de financement aussi. Notre légitimité c’est la recherche. C’est ce qui définit l’Université. À l’antenne de Salamanque, il n’y a pas de chercheur.

« Il est intéressant de revenir vers l’université pour sa progression de carrière »

Le seul marché pour nous, c’est la formation continue. C’est une bonne source de revenus, actuellement 10 millions d’euros par an, qui peut être augmentée et nos services y travaillent. Avant, les diplômés partaient dans la nature et on ne les voyaient plus. Aujourd’hui, les connaissances évoluent et il est intéressant de revenir vers l’université pour des questions de progression de carrière. Nous ne sommes pas là pour faire de l’argent, mais là nous pouvons remplir une de nos missions, c’est-à-dire donner la connaissance tout au long de la vie et la monétiser. Nos formations sont de très bonne qualité, mais nous avons des limites d’accès au financement comme la taxe professionnelle.

Votre deuxième et dernier mandat à la présidence de l’Université se termine dans 2 ans. Vous avez déjà pensé à la suite ?

J’ai encore 2 ans de travail, que je mènerai jusqu’au bout. C’est assez, pour la personne, comme pour l’institution, qui a besoin de changer les gens qui sont là. Personne n’est indispensable. Je fais mon travail mais je ne suis pas seul, c’est un travail d’équipe. Je ne pense pas avoir une personnalité qui cherche le vedettariat. Je ne crois pas poursuivre un intérêt personnel en allant dans les cercles économiques, en répondant à une interview ou en écrivant des tribunes sur le budget, c’est utile pour l’Université. Dans la rue, il m’arrive que des gens me félicitent pour des succès pour lesquels je n’ai rien à voir. À titre personnel, je préfère me circuler tranquillement, mais je trouve ça fantastique pour l’université que des gens qui ne sont pas du milieu s’enthousiasment pour nos succès.

« Ma culture et mes valeurs sont celles de l’enseignement et de la recherche »

Je suis avant tout professeur de l’Université de Strasbourg. Il faut rappeler que nous sommes des élus et que notre métier c’est avant tout enseignant-chercheur. Mon métier est devenu président, c’est une occupation à plein-temps, mais ma culture et mes valeurs sont celles de l’enseignement et de la recherche. Soit je reprends mon boulot, ce qui serait un plaisir, soit je continuerai dans l’administration universitaire. Il y a aussi la tradition de prendre une année sabbatique, ce qui serait aussi mérité. Si une structure ici ou nationale a besoin de mes services dans un rôle un peu plus prospectif, j’y suis disposé. Il y a des anciens présidents d’universités dans les ministères, je ne courre pas après ça, il y en a dans les administrations pour amener des conseils de terrain, l’Université de Strasbourg peut me demander de m’occuper d’un projet… On verra.

De quelles qualités aura besoin votre successeur ?

Toutes celles que je n’ai pas. Je ne dis pas ça en plaisantant. Il n’y a pas un modèle unique de président d’université. En politique, c’est la même chose, cela se saurait sinon. Je pense qu’il faut beaucoup d’écoute et d’empathie vers les gens. Et en même temps savoir trancher, ce qui n’est pas toujours facile. L’université c’est une société complexe, dans un environnement complexe. Chacun amène ses qualités. Il faut des qualités de dirigeant, dans le sens du barreur de bateau. L’Université est une structure publique, mais la seule dirigée par des élus et non des fonctionnaires d’autorité. Je dois convaincre en permanence, ce qui est très bien, mais l’exercice du pouvoir est très différente que là où les dirigeants sont nommés.

À l’Université, chacun a un projet personnel, qu’il s’agisse des étudiants ou des enseignants. Ce n’est pas une plainte, mais c’est une organisation spéciale. Il ne suffit pas de dire les choses pour qu’elles se fassent. Et malgré ces intérêts personnels, il y a une conscience collective. Il y a des moments, difficiles, très difficiles, mais aussi de grandes satisfactions. L’autorité, on m’a d’ailleurs reproché de ne pas en avoir assez, qui n’est pas assise sur le respect et l’exemple donné ne fonctionne pas longtemps. Si vous donnez l’exemple et demandez « faîtes mieux que moi », là ça marche.

Propos recueillis par Pierre France et Jean-François Gérard


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